Japon - Actualité manga
nolhane

De nolhane [6581 Pts], le 30 Mars 2021 à 14h15

18/20

Les éditions Casterman ont essayé (comme d'autres éditeurs) de produire des bandes dessinées rassemblant des auteurs ayant différentes nationalités. Si cette BD s'axe sur le Japon, l'éditeur en a aussi produit une sur la Chine et une autre sur la Corée.

Ici, Japon rassemble 17 auteurs (7 japonais et 10 français) dans un même ouvrage. Les auteurs français ont voyagé au Japon pour l'occasion, chacun dans une ville différente. Les auteurs japonais s'inspirent de l'endroit où ils vivent ou de leur région natale.

Si j'ai beaucoup aimé le résultat, je regrette juste le déséquilibre femme/homme parmi les auteur(e)s choisis. (Seulement 3 femmes ont participé à l'ouvrage).

 

J'aime beaucoup les recueils d'histoires courtes et plus particulièrement quand ils rassemblent des auteurs différents. Je suis aussi sensible aux œuvres qui essayent de créer des ponts entre des cultures différentes. Mon impression est donc sans doute biaisé mais j'ai vraiment beaucoup aimé Japon. Il faut dire que j'aime beaucoup le travail de la majorité des auteurs présents et que ceux que je ne connaissais pas sont de belles découvertes.

 

Je précise que les 16 histoires sont toutes en noir et blanc.

 

On débute avec une histoire de Kan Takahama (La lanterne de Nyx, Le dernier envol du papillon, 2 expressos). Le style de l'autrice est reconnaissable au premier coup d’œil, l'histoire se centre sur un dialogue entre deux personnages au bord de la mer, c'est beau et très mélancolique.

 

Nous continuons avec David Prudhomme (Rebetiko, Mort & vif). Une narration aérée, une jolie relecture d'un conte classique japonais et une petite claque graphique pour ma part.

 

Ensuite, Jirô Taniguchi (Quartier Lointain, Le sommet des dieux, Au temps de Botchan). On retrouve toute la sensibilité, la douceur et les émotions fortes présentent dans les mangas plus récents du maître. Une perle.

 

Je ne connaissais pas le travail de Aurélia Aurita (Fraise et Chocolat, Lap), une belle découverte. Le style de l'autrice évolue beaucoup au fil des pages. L'histoire est drôle, parfois triste ou mélancolique. On remarque sans que cela soit explicitement montré des différences culturelles entre Japon et France, des curiosités, des désirs.. L'histoire a une certaine simplicité mais s'avère assez riche, très bon.

François Schuiten & Benoît Peeters (Les cités obscurs). Ce duo monstre de la bande dessinée proposent une sorte de nouvelle sous forme de journal de presse illustré dans lequel on retrouve des éléments de SF. On reconnaît la patte et le style des auteurs. Le texte est très présent et se mari bien au dessin de Schuiten qui est toujours aussi sublime. La vision du Japon semble très classique, les auteurs projettent leur vision occidentale et on retrouve bien sur le fameux « tradition et modernité ». Mon ressentit à la lecture fut très moyen malgré tout l'amour que je porte au duo Schuiten-Peeters.

 

On continue avec une histoire de Emmanuel Guibert (Le photographe). La narration proposée est intéressante, une nouvelle très littéraire, illustré par un dessin à chaque page. Si l'histoire m'a moyennement emporté, j'ai trouvé les illustrations magnifiques.

 

On découvre ensuite une histoire de Nicolas De Crécy (La république du Catch, Le Bibemdum céleste, Prosopopus). De Crécy propose une vision excentrique du Japon avec un voyage d'affaire où le personnage narrateur est un être informe, une idée marketing, bref quelque chose de surprenant (on pense bien sur au Bibendum céleste). On est plongé dans l'univers foudingue de l'auteur qui a toujours un regard cynique et intéressant. Visuellement, le dessin est juste génial, très hachuré, fluctuant mais d'une grande maîtrise. L'histoire ne manque pas d'humour et se montre surprenant du début à la fin. J'aime tellement cet auteur !

 

Après De Crécy, Tayô Matsumoto (Ping Pong, Amer Beton, Sunny), les deux auteurs s'apprécient mutuellement et il est intéressant de lire les deux histoires à la suite. L'histoire s'apparente à un compte où l'on suis un enfant à la sensibilité particulière. Il passe sa vie à dessiner, l'histoire est d'une grande beauté et j'aurai aimé qu'il en existe une suite. Le dessin de l'auteur fait très pré-Le Samouraï Bambou avec un style proche de l'estampe où l'auteur utilise parfois un pinceau pour dessiner. Un vrai régal.

