Poetry - Actualité anime

Critique du dvd : Poetry

Publiée le Mardi, 31 Mai 2011

Dans une petite ville de la province du Gyeonggi traversée par le fleuve Han, Mija (Yun Jung-Hee) vit avec son petit-fils Wook (Lee Da-Wit) qui est collégien. Mija est une originale, curieuse, emplie de joie de vivre. Elle suit des cours de poésie à la maison de la culture du quartier et écrit un poème pour la première fois. Elle découvre la beauté dans son environnement habituel, auquel elle n’a prêté aucune attention jusque-là. Mais des événements inattendus lui font réaliser que la vie n’est pas aussi belle qu’elle le pensait.

Après Oasis, réussi, et Secret sunshine, surestimé, Lee Chang-Dong revient avec Poetry. Le titre en lui-même, « Poésie », pourrait paraître prétentieux. Pourtant, le réalisateur sud-coréen parvient à redonner son sens profond et métaphysique à ce terme. Poetry montre, à travers la vie d'une vieille femme, l'apport salvateur de la poésie aux Hommes qui veulent bien s'y pencher.

Poetry, derrière sa douceur, porte les stigmates du cinéma sud-coréen contemporain. Ainsi, les événements auxquels est confrontée la vieille femme ramènent à une violence sociale sans concessions. Début d'Alzheimer pour Mija, accusation de crime sexuel pour son petit-fils, et on passe... Cet ado est le parfait représentant d'une jeunesse perverse, aux réflexes consuméristes quasi-pavloviens, dissimulée sous une attitude apathique. Mija subit. Et elle semble être la seule personne vertueuse devant un monde qui s'enfonce. La justice ? Une transaction suffira à effacer le crime, alors que Mija s'y oppose, montrant au contraire l'importance des responsabilités. Le mérite ? Mija est vaillante et courageuse. Elle-même âgée, elle est aide à domicile auprès de personnes grabataires. La dignité, l'intégrité, le respect ? Elle les chérit chaque jour.

Poetry est un film de convictions. Rester fidèle à soi-même n'est pas évident. Devant tous ses tourments, Mija trouve dans la poésie une force pour rester elle-même. Devant de telles situations, on comprend bien que les mots échappent à la vieille femme pour exprimer ce qu'elle ressent. La poésie lui permet de contourner le mutisme et l'impasse sentimentale. La poésie ne l'aide pas à se protéger. Elle n'est pas davantage une philosophie de vivre. La poésie est un support pour réaffirmer les valeurs perdues. Le film de Lee Chang-Dong n'est en aucun cas moraliste, il est humaniste. La dénonciation d'une quelconque décadence des moeurs n'a pas sa place ici. Le réalisateur ne cherche qu'à montrer l'importance de la poésie dans la vie de l'Homme, cet animal qui possède autre chose que son instinct. Il s'agit ici de combattre les comportements primaires : pour cela, il faut réenchanter le monde, amener ceux qui n'ont d'yeux que pour les bassesses, l'égoïsme, la mesquinerie, la chair, à voir autrement, plus loin, plus beau.

Décalé ce professeur de poésie qui encourage à regarder, vraiment, autour de soi ? Réapprendre à contempler une pomme ou une fleur, est-ce si cliché ? Car on a déjà vu ça, des films et des réalisateurs cédant à un lyrisme facile, nous alarmant sur le fait que « eh, chers spectateurs du monde occidental, privilégiés qui passaient à côté de tant de choses dont l'observation de la nature, il faut vous réveiller, changez et contemplez ! ». Lee Chang-Dong ne tombe jamais dans cet excès, préférant s'appliquer à nous montrer en quoi la poésie apporte beaucoup. Ridicule Mija, cédant aux pressions des autres parents, allant jusqu'à accepter d'aller voir la mère de la victime du crime ? Et si c'étaient tous les autres les plus fous ? Mija a l'esprit qui vagabonde tantôt dans son imaginaire, tantôt dans une réalité sordide. La symbolique de la révélation d'Alzheimer à Mija est importante, car il ne faudrait pas que l'imaginaire disparaisse avant le sordide, tout ce pour quoi elle se bat n'aurait dès lors plus aucun sens ! Des occasions de sombrer, Mija en rencontrera, beaucoup (et on ne saurait vous les présenter pour ne pas vous gâcher le film), mais toujours elle tiendra bon.

Lee Chang-Dong a été romancier, et cela se voit, la structure du récit de Poetry n'étant pas étrangère au genre romanesque. L'aspect contemplatif est au final peu présent, et on ne s'ennuie guère, tant Mija est confrontée à des situations toutes plus complexes les unes que les autres, sans pour autant que son quotidien perde en crédibilité... au contraire d'un Secret sunshine qui en faisait trop !

Poetry n'a pas le monopole du lyrisme salutaire, puisque Bright Star de Jane Campion, la même année, pointait l'importance d'un enseignement de la poésie. Mais Poetry est bien plus puissant et intense. Cela est possible notamment avec Yun Jung-Hee. Cette dame a été une immense star, révélée dans les années 1960. Sa dernière apparition à l'écran datait de 1994 ! Elle avait en effet arrêté le cinéma pour suivre la carrière de son mari, pianiste. De retour sur le devant de la scène, Yun Jung-Hee entre à merveille dans la peau de Mija, à la fois fantasque et bien lucide face aux horreurs qui l'entourent. Lee Chang-dong la filme avec plus de retenue qu'il ne le faisait avec Jeon Do-Yeon dans Secret sunshine, ce qui est un très bon point. De même Poetry constitue une réponse à Mother, un autre portrait de femme réalisé par Bong Joon-Ho la même année ! Poetry par son humanisme, est l'opposé symétrique de Mother, misanthrope (même si la scène finale pose question). Est-il possible de faire deux films aussi complémentaires sans être complices ?!

Les bonus de la version DVD sont appréciables mais demeurent insuffisants. On a droit aux observations sur le film d'Eric Libiot, rédacteur de la section culture du journal l'Express. Les entretiens avec le réalisateur et l'actrice sont beaucoup trop courts. Les notes et poèmes choisis par Lee Chang-Dong sont une bonne idée, et on retrouve les habituelles biographies/filmographies et bandes-annonces.

Dans Poetry, Mija et sa poésie sont le dernier rempart face à la perte des repères et la barbarie qui s'installent presque normalement. La poésie a le pouvoir de changer l'Homme. Très peu de choses en sont capables. Mais ne pas y être sensible pourrait le mener à sa perte. C'est là l'idée de Poetry. Que cette société est laide ! Que ce film, pourtant, est beau !

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
RogueAerith

18 20
Note de la rédaction