Satoshi YAMAMOTO - Actualité manga

Satoshi YAMAMOTO 山本サトシ

Interview de l'auteur

En novembre dernier, notre pays accueillait Hidenori Kusaka et Satoshi Yamamoto, les auteurs du manga Pokemon Special (connus en France pour les arcs Pokemon Noir & Blanc, ou encore Pokémon La Grande Aventure scénarisé par M. Kusaka mais dessiné par Mato), invités par les éditions Kurokawa pour le salon du livre jeunesse de Montreuil, mais également dans le cadre d'une petite tournée provinciale à la rencontre des fans français. C'est à cette occasion que nous avons pu rencontrer et poser nos questions à ces deux auteurs bourrés d'humour et très complices, qui sont revenus avec plaisir sur la saga Pokemon.
  
 
   
 
Hidenori Kusaka et Satoshi Yamamoto, merci d'avoir accepté cette interview ! En cherchant des informations sur vous ici et là en langue française, on constate qu'on a finalement peu d'informations sur vous. Pouvez-vous présenter en quelques mots votre parcours ?
Satoshi Yamamoto : J'ai commencé ma carrière en 1993 dans le magazine Shônen Sunday avec un one-shot du nom de Kimen Senshi. Par la suite, j'ai réalisé deux histoires courtes, puis à partir de 1998 on m'a demandé de dessiner une série dont le scénario était déjà écrit, toujours pour le magazine Shônen Sunday : Kaze no Denshôsha, qui a rencontré un certain succès au point de se poursuivre pendant une année de plus que prévu. Après ça, j'ai commencé à proposer d'autres œuvres, qui malheureusement n'étaient pas prises. Je ne gagnais plus suffisamment ma vie, jusqu'à ce qu'on me présente le projet de manga Pokemon. J'ai décidé de postuler parmi d'autres candidats, et c'est finalement moi qui ai été retenu. Je dessine donc le manga Pokemon Special, depuis 12 ans.

Hidenori Kusaka : En 1996, le premier jeu vidéo Pokemon est sorti au Japon et a connu le succès. A l'époque, j'étais rédacteur pour des magazines jeunesse. Je m'occupais par exemple des articles sur les nouveaux jouets, ou je travaillais sur les cadeaux offerts avec les magazines. Un jour, j'ai expliqué que je trouvais le concept de Pokemon très intéressant, on a commencé à discuter d'une adaptation en manga, qui s'est concrétisée assez rapidement, et une fois que celle-ci a été validée on m'a demandé si je ne voulais pas en être le scénariste. C'est le premier manga pour lequel je suis devenu scénariste, et aujourd'hui encore je poursuis ce rôle.


Satoshi Yamamoto, avant Pokemon vous avez donc conçu Kaze no Denshôsha, pouvez-vous nous en parler un peu ?
SY : C'est un manga qui démarre à l'époque Sengoku au Japon. On apprend qu'une famille se transmet de génération en génération de redoutables techniques d'arts martiaux, mais la génération actuelle est composée de 4 filles et d'un garçon. On part du principe que les héritiers sont toujours des garçons, le problème étant que notre héros est faible, ne s'intéresse pas du tout aux arts martiaux, et passe son temps à fuir.


On est donc dans un style plutôt comique ?
SY : C'est un mélange de plein de choses. Du comique, du sérieux, et des personnages un peu coquins.
 
  
 
 
Mr Kusaka, sur les 9 premiers tomes de Pokemon Special (connus en France sous le nom Pokemon – La Grande Aventure, ndlr) vous avez travaillé avec la dessinatrice Mato, comment s'est passée cette collaboration ?
HK : Cette époque correspond à celle où Pokemon commençait à vraiment exploser, et on pensait que ce boom ne durerait pas très longtemps, qu'il ne tiendrait pas sur la longueur. On m'a donc dit de concevoir le manga de manière à ce qu'il tienne à peu près un an. J'ai donc d'abord conçu un scénario allant dans ce sens, puis le manga a démarré. Mato était aussi partie sur ce principe qu'elle ne dessinerait Pokemon que pendant environ un an. Ses dessins étaient vraiment très appréciés du public, et elle a eu beaucoup de popularité.


On a eu vent de quelques soucis de santé...
HK : Par la suite, face au succès des jeux et du manga, le projet a été étiré sur 4 ans. Mato a vu son rythme s'intensifier, elle a beaucoup travaillé, et a fini par se sentir assez mal. Au final ce fut pour elle une expérience très enrichissante car elle a gagné en popularité et a beaucoup travaillé, mais d'un autre côté ça a été très dur car son rythme de travail était trop intense.
  
