HASHIMOTO Kachô - Actualité manga

HASHIMOTO Kachô 橋本花鳥

Interview de l'auteur

Publiée le Mardi, 15 Juillet 2014

Interview



Invitée des éditions Glénat à Japan Expo, la jeune et souriante Kachou Hashimoto, présente pour présenter sa série Cagaster, n'eut malheureusement pas de chance en se brisant le poignet pendant le salon. Mais avant cela, elle eut malgré tout le temps de tenir une conférence publique, sur laquelle nous reviendrons plus tard, et put accorder quelques interviews, dont la nôtre, que nous vous proposons de découvrir aujourd'hui.
  
Le choix de se passer d'un éditeur au Japon, l'élaboration de l'univers de Cagaster, les grands thèmes de la séries, les influences... Autant de sujets que nous avons pu aborder avec une artiste bavarde et originale !
   
             
       
Manga-News : Kachou Hashimoto, merci beaucoup d'avoir accepté de répondre à nos questions. Comment avez-vous été repérée par Glénat ? Comment s'est déroulée la collaboration pour arriver à l'édition française de Cagaster ?
Kachou Hashimoto : Fin 2012, j'ai reçu un mail des éditions Glénat me proposant une édition française de la série. Etant donné qu'à cette époque les éditions Glénat s'apprêtaient à venir au Japon, ils m'ont proposé de venir directement me rencontrer. J'ai accepté, nous nous sommes rencontrés en vrai et l'entrevue s'est bien passée. Ensuite, nous avons continué à correspondre par mail, et à quelques reprises de vive voix quand l'éditeur était de passage au Japon. Ce sont ces différents échanges qui, petit à petit, nous ont permis de peaufiner ce qui allait être la version française de Cagaster.
    
    
Au Japon, pourquoi avez-vous fait le choix de vous  passer d'un éditeur ? Cela résulte-t-il d'une mauvaise expérience avec un éditeur ? De demandes trop restrictives ? 
Il y avait plusieurs raisons, dont une liée au fait que je ne m'entendais plus très bien avec l'éditeur pour lequel je travaillais à cette époque.
Mais avant ça, il y avait surtout en moi l'envie d'effectuer un retour aux sources, en dessinant une œuvre qui me plaise totalement, loin des considérations professionnelles.
   
   
Peut-être ce choix réside-t-il aussi dans une envie de mêler librement, sans restrictions, l'action et l'univers assez adultes de la série à des choses plus féminines (notamment avec la douce Ilie) ? Etait-ce un moyen pour vous de vous affranchir des codes habituels du manga ?
Oui, c'est exactement ça. Me passer d'un éditeur m'a permis de m'affranchir de toutes les limites imposées par celui-ci, et de mêler pleinement ce que je voulais sans avoir le moindre frein...
             
Vous fixiez-vous des dates limites pour la mise en ligne des chapitres ?
Oui, je m'étais fixé quelques limites, notamment essayer de publier mes planches une fois par mois. Par contre, quand j'avais d'autres travaux qui arrivaient en parallèle, j'avais tendance à privilégier le côté professionnel, et à étirer un peu plus la publication de Cagaster.
  
   
Un choix d'autant plus logique qu'il me semble que Cagaster était publié gratuitement et ne vous rapportait donc rien financièrement ?
Effectivement. Et puis du côté des travaux professionnels qui étaient rémunérés, il y avait des dates limites, et si je ne m'étais pas appliquée à rendre ces travaux dans les temps, ça aurait mis mon commanditaire dans l'embarras !
    
     
Les lecteurs sont-ils facilement arrivés sur la série en terme d'affluence ?
Au début ce n'était pas facile, car il n'y avait aucun réseau social type Twitter ou Facebook pour diffuser largement la série. C'est donc surtout par le bouche à oreille que la série s'est fait connaître. Certains lecteurs racontaient sur leur blog qu'ils avaient aimé la série, et petit à petit cela a amené de plus en plus de nouveaux lecteurs.
   
