NAKAMURA Hikaru - Actualité manga

NAKAMURA Hikaru 中村光

Interview de l'auteur

Entre Takehiko Inoue ou Fuyumi Soryo, le Salon du Livre, grâce aux éditions Kurokawa, accueillait également une autre mangaka qui fait actuellement beaucoup parler d'elle : Hikaru Nakamura, l'auteure des Vacances de Jésus et Bouddha (disponible aux édition Kurokawa / le tome 6 sortira d'ailleurs cette semaine) et d'Arakawa under the Bridge (inédit en France). Jeune et très jolie, l'artiste a dépassé sa timidité avec beaucoup de gentillesse pour répondre à nos questions, lors d'une interview où elle revint sur plusieurs éléments de ses séries. Mais avant de débuter le compte-rendu de notre entrevue, revenons sur le parcours de cette jeune artiste déjà promise à une belle carrière (merci aux éditions Kurokawa pour ces informations).

Hikaru Nakamura est née à Shizuoka le 21 avril 1984. C’est une jeune auteure dynamique, amatrice des Héros de la galaxie ainsi que des forces d’intervention spéciale.
Elle débute sa carrière en 2001 dans le magazine GanGan Wing avec le manga Kairi no Tao, puis en 2002 un premier recueil de ses différentes histoires courtes est publié sous le nom de Nakamura Kôbô. En 2004 débute sa célèbre comédie romantique moderne Arakawa under the Bridge dans le magazine Young GanGan. En 2006, elle crée Les Vacances de Jésus & Bouddha, un nouveau genre de manga comique qui inaugure sa collaboration avec le magazine Morning 2.
Elle aime le cinéma, la musique (on trouve parmi ses artistes musicaux préférés Red Hot Chili Peppers, Radiohead, Yurayura Teikoku, Fishmans et Hironobu Kageyama) , les jeux vidéo (ses sagas préférées étant Metal Gear Solid et Dynasty Warriors), le karaoké…
Elle est également une grande amatrice de lecture, ses lvires préférés étant les Contes de Terremer, Aegis, Le Petit Prince, ou encore Train de nuit dans la Voie lactée.
Quant aux mangaka qu'elle apprécie particulièrement, elle cite Leiji Matsumoto, Yukinobu Hoshino, Akira Toriyama, Shinichi Sugimura, Kazuhiro Fujita, Tatsuya Nakazaki, Mikio Igarashi, Katsuhiro Otomo, Nobuyuki Fukumoto, Kaiji Kawaguchi, et Hayao Miyazaki.

Elle se décrit comme ayant été une enfant très énergique en primaire. Sa maison était proche d’un temple zen, qui était aussi un lieu de pèlerinage, et elle allait souvent jouer dans la montagne. Elle grimpait aux arbres, explorait les crevasses... Mais une fois au collège, elle s'est mise à apprécier le dessin et en dehors de l’école, elle passait tout son temps enfermée chez elle à dessiner.

Au départ, elle aimait bien dessiner de simples illustrations. Elle a un grand frère et une grande soeur bien plus âgés qu'elle, et lorsqu'elle était au collège ils suivaient déjà tous les deux des cours dans une université d’art, donc la maison était remplie de carnets de croquis. Elle s'est ainsi naturellement intéressée au dessin. Puis elle s'est mise à lire Dragon Ball et d’autres mangas, et elle pense que c’est ce qui lui a donné l’envie d’en dessiner à son tour.

Dès le départ, elle était consciente de la difficulté du métier de mangaka. Elle avait prévu de continuer à soumettre ses projets aux éditeurs jusqu’à ses 20 ans, date à laquelle elle serait devenue l’assistante d’un dessinateur. Et si à 25 ans elle n’était toujours pas publiée, elle aurait abandonné.

Au final, elle est devenue pro un an à peine après avoir commencé à démarcher les maisons d’édition, à l’âge de 16 ans. Ses débuts ont été plus faciles qu'elle ne l’imaginait. Au départ elle avait dessiné une longue histoire, car elle était influencée par Kaiji Kawaguchi qu'elle aime beaucoup. Elle avait donc dessiné une grande histoire de guerre. Comme elle est une grand fan des Héros de la galaxie, elle avait créé tout un univers avec énormément de travail de fond inspiré de cette série. Lorsqu'elle a commencé à envoyer ses productions à des concours de mangas, elle avait décidé de participer à tous les concours possibles, mais au troisième elle n'a pas eu le temps de terminer ce qu'elle avait prévu. Du coup, elle a envoyé une petite histoire humoristique qui a obtenu un prix de consolation. L’un des responsables éditoriaux l’a beaucoup aimée, et c’est comme cela que sa carrière a commencé. Quand elle y repense, elle se dit que si elle était restée accrochée à cette grande fresque scénarisée, sa carrière aurait pu ne jamais être lancée.