 
 
 
Puis, Satoshi Yamamoto, vous êtes ensuite arrivé sur Pokemon Special au tome 10, en remplacement de Mato. N'était-il pas trop dur de prendre la série en cours de route ? Avez-vous dû faire des efforts pour être fidèle au style imposé par Mato, avant même de vous faire au style de Pokemon ?
SY : Avant même que j'en prenne l'initiative, les responsables éditoriaux m'ont dit que pour éviter toutes réactions "violentes" des lecteurs, il fallait que je dessine un peu comme Mato.


Entre vous deux, comment se passe la collaboration ?
HK : Comme il s'agit de l'adaptation d'un jeu vidéo, la première étape est évidemment de jouer au jeu pour s'en imprégner ! Et tout ce que je ressens pendant la partie, je le note. Je ne me contente pas de mon expérience personnelle, mais me fie également à ce que les personnes autour de moi disent sur le jeu et à ce qu'ils ressentent eux-même en y jouant.
A partir de là, j'essaie de toujours tomber juste, en faisant particulièrement attention à bien souligner ce que les gens ont aimé dans le jeu.
Dans une adaptation d'un rpg de ce type, il faut évidemment aller du début de l'histoire jusqu'à la fin, mais pas seulement. Il faut savoir bien découper les différentes étapes, afin de rendre l'histoire constamment intéressante. Avant d'écrire les chapitres les uns après les autres, j'essaie donc d'abord d'avoir une vision totale de l'histoire. Une fois que ce travail est fait et que le déroulement des choses paraît bon, on peut commencer le vrai travail, celui d'écrire les chapitres, les aventures des héros mois après mois pour la publication. C'est le storyboard, en quelque sorte le squelette du manga.
Une fois mon storyboard prêt, je rencontre Mr Yamamoto et nous en discutons.

SY : Dès que j'ai le storyboard en main, je commence à l'adapter à ma manière de faire, et il m'arrive donc d'en retravailler des éléments pour qu'ils collent à mon style de dessin et de mise en scène, sans trahir l'idée générale de Mr Kusaka. Arrivé à cette étape, ce qui est important, c'est de travailler le tempo de l'histoire, le découpage des cases, la mise en scène, et les dessins ne sont donc pas encore très élaborés. Mais une fois qu'on rentre dans le vif du dessin, ça prend forme, et on se rend compte qu'il y a encore quelques petites modifications qui se sont naturellement faites par rapport aux croquis.

Ci-dessous, l'exemple de la création d'une planche par étapes, du rough à la planche finale.
  

 
 
Malgré l'obligation de rester assez fidèle aux jeux, on ressent toutefois quelques libertés et des idées originales dans Pokemon Noir & Blanc. Par exemple, Noir plaçant Munna sur sa tête pour avoir des visions, le Trio des Ombres qui possède les 3 pokemon climatiques Demeteros, Fulguris et Boreas... En apportant ce genre de petites libertés, que souhaitez-vous apporter de plus dans le manga par rapport au jeu vidéo ?
HK : Faire exactement la même chose que dans le jeu, il faut avouer que ce serait un peu ennuyeux... Ce qui en veut pas dire que le jeu est ennuyeux (rires) ! Le jeu vidéo et le manga sont deux divertissements qui sont représentés de manière très différente. Dans le jeu vidéo il y a de la couleur, du son, des mouvements, et, surtout, il y a une interactivité puisque le personnage est contrôlé par le joueur qui agit comme bon lui semble. Alors que dans le manga, on ne fait que lire quelque chose qui existe déjà, l'approche est plus passive. Il faut donc s'arranger pour que la petite dose d'interactivité du manga rende celui-ci amusant. Quand j'écris le manga, mon objectif est d'en faire une expérience supplémentaire pour les gens qui connaissent déjà le jeu vidéo. J'utilise donc tout ce que je peux pour rendre le manga amusant, par exemple en faisant ce genre de petites originalités qui ne peuvent pas être faites dans le jeu. Ainsi, les gens peuvent profiter au mieux d'un divertissement supplémentaire.