    
Pensez-vous que cette façon indépendante de publier peut ouvrir une nouvelle voie pour l'avenir du manga, à l'heure où le système des magazines de prépublication tend à régresser avec des tirages plus faibles d'année en année ?
Personnellement je ne voudrais pas que les magazines disparaissent et que tout devienne dématérialisé, car j'adore lire sur papier, j'aime la sensation du toucher, et j'ai l'impression de retenir plus facilement ce que je lis sur papier.
Mon idéal est que les deux supports continuent d'exister, pour avoir à la fois des titres qui se lisent mieux sur papier, et des titres qui se lisent plus facilement sur internet. Je souhaite que le papier et internet coexistent en ayant de bonnes influences l'un sur l'autre.
   
                
Le tome 1 de Cagaster met en place de façon habile un univers assez complexe, apocalyptique, avec différents secteurs, des cités... Comment avez-vous imaginé cet univers ? Par quelles étapes êtes-vous passée ? 
Déjà, merci beaucoup pour le compliment (rires) ! Je pense que mon univers doit beaucoup aux jeux vidéo que j'ai faits. Par exemple, dans les RPG les villes fonctionnent un peu comme ça, avec un système de cités et de secteurs aux caractéristiques spécifiques et souvent séparés par des lieux plus désertiques, et c'est en me demandant comment pouvait marcher la structure d'une société dans un jeu vidéo que j'en suis arrivée à ce résultat.
  
   
On a dans Cagaster des lieux qui semblent assez différents : des déserts, des canyons, et des cités aux accents arabiques, aussi des noms arabiques comme Qasim, les cités marchandes qui ressemblent à des souks arabes... Vous êtes-vous documentée pour retranscrire ce style arabique ?
Merci d'avoir remarqué cela. J'ai effectivement voulu retranscrire une ambiance arabique. Malheureusement, je n'ai pas pu me rendre moi-même dans ces pays, mais j'ai acheté beaucoup de livres dessus : des livres de photos, des carnets de voyage... J'ai également regardé plusieurs émissions télévisées, et je me suis inspirée de toute cette documentation pour créer l'univers de Cagaster.
  
   
Il y a également un gros travail sur les conséquences collatérales de cet univers : inégalités sociales, pauvreté, bidonvilles jonchés d'orphelins livrés à eux-mêmes... On devine facilement que c'est un aspect qui vous tenait à cœur...
L'univers de Cagaster est très sombre, tout le monde ne vit pas dans la joie, et j'ai alors souhaité montrer, dans ce monde apocalyptique assez dur et triste, comment les personnages essaient de trouver du bonheur dans leur vie. Comment surmonter tout ça, comment trouver des aspects positifs dans ce quotidien difficile, c'est quelque chose que j'ai voulu mettre beaucoup en avant. Bien sûr, il y a beaucoup d'autres aspects que j'ai voulu aborder, mais celui-ci est effectivement l'un des grands thèmes qui me tenaient le plus à cœur.
   
   
Et ça se ressent beaucoup à travers le personnage d'Ilie, la touche féminine de la série. Elle reste pure mais a du caractère, et donne toujours le meilleur d'elle-même, surtout quand elle travaille au bar, si bien qu'elle égaye beaucoup le quotidien de son entourage...
Ilie est un personnage qui vient de l'extérieur. Elle n'est pas originaire de la ville, vient d'un endroit plus reculé, et découvre alors avec son innocence caractéristique l'univers plus dur de la ville. Du coup, elle apporte effectivement beaucoup de gaieté et de la fraîcheur, et je pense également qu'elle représente un peu le regard des lecteurs qui découvrent avec elle la ville et le monde qui l'entoure.
Dans le bar, j'ai voulu faire en sorte que, par sa présence, elle devienne en quelque sorte l'idole des lieux.

