KAWAI Tôko - Actualité manga

KAWAI Tôko 川唯東子

Interview de l'auteur

Japan Expo fut marquée par la venue de l'une des plus populaires auteures de boy's love, qui officie dans le genre depuis plus de 10 ans: Toko Kawai, invitée par les éditions Taifu Comics. Souriante, disponible et infiniment gentille, l'auteure accepta de nous accorder une riche interview, revenant notamment avec plaisir sur son parcours, ses raisons d'avoir choisi d'exercer dans le manga et plus précisément le boy's love, son amour immense pour l'art, et ses quelques états d'âme quant à l'évolution du dessin de manga. Nous vous proposons aujourd'hui la retranscription de cette interview.

Bonne lecture !




Manga-news: Nous savons que vous êtes arrivée dans le milieu du manga un peu tardivement, que vous avez d'abord travaillé dans le milieu du design et que c'est en voyant le travail d'une amie mangaka que vous avez eu envie de faire des mangas. De manière plus précise, quels sont les éléments observés chez cette amie mangaka qui vous ont donné envie de vous lancer dans le manga ?
Toko Kawai: Un peu tout, je pense. Alors que, de mon côté, je ne faisais que du design, je voyais mon amie faire des histoires, créer des scénarii, faire des dessins, penser à des scènes, des décors, etc... et c'est comme ça que mon intérêt pour cet univers a grandi. C'est ce fait de tout créer et accomplir soi-même du début à la fin qui m'a attirée.


Qu'est-ce qui vous a donné envie de vous orienter vers le genre du boy's love ?
Je lisais moi-même du boy's love au collège, et il s'agit donc d'un genre que j'aime beaucoup également en tant que lectrice. Quant au fait que je sois auteure de boy's love, c'est parce que je pense que le fait que ce type d'histoires ne mette pas en scène des filles évite pas mal de problèmes que nous, les femmes, considérons comme parfois un peu "prise de tête", comme le mariage, les enfants, etc... De plus, cela évite aux lectrices un quelconque sentiment de "rivalité" avec les personnages, tout comme cela leur évite une trop forte identification: si le personnage était une fille, les lectrices pourraient se mettre à sa place, s'interroger sur ses réactions et, si ces dernières ne lui conviennent pas, être agacée. Avec deux hommes en face, je pense que ce problème se pose moins pour elles. Et je voulais créer des histoires simples, qui ne se soucient pas de tout cela, où l'amour est réellement la chose la plus importante.


Quand vous avez décidé de vous réorienter dans le manga, avez-vous suivi une formation particulière ?
Non, pas du tout, et ça m'a d'ailleurs posé quelques petits problèmes, car je ne comprenais pas ne serait-ce que le vocabulaire typique de ce milieu, comme les notions de storyboard et de rough, ce qui amenait des problèmes de compréhension lors des réunions avec mon responsable éditorial. Le fait que je sois totalement autodidacte m'a donc posé quelques petits problèmes au début.

   


Dans quelle mesure pensez-vous que votre ancien travail dans une société de design a influencé votre style dans le manga ?
A vrai dire, les deux n'ont pas grand chose à voir car avant je faisais du dessin industriel, par exemple pour des publicités, etc... ce que je trouvais très ennuyeux. Et j'ai finalement tout plaqué pour me lancer dans le manga (rires).


Y a-t-il des artistes que vous adorez particulièrement ? Que ce soit dans le manga ou non... Pensez-vous que certains d'entre eux vous ont influencée ?
Je pense qu'aucun artiste ne m'inspire vraiment, ou alors juste un petit peu, car j'adore tout créer toute seule. Toutefois, je dois dire que j'aime beaucoup l'art en général, que ce soit le dessin, la peinture, la photo... J'aime beaucoup, par exemple, le travail de Bernard Faucon. Quand je regarde une photo ou un tableau, souvent, il y a une toute petite partie qui va me plaire, par exemple des fruits, et je vais à tout prix vouloir intégrer ça dans mon histoire, à un moment ou à un autre, ne serait-ce que dans une petite case (rires). Ce sont des influences minimes, mais il est vrai qu'elles existent bel et bien. J'adore l'art, je le vis complètement. Dès que j'ai du temps libre, je le passe dans les musées. Et pour revenir sur Bernard Faucon, j'aime beaucoup sa façon de réunir plusieurs images, et j'essaie, dans mes mangas, de découper les cases de façon aussi équilibrée, ordonnée.
 
Ci-dessous, "Les moulins d'or de Bernard Faucon".

1988 © BERNARD FAUCON


Au vu de la plupart de vos oeuvres, vous semblez beaucoup aimer l'aspect tranches de vie. D'où vous vient ce goût ? Vous documentez-vous de quelque manière que ce soit pour les dépeindre ?
Je pense que beaucoup de mangakas ont la même façon de faire que moi: j'aime bien voir ce que font les gens, les observer. Par exemple, en allant prendre un café, je vais observer autour de moi, regarder les mimiques des gens, les têtes qu'ils font quand ils parlent, essayer de deviner pourquoi ils font telle ou telle tête, avec qui ils sont (rires).


Y a-t-il une part d'expérience personnelle dans vos oeuvres ?
Oui, ça m'arrive, mais c'était beaucoup plus le cas avant. Je prenais mes expériences et les déguisais un peu.


