Brothers - Actualité manga

Critique de la série manga

Publiée le Mardi, 26 Février 2013

Le mangaka Sho-U Tajima est surtout connu en France pour sa collaboration avec Eiji Otsuka sur MPD Psycho. Complexe, sombre, violent… soit l’inverse total de son travail en solo sur Brothers, comédie douce-amère assez singulière pour qu’on y jette un œil, et même les deux !


Et si l’auteur de MPD Psycho se mettait à la comédie sentimentale ? Bonjour le massacre et vive la prise de tête ! Sauf que ce n’est pas de Eiji Otsuka le scénariste de MPD Psycho, ou encore Leviathan et Kurosagi dont il est question ici, mais de Sho-U Tajima son dessinateur sur MPD Psycho donc, mais aussi sur Madara. Et pour cette œuvre en solitaire, le mangaka délaisse les univers noirs et fantastiques pour… le collège. Dans Brothers, Shunpei, Kyôhei et Anko sont ainsi collégiens pour la seconde année. Mais pas seulement, car tous les trois sont frères et sœurs, et plus précisément des triplets de 14 ans. Mais issus de trois cellules œuf différentes, ils n’ont rien en commun. Anko est une petite brune, calme, charmante et très populaire auprès des garçons. Shunpei est un garçon réservé, maladroit mais qui a un certain succès auprès des filles de sa classe. Il essaie aussi de donner l’exemple à son frère Kyôhei, rebelle qui sèche les cours et qui veut faire carrière dans la musique. De plus, le premier est blond et le second brun, mais ils ont tout de même un point en commun, et de taille : ils sont amoureux de leur sœur. Narrateur principal, Shunpei explique bien qu’après avoir vécu toutes ces années avec elle, et sans leur mère morte à leur naissance, l’affection qu’il portait pour sa sœur s’est transformée en amour. Ainsi, lorsqu’un camarade de classe lui demande de faire suivre une lettre d’amour à Anko, il le prend très mal. Il hésite à lui donner et finit par le faire la mort dans l’âme. La réaction de Kyôhei est encore plus violente, comment Shunpei a-t-il pu faire laissé faite une chose pareille, il veut vraiment que Anko soit prise par un autre garçon. Il passe la journée suivante enfermé dans sa chambre et ne trouve comme solution de casser la figure à l’auteur de la lettre d’amour. Ce sont bien sûr Shunpei et Kyôhei qui finissent par se battre, avant que Anko ne s’interpose entre eux.

Peut-on rire de tout ?

Finalement, Sho-U Tajima n’a peut-être pas changé tant que ça de style entre MPD Psycho et Brothers. Un thème tabou, des héros torturés, le poids de l’existence… sauf qu’il s’agit là d’une fausse piste. En effet, à travers le personnage du père, il désamorce toute tension, tout malaise et s’engouffre avec délice dans la pure comédie. Ainsi, lorsqu’il confronte pour la première fois ses deux fils sur leur amour pour leur sœur, il s’assombrit, s’allume une cigarette et leur raconte. La nuit de leur naissance, un autre enfant est né, dans les mêmes circonstances. Sa mère et morte et il n’avait pas d’autre parent. Cet enfant, c’est… leur sœur Anko ! Vraiment ? Non, c’est une blague. Il faut alors voir la tête de Shunpei et Kyôhei, qui l’espace d’un instant ont cru que Anko n’était pas leur sœur et donc qu’ils pouvaient se marier avec elle, voire plus… Jouer ainsi avec l’inceste et ses implications est culotté, risqué, mais le mangaka le fait avec une telle décontraction, sans véritable arrière-pensée ou opportunisme, que cela passe tout seul. La vérité sur leur naissance et leur lien de parenté, s’il y en a une autre, devient même un élément de mystère et de suspense de l’histoire. Et on y croit à chaque fois, et s’ils n’étaient pas du même sang, pas de la même mère peut-être. L’intervention du père est alors toujours un grand moment, toujours plus délirant, qu’il soit d’ailleurs déguisé en Batman ou en Superman. Jamais donc le tabou de l’inceste ne vient vraiment peser sur les personnages ou plomber l’histoire, comme dans le risible et fatiguant Secret Sweetheart de Kotomi Aoki ou le passionnant et complexe Forbidden Love de Miyuki Kitagawa. C’est plutôt du côté du shôjo Marmalade Boy de Wataru Yoshizumi que lorgne Brothers. A la différence que les caractères sont ici plus tranchés, les sentiments moins pures et le ton général plus décomplexé.

Soit un homme mon frère

Ainsi sont introduits des personnages secondaires étonnamment adultes. Tout d’abord, une élève de troisième, Morishita Uzume, qui s’intéresse de près à Shunpei. On encore une jeune mariée avec un enfant dont Kyôhei est l’amant. Ces deux relations révèlent en fait le décalage qu’ils existent pour ces deux-là entre la réalité sociale et la réalité familiale. Ils se comportent en adultes avec les autres, mais restent des gamins pour leur sœur. Entre vérité et fantasme, ils n’apprennent rien d’autre qu’à grandir. C’est d’ailleurs pour ça qu’Anko n’existe pas vraiment à part entière comme personnage dans le manga, elle est une idée, une image, un interdit, un amour. Contrairement à quasiment tous les autres, l’auteur n’entre jamais dans ses pensées, et il arrive même souvent qu’elle soit absente d’une bonne partie du chapitre. Ce qui intéresse Sho-U Tajima, c’est les questions et les réactions des frères du titre, leurs souffrances et surtout leurs délires. Car la plupart du temps, Shunpei et Kyôhei démarrent au quart de tour lorsqu’ils apprennent que leur sœur est avec un garçon, que court une rumeur ou qu’un problème se présente. Frapper d’abord, réfléchir après. De fait, les aventures et les chapitres se suivent, se ressemblent parfois, mais surtout n’ont que peu d’incidences sur le postulat de départ. Une révélation sur le passé ou une photographie de femme vient troubler et rythmer le quotidien des triplets, mais rarement et jamais longtemps. Le manga s’imprègne alors lui-même d’une certaine poésie douce-amère, entre rires francs et pauses mélancoliques, comme s’il fallait continuer à vivre quoi qu’il arrive et que c’est finalement le plus important.

Noir, c’est noir

Le dessin de Sho-U Tajima est tout à fait à l’unisson, où les visages naturellement un peu tristes peuvent devenir soit dures, soit rieurs. Cela se joue surtout au niveau des yeux, plissés pour les garçons et expressifs pour les filles. Bien  sûr, comme le manga date de 1995, le mangaka n’a pas atteint la maîtrise qu’il peut avoir sur les derniers volumes de MPD Psycho. C’est surtout le cas pour les corps, certains décors et le tramage, mais vraiment rien de gênant. Au contraire, fonctionnant beaucoup dans le contraste du noir profond et du blanc épurée, certaines planches donnent l’impression d’un roman photo en noir et blanc. De ce point de vue, les pages insert qui rythment chaque chapitre sont d’une beauté à couper le souffle. Les personnages en imposent, et on se prend à rêver d’un manga aux dessins de cette tenue et de cette qualité. Et comme l’écrit l’auteur à la fin du quatrième et dernier volume, « si l’opportunité de présente, rendez-vous pour Brothers II ! ». C’était en 1996 et l’attente se fait longue.


Hoagie


Note de la rédaction

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