A votre avis, qu'est-ce qui fait que le succès de la saga Pokemon persiste ainsi au fil des années ?
SY : Bien que Pokemon existe depuis un petit paquet d'années, la saga n'a pas toujours été au top, elle a connu des hauts et des bas. Mais je pense que si elle persiste aujourd'hui encore, c'est parce que les personnes qui en ont la charge sont parvenues à renouveler constamment la licence. Elle sont parvenues à conserver le cœur de la saga, son âme, tout en sachant remplacer le superflu par des éléments plus actuels.

HK : De notre côté nous ne faisons que le manga, donc si Pokemon connaît toujours autant le succès ce n'est pas vraiment de notre fait. Je pense que les principaux acteurs du succès Pokemon sont les développeurs des jeux vidéo qui ont une puissance créatrice importante, et aussi la Pokemon Company et son excellente gestion de la licence.
Et s'il faut être plus analytique, je dirais que le succès vient aussi du fait que la saga s'adresse à différents âges. Il y a le dessin animé qui s'adresse plutôt aux plus petits, tandis que les jeux vidéo visent en premier lieu les enfants en fin de primaire et les jeunes adolescents. Quant au jeu de cartes aux règles plus complexes, il touche plutôt les collégiens et lycéens.
Les pokemon eux-même ne sont sans doute pas étrangers non plus au fait que le saga touche tous les publics. Par exemple, on a des pokemon mignons qui plairont plutôt aux petites filles, et des pokemon plus forts, comme les dragons, qui plairont plutôt aux petits garçons.
Bref, la saga peut toucher les plus jeunes comme les moins jeunes, les garçons comme les filles, et je pense que cette faculté de toucher un très large public est pour beaucoup dans le succès de la saga.
Il y a aussi la faculté d'adaptation de la saga sur chaque console. Pokemon a d'abord existé sur Gameboy, puis sur Gameboy Advance, ensuite sur DS, mais il a toujours été possible de récupérer ses pokemon d'un jeu à l'autre. Les développeurs ont su garder en mémoire le fait que les gens pouvaient continuer à jouer aux différents jeux au fil des générations de pokemon, et ne se sont jamais coupés les premiers joueurs en leur permettant de transférer sur chaque nouveau jeu les pokemon dont ils ont pris soin dans les jeux précédents. De plus, la première génération de pokemon comptait 150 créatures, puis à la génération suivante les développeurs en ont créé 100 nouveaux, mais n'ont pas pour autant supprimé les 150 premiers. Les gens n'étaient donc pas perdus en passant d'un jeu à l'autre, et s'ils aimaient les anciens ils pouvaient toujours les retrouver dans les nouveaux jeux.
     

 
  
 
 
A votre avis, quels sont les points forts de Pokemon Noir & Blanc par rapport aux précédents volets ?
HK : Ce que je vais répondre est un peu à l'opposé de ce que je viens de vous dire (rires). Pour la première fois dans la saga, Pokemon Noir & Blanc s'est un peu coupé des générations précédentes, car le jeu ne démarrait qu'avec de nouvelles créatures. Dans cette nouvelle version, les développeurs ont choisi d'aller à l'encontre de ce qu'il s'étaient toujours imposés, afin de redonner un petit coup de neuf à la série. On a également suivi cette directive pour le manga. C'est aussi pour ça que l'arc Noir & Blanc du manga est conçu de manière à pouvoir être lu sans forcément connaître les précédents arcs de la série.

SY : Il faut aussi signaler que le héros de Pokemon Noir & Blanc a environ 3 ans de plus que les héros des précédents volets. On avait souvent des commentaires du genre "Le héros n'a que 11-12 ans et pourtant il réfléchit comme un adulte", donc je me dis qu'avec Pokemon Noir & Blanc on a enfin des héros qui agissent de façon logique par rapport à leur âge, ce qui n'est pas plus mal.

HK : Et bien entendu, il y a aussi l'apparition du personnage de N. Avec Pokemon Noir & Blanc, l'univers de la saga est devenu un petit peu plus adulte, plus mature, et c'est en grande partie grâce à ce personnage. L'ambition de N est de libérer les pokemon de l'emprise des humains, et cela amène des questions plus profondes et sérieuses que jamais sur la vie commune entre pokemon et humains. Rien que ce point fait de Pokemon Noir & Blanc un volet très différent des précédents.