       
  
    
Elle rappelle un peu un personnage comme Cheeta dans Le Château dans le Ciel : son caractère pur et déterminé attendrit le cœur de son entourage, y compris celui des plus « sales gueules » du bar (et des pirates en ce qui concerne Cheeta dans le film de Ghibli).
Oui ! J'adore les œuvres du studio Ghibli, et je pense avoir connu énormément d'influences de ces films, volontairement ou involontairement !
    
   
Puisqu'on parle des influences de Ghibli, on note aussi vers la fin du tome 1 un insecte qui ressemble un peu aux Omus de Nausicaä de la Vallée du Vent !
C'est amusant que vous disiez cela, car c'est quelque chose que je me suis dit après avoir dessiné ce passage ! Je ne suis pas allée copier Nausicaä, mais les films du studio Ghibli sont tellement présents en moi que quand j'ai imaginé certains insectes, je pense qu'ils m'ont influencé involontairement. Les films de Ghibli sont en moi !
   
   
Et y a-t-il d'autres grandes séries, des films d'animation, des studios qui vous ont inspirée ?
En fait, j'adore les animes s'inspirant de chefs d'oeuvre de la littérature jeunesse, comme Nadia qui s'inspire des romans de Jules Verne, Princesse Sarah, Rémi sans famille... Je suis également très fan des œuvres du studio Gainax, en tête Nadia que j'ai déjà cité, mais aussi Evangelion.
   
    
Puisqu'on parle de la Gainax, le personnage du barman Mario dans votre série rappelle beaucoup Leeron de Gurren Lagann...
Oh (rires) ! En fait, de mémoire, je crois que j'ai commencé à dessiner Cagaster un petit peu avant l'arrivée de Gurren Lagann, mais il est vrai que le personnage du travesti au Japon est une figure que l'on croise souvent et qui est souvent représentée ainsi, surtout chez la Gainax.
   
    
Quels outils utilisez-vous pour dessiner ?
Je dessine en semi-traditionnel et semi-digital. 
Je commence par dessiner sur papier avec le traditionnel J-pen, puis je scanne mes pages pour poser les trames par ordinateur.
Au moment d'envoyer les fichiers à l'imprimeur c'est en version digitale, mais je commence toujours par dessiner sur papier.
  
   
Qu'est-ce qui était le plus dur à dessiner ?
Le plus difficile pour moi était de dessiner le visage de Kidow. Mais le plus compliqué était le design des insectes, parce qu'il fallait dessiner beaucoup de traits et que ça prenait donc beaucoup de temps.

       
 
  
Justement, les insectes promettent d'avoir des designs travaillés. Comment avez-vous procédé pour élaborer leur design ?
Au niveau du design, ce ne sont pas à 100% des insectes, mais plutôt un mélange entre humain et insecte. Par exemple, au niveau du menton j'ai laissé des os humains. Ou au niveau des pattes, au lieu d'en mettre six, j'ai préféré en mettre quatre à la façon des insectes et deux repliées au milieu.
   
On sait que vous vous êtes essayée à plusieurs types d'histoires : récit apocalyptique comme Cagaster, biographie, pachinko... Quels autres styles aimeriez-vous essayer ?
J'aimerais continuer dans le domaine du divertissement, dans des œuvres d'aventure dans la continuité de Cagaster. Mais peu-être des œuvres un peu moins sombres. Cagaster n'est pas forcément une œuvre ultra sombre, mais ça reste un univers dur qui peut rebuter certaines personnes, donc j'aimerais désormais faire une œuvre plus accessible à tout un chacun.
    
   
De plus, les séries biographiques et sur le pachinko que vous avez faites étaient des travaux de commande. Vous aimeriez éviter ce genre de travaux à l'avenir ?
En fait, si j'avais deux corps j'aimerais pouvoir faire les deux, car dans les œuvres de commandes il y a des biographies historiques que j'ai trouvées très amusantes et intéressantes.
Mais si je dois faire un choix, je pencherais sans aucun doute pour les histoires originales.
   