En ce qui concerne la genèse des Vacances de Jésus & Bouddha, lorsqu'on lui a commandé cette série elle n’avait le temps de dessiner que quatre pages. Elle s'est suis donc dit qu'elle allait donner la priorité aux personnages davantage qu’à l’histoire. Alors qu'elle y réfléchissait, elle s'est mise à griffonner son type d’homme sur une feuille, et elle a trouvé qu’il ressemblait à Jésus. Elle s'est alors dit qu'elle allait essayer de dessiner Bouddha. Après réflexion, elle pense que John Anthony Frusciante (guitariste du groupe Red Hot Chilli Peppers, ndlr) lui a certainement servi de modèle.


  
 
 
 
Manga-News : Hikaru Nakamura, merci beaucoup d'avoir accepté cette entrevue. Qu'est_ce qui vous a donné envie de concevoir une oeuvre comique comme les Vacances de Jésus et Bouddha ?
Hikaru Nakamura : Personnellement je suis du genre à créer mes personnages avant les histoires, et comme je fais surtout dans le manga comique, j'ai imaginé un nouveau projet de série humoristique où je souhaitais caser en héros un personnage très très puissant. En cherchant un perosnnage puissant, j'en suis arrivée à réfléchir sur les personnages divins, car quel personnage peut se prétendre plus puissant qu'un personnage divin ? Je suis donc arrivée d'abord sur Jésus. Puis comme il me fallait un deuxième personnage pour que les gags fonctionnent bien, j'ai ajouté Bouddha à ses côtés.


Puisque vous venez de nous dire que vous créez d'abord les personnages, parlons justement de vos deux héros,  Jésus et Bouddha, qui ont des caractères bien définis, amusants et décalés. On a un peu l'impression d'avoir affaire à un vrai couple, avec Bouddha en fée du logis, et Jésus en espèce de geek mal rasé, qui tient son blog... Comment avez-vous déterminé précisément ces deux caractères ?
En fait, je me suis inspirée du couple formé par ma grande soeur et son mari (rires).
La première fois que j'ai déménagé, je ne me sentais pas très bien parce que je n'avais pas l'habitude de vivre seule, du coup j'allais souvent chez eux, et je les trouvais très amusants parce que ma soeur est vraiment très maniaque et que son mari qui travaille dans le milieu du jeu vidéo est plus relâché, détendu et rigolo. La relation entre ces deux personnes aux caractères assez opposés, je trouvais que ça fonctionnait assez bien, car en les observant au quotidien je voyais souvent des situations assez drôles.
Donc je pense que ma principale source d'inspiration pour déterminer les caractères de Jésus et Bouddha est là. Bouddha est ma soeur, et Jésus est son mari ! (rires)


Les Vacances de Jésus et Bouddha comporte énormément de références religieuses, et donc on devine peut-être derrière un certain travail de documentation...
Il est vrai que dernièrement je lis pas mal d'ouvrages de documentation, mais ce n'était pas le cas au début du manga, où j'utilisais surtout mes connaissances personnelles.
Mais de manière générale, je ne lis jamais des ouvrages dans le simple but de me documenter. Je suis quelqu'un qui adore lire, notamment des livres sur les religions et les cultures religieuses, et il m'arrive souvent de piocher des idées dans ces lectures. Par contre, je ne fais pas de recherches spécifiques pour faire un gag, parce que je n'ai pas envie de lire et d'écrire mon manga juste après, je pense que ça m'influencerait trop et que ma série perdrait peut-être un peu de sa saveur et de sa spontanéité.
Bref, ce que je fais, c'est que je lis par intérêt pour le sujet, pour emmaganiser des connaissances, et qu'il m'arrive ensuite régulièrement d'utiliser ce que j'ai retenu de ces nouvelles connaissances.
  
 
  
  
En plus des nombreuses références religieuses, vous distillez également par-ci par-là quelques taquineries envers notre société moderne, par exemple avec le yakuza ou la mode des blogs...
En tout cas, il ne faut pas y voir de critique de la société, il s'agit tout simplement de ressorts scénaristiques.
J'ai introduit le yakuza dans l'histoire parce qu'on sait que Jésus était quelqu'un qui allait souvent vers les criminels et n'hésitait pas à  prendre des repas avec eux. Je me suis donc dit qu'un yakuza, ça collait bien, parce que ça rappelait un peu cet aspect et que c'était finalement fidèle au personnage de Jésus.
Quant aux références aux blogs, il n'y a aucune volonté critique derrière, il s'agit juste d'un moyen parmi d'autres de surfer sur le décalage entre la modernité de notre société et le côté millénaire de Jésus.


En quelque sorte, le yakuza rappelle donc l'histoire originale de Jésus. Y a-t-il d'autres personnages secondaires de ce type qui trouvent leur source dans l'histoire originale de Jésus ou de Bouddha ?
Pas tout à fait.
En fait, en ce qui concerne les personnages secondaires, ma façon de les amener diffère par rapport à mes héros Jésus et Bouddha. Là où j'ai créé Jésus et Bouddha avant de penser à mon histoire, pour les personnages secondaires j'imagine d'abord l'histoire du chapitre, et c'est seulement après que je vois si le chapitre a besoin d'un nouveau personnage pour introduire un sujet.
Les personnages secondaires sont totalement au service de l'histoire, et je n'essaie jamais de caser à tout prix des références aux histoires originales de Jésus ou de Bouddha. C'est dans la continuité de ce que je raconte, car après tout il ne s'agit que d'un manga humoristique.