La version manga de Pokemon Noir & Blanc avance très vite, puisqu'au tome 5 Noir a déjà 6 badges. Savez-vous déjà à peu près combien de tomes fera cet arc ? Après cela, allez-vous enchaîner directement sur Noir & Blanc 2 ?
HK : Quand Pokemon Noir & Blanc sera fini, on enchaînera directement vers Pokemon Noir & Blanc 2. D'ailleurs, nous avons dessiné il y a peu dans le Pokemon Magazine un petit prologue à Pokemon Noir & Blanc 2.
Et pour être franc, je ne peux pas encore vous dire combien de tomes fera Pokemon Noir & Blanc. Mon rôle étant également de jauger la longueur de la série selon son succès auprès du public et selon les desiderata des responsables du magazine où la série est publiée, la longueur peut facilement varier. Par exemple, on pourrait très bien se retrouver avec des lecteurs souhaitant que le duel final dure très longtemps, et d'un autre côté on pourrait avoir le magazine nous demandant de terminer assez vite Noir & Blanc pour surfer sur l’actualité de Noir & Blanc 2. Il peut nous arriver d'être pris ainsi entre deux eaux, ce qui n'est pas toujours évident à gérer.
  

 
 
Depuis le temps que vous travaillez sur Pokemon Special, ressentez-vous parfois de la lassitude ? L'envie de faire autre chose ? Si oui, dans ces cas-là, comment vous redonnez-vous un coup de boost ?
SY : Pendant toutes ces années passées à dessiner des pokemon, je n'ai jamais ressenti de lassitude. Par contre, en ce qui concerne la motivation, je dois avouer que je suis un peu démotivé quand je dois dessiner des chapitres où il n'y a pas de filles (rires).

HK : En fait, les filles que Mr Yamamoto dessine sont souvent très mignonnes et ont souvent beaucoup de succès auprès des lecteurs.


C'est vrai. Je dois dire que moi-même, j'aime beaucoup Carolina, la championne des pokemon de type vol...

SY : Ah, vous voyez ! En fait c'est un peu un cercle vertueux, car quand je dessine des jolies filles les lecteurs sont contents, ce qui me rend moi-même content et me remotive pour dessiner la suite (rires).
Mais attention, les jolies filles ne sont pas les seuls personnages que j'aime dessiner. J'apprécie beaucoup aussi les personnage qui ont du bagout. Par exemple j'adore Bruce Lee, et du coup j'aime beaucoup dessiner le personnage de Zhu qui est un ancien acteur d'arts martiaux.


De mon côté, j'adore Bardane.
SY : Je l'adore aussi ! Quand je le dessine, j'ai en tête l'acteur qui joue Zatoichi, qui est un personnage qui en impose dans chacune de ses scènes. De manière générale, j'aime projeter des images d'acteurs charismatiques sur les personnages que j'aime bien.

HK : Ce qui est important, c'est de ressentir de l'amour pour ce qu'on fait. Dans le cas présent, on fait un manga de Pokemon, donc si on n'aime pas les pokemon on ne peut rien en faire de bon. Dans le monde il y a beaucoup de fans de Pokemon, et chacun d'eux aime beaucoup de pokemon. De mon côté, quand j'écris l'histoire de Pokemon, j'adopte l'attitude suivante : "je ne sais pas à quel point vous aimez les pokemon, mais vous ne pourrez jamais les aimer autant que moi". Je pense que la personne qui aime le plus les pokemon dans le monde, c'est moi ! Voyez, aujourd'hui je me présente à vous avec un bonnet, une cravate et une montre Pokemon. Et en fait, mes dessous sont aussi des dessous Pokemon (rires).
Et je pense que la confiance s'installe parce que les gens comprennent que les personnes faisant le manga Pokemon sont des gens qui aiment Pokemon.


Pour finir, la question classique mais indispensable : quels sont vos pokemon préférés ?
SY : Dans Pokemon Noir & Blanc, mon pokemon préféré est Drakkarmin. J'adore également Mesmerella, parce que j'aime beaucoup son style gothique. Enfin, j'aime beaucoup Miamiasme qui me rappelle un ennemi de Godzilla

HK : Aujourd'hui il existe plus de 640 pokemon, et je les aime tous. C'est toujours une question à laquelle j'ai du mal à répondre. Est-ce que ça vous prouve que j'adore Pokemon ? (rires)


Largement, oui ! (rires) Merci beaucoup pour cette rencontre !


Remerciements aux auteurs, à l'équipe des éditions Kurokawa et à Grégoire Hellot à la traduction, et au Furet du Nord pour les locaux.