   
A votre avis, quels sont actuellement les ingrédients d'un shônen original, d'un bon shônen, à une époque où ce genre est saturé ?
Je pense que c'est ce que tous les éditeurs japonais sont en train de se demander en ce moment (rires). 
Personnellement, je pense que plutôt que de chercher absolument une recette qui marche et de rechercher le succès, il faut plutôt faire confiance à ce que l'on ressent, dessiner ce que l'on a envie de dessiner, et peut-être que dans le flot de nouvelle œuvres il y en aura une qui marchera, parce que ce qui est important est de faire partager ce que l'on ressent, de faire plaisir au lecteur tout en se faisant plaisir.
  
     
Merci beaucoup pour cet entretien.
Merci à vous !
   
  
Remerciements au staff de Japan Expo, à Fanny Blanchard pour la mise en place de l'interview, à Satoko Inaba pour la qualité de sa traduction, et à Kachou Hashimoto pour sa gentillesse, et à qui nous souhaitons un bon rétablissement !
   
Mise en ligne en juillet 2014.


Conférence publique


Il y a 10 mois, les éditions Glénat profitaient de Japan Expo pour lancer en fanfare Cagaster, leur nouveau shônen en 6 volumes à la parution japonaise plutôt inhabituelle puisqu'il fut entièrement publié de façon personnelle sur internet par son auteure, Kachou Hashimoto.

Présente au début du salon parisien avant de connaître un malheureux accident, la mangaka avait eu néanmoins le temps de nous accorder une interview (que vous pouvez retrouver en suivant ce lien), mais aussi de tenir une conférence où elle répondit aux différentes questions posées par le public.

Cagaster se terminant en France cette semaine, nous avons choisi de revenir aujourd'hui sur cette rencontre de l'artiste avec ses lecteurs, afin de boucler la boucle avec cette oeuvre courte et maîtrisée que nous avons beaucoup aimée.

Après une petite présentation de Cagaster par l'animateur de la conférence et responsable éditorial de Glénat Manga Stéphane Ferrand, la suite fut consacrée à des questions-réponses avec le public.





D'où vous vient votre intérêt pour le dessin et pour les mangas ?

Kachou Hashimoto : Je suis passionnée de manga depuis environ l'âge de 5 ans. J'ai voulu en dessiner quand je suis entrée au collège, mais j'ia réellement commencé en entrant au lycée.

Après le lycée j'ai passé une année dans une école de manga, mais ça ne m'a pas appris beaucoup de choses. Après cette année peu fructueuse, j'ai eu la chance de devenir l'assistante d'un mangaka professionnelle pendant deux ans. Deux années où j'ai appris beaucoup de choses en dessinant les fonds et les décors.


Est-ce un phénomène courant, au Japon, de publier son manga sur internet sans passer par un éditeur ?

On trouve beaucoup de personnes publiant leurs oeuvres sur internet, que ce soit des auteurs reconnus ou des débutants.

Pour ces derniers, s'auto-publier sur le net peut être un très bon moyen de se faire connaître et repérer.



Est-ce que le fait d'être publiée en France a poussé des maisons d'édition japonaise à s'intéresser à Cagaster ?


Depuis 8 ans que j'ai écrit Cagaster, il y a eu plusieurs maisons d'édition japonaises qui se sont intéressées à ma série. Mais à chaque fois, elles voulaient m'obliger à ne plus la publier en ligne, ce que je n'ai jamais voulu faire.

Pour la publication française, les éditions Glénat ne m'ont jamais demandé une telle chose, et c'est en partie pour ça que j'ai accepté qu'ils me publient !


Au Japon, y a-t-il beaucoup d'opportunités pour devenir mangaka ?

Difficile de dire quel est le chemin le plus simple ou le plus rapide.