La majorité des chapitres proposent des petites histoires indépendantes, même s'il y a régulièrement des références qui reviennent d'un chapitre à l'autre. Comment créer-vous un chapitre ? Imaginez-vous d'abord le thème du chapitre, ou pensez-vous en premier lieu aux gags que va contenir le chapitre ?
Je pense d'abord à un thème, ensuite je crée une situation autour de ce thème, puis les gags en découlent automatiquement avec les personnages.
 
 
Donc vous imaginez tout avant de commencer à dessiner ?
En fait, ça dépend pas mal des chapitres. Quand j'ai vraiment un thème précis, par exemple le parc d'attractions, je crée plusieurs gags que je relie ensuite entre eux pour former une histoire, puis je dessine le tout. Mais quand j'ai envie de faire un chapitre plus relâché, où il ne se passe pas grand chose et qu'on suit juste Jésus et Bouddha dans leur quotidien banal ou en train de discuter, je fais dans l'écriture automatique, sans rien préparer.
 
 
  
 
Du coup, en moyenne, combien de temps vous faut-il pour faire un chapitre ?
La plupart du temps, il me faut environ deux semaines.
 
 
Et avez-vous des assistants pour vous aider ?
J'ai quatre assistantes.


Est-ce qu'il arrive que vos assistantes vous proposent des petites idées d'histoire, de thème ou de gag ?
Non (rires).


Et quel est le rôle exact de vos assistantes ?
Elles font toutes les quatre à peu près la même chose : dessiner les décors, poser les trames, encrer... Mais il y en a une qui est spécialisée dans le dessin des bouclettes des cheveux de Bouddha ! (rires)
 
 
En mai prochain sortira au Japon le film anime des Vacances de Jésus et Bouddha. Avez-vous participé au projet ? L'avez-vous supervisé ?
Non, je leur ai quasiment tout laissé faire, ils ont eu carte blanche.
 
 
Et avez-vous déjà vu en avant-première le film ou des extraits ?
J'ai vu quelques scènes pas encore finies, par exemple où la couleur n'était pas encore mise, j'ai vu des storyboards... pas mal de morceaux, en fait.

Qu'en avez-vous pensé ?
Je n'ai pas encore vu le film terminé, mais j'ai assisté aux séances de doublage et j'ai beaucoup aimé les comédiens de doublage, qui se sont beaucoup donnés, ont apporté beaucoup de nuances dans leur jeu.
 
 
 
 
Votre autre série-phare, Arakawa under the Bridge, est encore inédite en France. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la conception de cette série ?
Avant Arakawa under the Bridge, j'ai conçu des histoires courtes réunies dans Nakamura Kôbô. Quand j'ai commencé Arakawa under the Bridge, après avoir créé mes deux personnages principaux, je me suis dit que les nombreux personnages de mes histoires courtes de Nakamura Kôbô seraient tristes si je ne les utilisais plus, et j'ai donc choisi de les reprendre dans Arakawa under the Bridge. C'est comme ça que j'ai pu obtenir la grande galerie de personnages d'Arakawa under the Bridge.
 
 
Vous êtes encore très jeune, avez pourtant déjà deux gros succès à votre actif, et certains vous considèrent déjà comme une petite prodige. Comment gérez-vous cette situation ? Y a-t-il du stress ?
Pour l'instant je ne ressens pas trop la pression parce que je continue mes deux séries tranquillement, mais je pense que je ressentirai cette pression quand je me mettrai à la nouvelle série que j'ai envie de faire, car il y aura probablement une grosse attente au-dessus de moi.
 
 
Votre héros Jésus nous touche assez, nous Occidentaux, et vous voici aujourd'hui en Occident, en France...
Et être en France me rend très heureuse, car je rêvais de visiter le Mont Saint Michel, j'ai enfin pu y aller et j'ai trouvé ça magnifique. J'ai été écrasée par la beauté du lieu. Et le simple fait de me promener dans les rues de Paris m'amuse, car forcément c'est exotique pour moi et très différent du Japon.


Vous disiez tout à l'heure aimer lire des livres sur la religion, vous nous dites à présent que vous rêviez de visiter le Mont Saint Michel qui est un monument religieux renommé... Visiter des édifices religieux fait également partie de votre passion ? En avez-vous visité d'autres à travers le monde ?
J'avoue, je préfère de très loin visiter des monuments plutôt que faire du shopping (rires). J'en ai visité d'autres, par exemple j'adore les temples de Nagasaki. Après, ce que j'aimerais voir le plus dans le monde, ce n'est pas un monument : j'adorerais assister à une aurore boréale.
 
 
Remerciements aux éditions Kurokawa, à Grégoire Hellot pour la traduction, ainsi qu'à Hikaru Nakamura et son staff.