Quelle vision pensez-vous que les Japonais ont de l'homosexualité ?
C'est peut-être une réponse inattendue, mais je pense que c'est une minorité qui est bien acceptée, notamment par rapport à d'autres époques où c'était un tabou.

   


En dessinant du boy's love, cherchez-vous à faire passer un message précis sur l'homosexualité ?
Ce n'est pas une chose à laquelle j'ai vraiment réfléchi. Je n'essaie pas de faire accepter l'homosexualité aux réfractaires, ni de faire passer de message politique ou quoi que ce soit de ce type. Tout simplement, moi j'aime ça, et le boy's love est un style qui me permet de m'exprimer comme je le veux. C'est tout naturel pour moi.


Quels outils utilisez-vous pour dessiner ?
Je fais tout à la main, toute seule. Je n'ai pas d'assistants, et n'utilise l'ordinateur que pour faire des petits dessins qui n'ont pas de rapport avec mes mangas. D'ailleurs, je commence un peu à avoir peur, car de plus en plus de mangakas utilisent l'ordinateur, et les crayons et plumes se raréfient et deviennent de plus en plus chers. Du coup, je me dis que peut-être qu'un jour je devrai moi aussi me mettre à l'ordinateur, et ça m'inquiète car je n'en ai pas du tout envie.


Il est vrai que, personnellement, je trouve votre travail tel qu'il est actuellement très bien, à la fois sincère et chaleureux, et qu'il serait dommage d'y ajouter la patte informatique, qui pourrait avoir tendance à rendre votre trait plus impersonnel et, peut-être, plus froid...
Je pense la même chose que vous et vous en remercie. Par exemple, en ce qui concerne les images colorisées, aujourd'hui 90% des mangakas utilisent l'ordinateur, alors que moi j'adore colorier à la main. Ce qui est vraiment dommage, c'est qu'au Japon, cette façon de procéder est vue comme quelque chose d'un peu "has been", de dépassé. Ca ne m'empêche pas de continuer à adorer la colorisation à la main, mais tout ceci me rend un peu triste.


Parmi vos oeuvres, quelle est celle dont vous êtes la plus fière, et pourquoi ?
Ce serait vraiment Kurumi no Naka (qui sortira aux éditions Taifu sous le titre In the Walnut). Pourquoi est-ce mon préféré ? Parce que je l'ai vraiment créé avec une liberté totale. J'ai pu y mettre tout ce que j'adore. Comme déjà dit, j'adore l'art depuis toute petite, et dans Kurumi no Naka, j'ai mis en scène les personnages dans le milieu artistique, puisque le héros travaille dans une galerie d'art. Je suis très heureuse d'avoir pu me concentrer sur ma passion et d'avoir pu la mettre dans mon manga. Et à vrai dire, le sujet principal de cette oeuvre n'est pas vraiment l'amour et le boy's love, mais plutôt l'art.




A votre avis, quel est le personnage de vos oeuvres qui vous ressemble le plus, et pourquoi ?
Oh (rires) ! Au niveau du sentiment amoureux si l'on se fixe juste là-dessus, il s'agit de l'homme uke dans Keijijou na Bokura (non paru en France, paru en Anglais sous le titre Our Everlasting). Comme lui, je suis timide et ai du mal à exprimer mes sentiments envers les personnes que j'aime bien. De plus, il s'agit de ma première oeuvre, donc c'est celle où il y a le plus de moi-même, d'expérience personnelle.




Il me semble qu'à ce jour, vous n'avez dessiné que des boy's love. Pensez-vous vous essayer à un autre genre à l'avenir ?
Non, car je m'épanouis pleinement dans le boy's love. Et si l'envie me prenait un jour de m'essayer à un autre genre, je ne sais pas si cela serait très utile, car comme je l'ai déjà signalé au sujet de Kurumi no Naka dans lequel j'aborde plus l'art que le boy's love lui-même, mon éditeur me laisse aujourd'hui une grande liberté qui me permet d'aborder tout ce que je veux.


Etiez-vous déjà venue à Paris avant ?
Oui, en fait c'est la troisième fois que je viens en France. En tant que touriste, j'ai déjà visité le musée d'Orsay, le musée du Louvre, et bien d'autres monuments artistiques. Mais pour cette troisième fois et première fois en tant qu'invitée, les éditions Taifu ont eu la gentillesse de me faire visiter des musées que je ne connaissais pas encore, comme le Sacré Coeur, le musée Jacquemart-André qui m'a même donné une idée pour mon prochain manga, où j'ai envie de mettre en scène un collectionneur d'art richissime... J'étais folle de joie de ces découvertes !


Aviez-vous déjà participé à des festivals avant Japan Expo ?
Un seul: le Yaoi Con aux Etats-Unis, à San Francisco. Même au Japon je n'ai jamais participé à un seul festival. Sinon, je suis aussi déjà allée en Italie, mais en tant que touriste, uniquement pour l'art.


Pouvez-vous citer les 3 mangas (de n'importe quel genre) que vous chérissez le plus (lectures de jeunesse ou lectures actuelles) ?
Banana Fish est loin en tête ! Ensuite, je dirais Slam Dunk, que je relis souvent, même si ça me prend beaucoup de temps ! Enfin, le yaoi Charisma de Satoru Ishihara, qui est peut-être l'auteure qui m'a le plus donné envie de publier du manga en tant que professionnelle dans le boy's love.

   
 

Merci beaucoup pour cette interview !


Remerciements à l'auteur et aux éditions Taïfu Comics.