En tout cas, depuis l'arrivée d'internet, il est plus facile de faire connaître ses oeuvres jusqu'à se faire repérer par des maisons d'édition et se faire publier dans des magazines. Je pense que c'est une pratique qu'on voit de plus en plus au Japon.

Après, si malgré tout on n'arrive pas à se faire publier par des éditeurs, il faut persévérer ! Continuer, encore et encore, et présenter ses oeuvres sur le net.



Pour le déroulement de votre histoire, vous avez donc tout décidé toute seule ? Ou y avait-il tout de même des personnes de votre entourage qui vous ont conseillée ?

Mon concept était de tout décider et tout dessiner par moi-même, donc je ne recevais de conseils de personne. Mais autour de moi, des amis m'ont soutenue dans ma démarche. Pas en tant que conseillers, simplement en tant qu'amis et fans.


La publication de votre série sur internet était-elle gratuite, ou avez-vous mis en place un système de paiement ?

On peut lire Cagaster en japonais entièrement gratuitement depuis le début, et c'est encore le cas aujourd'hui.



Combien de temps par jour dessinez-vous ?

Je passe mon temps à dessiner, du matin jusqu'au soir, sauf quand je mange, quand je dors et quand je me lave. Simplement parce que j'adore ça.


Peut-on espérer une version animée de Cagaster ?

Au Japon, plusieurs lecteurs me l'ont déjà demandé. A chaque fois, je leur réponds que si on me donnait le budget pour le faire ce serait avec plaisir. Mais je ne peux pas le faire toute seule. Si vous connaissez quelqu'un qui pourrait apporter les fonds nécessaires, n'hésitez pas à me le dire !



Quels outils utilisez-vous pour dessiner ?

Les personnages et décors sont entièrement faits à la main. J'utilise l'ordinateur pour faire les trames et coloriser les pages couleur.


Quels sont vos auteurs de prédilection et vos inspirations ?

Je suis très très inspirée par Kazuhirô Fujita, l'auteur de Moonlight Act, Karakuri Circus et Ushio to Tora. C'est mon maître.



Qu'est-ce qui a été le plus difficile et vous a pris le plus de temps dans l'élaboration de Cagaster ?

Je dirais que ce sont les dessins, car au niveau de l'histoire j'avais déjà tout dans ma tête avant de commencer à dessiner. Mais tout était tellement bien pensé dans mon esprit que parfois j'avais du mal à dessiner fidèlement mes idées, notamment les insectes. J'ai donc dû un peu me limiter.


La fin était donc, elle aussi, pensée dès le départ ?

Quand j'ai commencé à dessiner la série, j'avais déjà la fin en tête. Mais comme il m'a fallu 8 ans pour tout faire, il y a quand même eu quelques petits changements en cours de route.


Est-ce que vous imaginiez qu'il y avait en France des événements comme Japan Expo, centrés sur le Japon ?

Je savais que Japan Expo existait, car c'est très connu au Japon. Mais j'imaginais ce salon un peu comme le Comiket, qui est au Japon une gigantesque convention surtout dédiée aux auteurs amateurs et aux fanzines.

En tout cas, je trouve qu'il fait très chaud ici ! Mais l'endroit où est organisé Japan Expo est bien plus beau que la salle où est organisée le Comiket.


Les dernières minutes de la conférence virent Kachou Hashimoto réaliser un dessin live, que vous pouvez découvrir ci-dessous en photo. La mangaka s'amusa à y croquer son voyage jusqu'à Paris.


Mise en ligne en mai 2015.


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Mardi, 02 Janvier 2018

A l'occasion du salon Japan Touch à Lyon, Kachou Hashimoto, la mangaka à qui l'on doit les séries Cagaster et Arbos Anima chez Glénat, était présente en France. Après l'avoir questionnée sur Cagaster lors de sa venue à Japan Expo en 2014, nous avons profité de son passage sur Paris début décembre pour repartir à sa rencontre, cette fois-ci pour parler d'Arbos Anima, sa dernière série en date. On a retrouvé avec plaisir une artiste toujours aussi bavarde et souriante !


Tout d'abord, merci à vous d'être de retour en France et d'avoir accepté cette interview.

Kachou Hashimoto : Merci à vous, je suis très heureuse de vous revoir.



Après Cagaster qui était proposé en auto-édition, qu'est-ce qui vous a poussée, pour Arbos Anima, à revenir chez un éditeur classique ?

Evidemment, je me suis beaucoup amusée à faire Cagaster pour moi-même, mais je ne me suis jamais dit que jamais plus je ne ferais de manga pour un éditeur professionnel. Je me disais que pour ma prochaine œuvre j'accepterais bien une collaboration avec un éditeur.


En 2014, vous nous aviez dit avoir choisi l'auto-édition pour Cagaster afin de pouvoir faire une œuvre qui vous plaise totalement, loin des considérations professionnelles. Malgré tout, retrouvez-vous la même liberté sur Arbos Anima, ou avez-vous certaines contraintes ?

Bien sûr, je me fais toujours plaisir en dessinant cette œuvre, par contre il y a les contraintes de temps liées au rendu des planches pour publication. Du coup je me mets naturellement une pression pour respecter les délais, et à chaque rendu de planches je ne peux m'empêcher de me demander si tout ce que j'ai dessiné sous cette pression est bien conforme à ce que j'avais en tête. J'ai la chance d'avoir un éditeur qui ne me bride pas et qui me laisse faire ce que je veux au niveau du contenu, mais malgré ça il y a une pression qui vient de moi-même.


Arbos Anima installe un univers très prometteur et assez original dans son concept et son utilisation des plantes. Comment avez-vous imaginé cet univers ? Par quelles étapes êtes-vous passée ? 

Tout d'abord, au départ je ne m'y connaissais pas beaucoup en Histoire du 19ème siècle, ni en histoire botanique. J'ai donc commencé en cherchant de la documentation et j'ai lu tout ce qui pouvait exister au Japon sur cette époque, sur la botanique et sur les chasseurs de plantes.



Qu'est-ce qui vous a donné envie d'aborder un tel thème ?

Au départ j'envisageais surtout de dessiner quelque chose en rapport avec la Compagnie des Indes Orientales, le commerce et les voyages de l'Orient vers l'Occident. Mais plus je menais mes recherches, plus je tombais sur des pans de l'Histoire pas très réjouissants ni divertissants, avec beaucoup de colonisation, de racisme... Quand j'ai été confrontée à ça, j'ai remarqué les histoires sur les chasseurs de plantes, et c'est là que je me suis dit qu'un tel sujet pouvait faire un très bon thème pour un récit d'aventure.


Du coup, à la base, qu'est-ce qui vous attirait vers la Compagnie des Indes Orientales et le 19ème siècle ?

J'ai toujours aimé la fantasy. Même Cagaster, qui est de la science-fiction, reste aussi axé fantasy. Et quand je me demandais d'où venaient certains éléments de fantasy que j'aime beaucoup, je me suis rendu compte qu'ils puisaient beaucoup leurs sources dans le 19ème siècle.


Quels éléments en particulier ?

Si on doit parler d'une œuvre branchée fantasy que j'adore en particulier, ce serait Nadia et le secret de l'eau bleue.



En 2014, parmi les influences de Cagaster, vous citiez Ghibli, Gainax, Gurren Lagann... Y a-t-il eu aussi des inspirations, directes ou indirectes, pour Arbos Anima ? Par exemple, on peut penser à Jules Verne, un auteur qui justement a beaucoup influencé Nadia et le secret de l'eau bleue...

Effectivement, surtout via Nadia, Jules Verne a été un grosse influence. Après, il n'y a pas eu beaucoup de temps entre la fin de Cagaster et le début d'Arbos Anima, donc entre les deux séries je n'ai pas eu de changements d'influences énormes. Il faut plutôt se dire que toutes ces influences que j'ai eues en tant qu'auteure, je les ai cumulées.


La série a un très fort parfum d'aventure grâce à la présence de pirates, à l'Asie du sud-est, à l'exploration d'îles... Qu'est-ce qui vous a donné envie d'inclure ce type d'éléments ?

Tout d'abord, à l'époque de Darwin, il y avait un explorateur du nom d'Alfred Russel Wallace. Il y avait la traduction de son œuvre en japonais, et celle-ci m'a apporté énormément d'éléments.


En plus de Wallace, quels ont été vos principaux documents de référence ?

L'histoire se passant essentiellement en Asie du sud-est, je me base donc essentiellement sur les écrits de Wallace qui a fait beaucoup de recherches dans l'archipel malais entre autres.

Alfred Russel Wallace.

Et concernant les plantes ?

Wallace était justement quelqu'un qui vivait en notant tout ce qu'il observait sur la région, y compris sur les animaux et les plantes, et tout ce qu'il a fait a vraiment été très utile pour Arbos Anima.


C'est donc de lui aussi que viennent des éléments assez spécifiques de l'Histoire des plantes, comme la chasse aux orchidées rares qui est évoquée dans le tome 2 ?

La chasse aux orchidées fait justement partie des choses qui ne viennent pas spécifiquement de lui pour ma série. Quand on fait des recherches sur les chasseurs de plantes au 19ème siècle, on tombe énormément sur des histoires d'orchidées. C'était ce qu'il y avait de plus populaire à ce moment-là. Avant le 19ème siècle, de mémoire au 16ème ou au 17ème, il y avait déjà eu une affaire de vente de tulipes où les prix étaient montés tellement haut que ça avait eu des conséquences économiques à l'époque. L'orchidée au 19ème siècle, c'est un peu l'équivalent de cette affaire de la tulipe.


Pour les bâtisses et les costumes d'époque, vous basez-vous sur de la documentation, sur des modèles ? Comment les reproduisez-vous ?

Le monde est très bien fait, parce que quand je tape sur des sites « 19ème siècle Singapour », « 19èm siècle Asie » et d'autres choses de ce genre, il y a des vieilles photos de l'époque qui apparaissent, et je peux m'en inspirer. Récemment, cette année, je suis moi-même allée à Singapour et j'ai pu prendre des photos là-bas. Elles me servent d'ores et déjà pour les dessins de mon manga.



En dessinant Arbos Anima, avez-vous acquis le même amour des plantes que Noah, le héros de la série ?

Oh ! (rires) A la base je les aimais déjà beaucoup, j'allais en voir des les jardins des plantes. J'étais déjà une passionnée, mais quand même pas au même point que Noah (rires).


Avez-vous des styles de plantes préférés ?

C'est difficile de faire un choix parce que j'aime toutes les plantes, mais c'est vrai que ces derniers temps, vu je les dessine dans Arbos Anima, je suis très attirée par les plantes d'Asie du sud-est.


On a un héros qui sert d'intermédiaire entre humains et végétaux, des missions où les plantes ont souvent un très beau rôle auprès des humains (par exemple avec la petite Sarah dans le tome 2)... On peut alors entrevoir dans la série comme un cri d'amour envers les plantes, les arbres, la végétation. Est-ce voulu ?

Pour être franche, je n'essaie pas de faire passer un joli message écologique dans mon manga. J'essaie justement plutôt de montrer avec réalisme qu'il s'est passé historiquement sur ces hommes qui ont voulu profiter des plantes. Et Noah, qui aime tant les plantes, va souffrir dans cette histoire.



Comment avez-vous déterminé le caractère de chacun des principaux personnages de la série ?

Premièrement, comme le héros Noah est plutôt chétif et faible, je me suis dit que les autres autour devaient savoir se battre. Sur les trois premiers personnages, j'ai vraiment cherché un équilibre. On a un héros chétif et qui adore vraiment énormément les plantes (peut-être un peu trop), donc à ses côtés il fallait Rudyard le personnage qui le protège, qui est puissant mais qui est également attentif, et Eve, la jeune fille qui elle n'aime pas les plantes au départ.


Comme Ilie dans Cagaster, Noah, vu qu'il a été enfermé dans une serre pendant des années, est un personnage qui commence tout juste à découvrir le monde.  Est-ce voulu ?

Je trouve que c'est génial que vous ayez réussi à le voir, car c'est exactement pour ça que je l'ai fait ! Je voulais que Noah soit un peu un écho d'Ilie.


Et du coup, comme Ilie dans Cagaster, il peut représenter un peu le regard des lecteurs qui découvrent en même temps que lui le monde...

Noah est difficile à décrire, car il a un côté très spécialiste des plantes et est dans sa bulle. Bien sûr, quand il part à l'aventure à la découverte du monde il se retrouve dans la même position que le lecteur, il ne sait pas où il est. Mais dans d'autres scènes concernant les plantes qui le passionnent, il y a une distance qui peut se créer. Du coup je lui donne aussi des côtés un peu comiques pour pouvoir mieux le rapprocher des lecteurs.



Avez-vous déjà toute votre histoire en tête ?

Comme je travaille avec un éditeur cette fois-ci et que chaque éditeur a ses règles, j'en ai aussi. Tokuma Shoten, l'éditeur d'Arbos Anima, demande à ce que les histoires soient découpées en arcs de deux tomes. Je procède donc ainsi, j'ai mes histoires qui se font en deux tomes. Par contre, pour le reste, ça vient un peu au fur et à mesure.


Qu'est-ce qui est le plus dur à dessiner dans la série ?

A peu près tout (rires). Mais surtout les plantes. Lors des scènes où il y en a beaucoup et partout, j'ai beau les dessiner encore et encor,e j'ai l'impression de ne jamais en voir le bout. Et puis il y a pas mal de fois où je bute sur certaines interrogations sur les dessins à faire. Par exemple, pour une certaine scène, je me demandais si la voiture devait être tirée par des chevaux ou par des bœufs. Et je dois chercher à chaque fois pour savoir quelle est la bonne réponse.


Comment avez-vous choisi le titre latin « Arbos Anima » ?

J'hésite un peu à dire la vérité, je me demande si je dois vraiment la dire (rires). Quand le pitch de la série a été validé, on a décidé de lui trouver un beau titre, sauf qu'à chaque fois que je proposais un titre il ne plaisait pas à tout le monde. A ce moment-là, mon éditrice est allée chercher un dictionnaire en latin, y a déniché plusieurs propositions de titres, et parmi celles-ci il y avait « Arbos Anima ».



Donc vous ne l'avez pas choisi par rapport à une signification particulière ?

Je dessine en me disant que ce serait bien que ce soit le cas (rires).


Pour finir, qu'avez-vous eu le temps de visiter en France depuis votre arrivée ?

J'ai fait pas mal de courses, plus que la dernière fois (rires). Je suis allée au musée des Arts et Métiers, pour observer des machines du 19ème siècle.


Ce que vous avez pu voir au musée, vous pensez que ça vous sera utile pour votre manga ?

Je pense ! D'ailleurs, j'y ai vu un carrosse... mais un peu trop tard ! J'en dessinais un pour Arbos Anima la semaine dernière, et je me demandais comment étaient attachées les roues... Je viens d'avoir la réponse (rires). A une ou deux semaine près, ça m'aurait servi de source.


Interview réalisée par Koiwai. Un grand merci à Kachou Hashimoto, et à Satoko Inaba des éditions Glénat pour la traduction !