 

Poursuivons avec une histoire surprenante dessinée par Joann Sfar (Le chat du Rabbin, Vampire). On suis 2 personnages, l'un fait visiter le Japon à l'autre et se montre très critique envers le pays et ses habitants, bien sur, ces critiques vont se retourner contre lui. L'histoire est autant satirique qu'ironique et j'ai l'impression que l'auteur n'a pas tout à fait réussi à trouver le ton juste. Le dessin, assez minimaliste ne manque pas de charme. J'ai bien aimé mais sans plus.

 

Je découvre avec ce livre l'auteur Little Fish qui a fait ses débuts dans la revue Garo. L'histoire est muette et très imagée. J'aime beaucoup le style graphique de l'auteur, à la fois très réaliste mais aussi contemplatif et poétique. Une histoire qui se base surtout sur le ressenti et la poésie du moment, ça ne plaira pas à tout le monde mais ce moment de lecture m'a bien plu.

 

Moyoko Anno (Happy Mania, Sakuran, Chocolat & Vanilla) fait partie des grandes autrices mangaka à ne plus faire partie du paysage manga actuel en France. On peux ici (re)découvrir son style si personnel au sein d'un récit d'époque très court mais magnifique visuellement. Cette histoire fonctionne aussi beaucoup au ressentit, un bon moment de lecture bien que trop court.

 

Frédéric Boilet (L'épinard de Yukiko, Love Hotel) est un passeur de culture qui s'attache à créer des ponts entre la France et le Japon. Il est d'ailleurs l'initiateur de cette bande dessinée et vit à Tokyo depuis de nombreuses années. J'ai trouvé son histoire un brin désopilante et étonnante. C'est un régal visuel mais je n'ai pas trop compris où il voulait en venir.

 

Je ne connaissais pas le travail de Fabrice Neaud (Journal) mais je peux dire que c'est une belle découverte. Visuellement, je trouve son travail absolument renversant. Précis, réaliste tout en gardant une patte « fait main », expressif, j'ai dévoré chaque pages tant le trait de Fabrice Neaud me plaît. Son histoire prends la forme d'un journal intime dans lequel il raconte son voyage au Japon, ses découvertes et observations mais également son état d'esprit du moment. Très descriptive, j'ai beaucoup aimé cette lecture grâce au regard de l'auteur. J'ai eu l'agréable impression de voir un amis proche me raconter son voyage et ses impressions.

 

On continue avec un autre de mes auteurs de cœur, Daisuke Igarashi (Les enfants de la mer, Sorcière, Saru). On a souvent l'impression de lire un conte avec cet auteur. L'imaginaire et le fantastique s'échappent d'un cheval de bois regardé par un jeune garçon. Alors que le garçon est censé participer à une fête traditionnelle, il est attaqué par des esprits/animaux. Une histoire très courte mais forte dans lequel on retrouve les thèmes cher à Igarashi. Un petit bonheur et visuellement c'est comme toujours excellent avec l'auteur.

 

Kazuichi Hanawa est un des grands maître de la bande dessinée Japonaise, assez méconnu du grand public malgré la richesse de son œuvre. (Dans la prison, La demeure de la chair, Tensui, La fille fantôme). On retrouve ici des thématiques présentes dans une partie de ses mangas, les croyances japonaises traditionnelles et l'importance de la nature. J'ai beaucoup aimé cette histoire à l'ambiance travaillée dans lequel on décèle une belle douceur du regard. Le dessin, à la fois dense et expressif est de toute beauté. Une excellente lecture qui fait parfaitement le lien entre l'histoire précédente et celle qui clôture le livre.

 

On finit avec un récit de Étienne Davodau (Les ignorants, Rural, Cher pays de notre enfance). Comme à son habitude l'auteur nous emmène à ses côtés et raconte avec précision, humour et délicatesse son voyage au Japon. On retrouve le ton de Davodau mais la narration colle ici à un Japonais de 60ans qui croise la route du français. Il lui fait découvrir une partie de l''île d'Hokkaido et certaines de ces spécificités culturelles et géologiques. Remplie de dérision, d'envie de partage et d'incompréhension culturelle, la lecture est aussi douce que rafraîchissante. Un dernier coup de cœur qui clôture brillaient le recueil.

 

Il en résulte un recueil comprenant un panel d'histoires très différentes que ce sois dans les ambiances, les thèmes, les visuels ou même la vision du Japon et des lieux dans lesquels se déroulent les histoires. La lecture propose un florilège de visuels, chaque histoire est un régal pour les yeux et nous prends à contre pied.

J'ai eu l'impression que dans l'ensemble, les auteurs francophones ont plus l’habitude de casser la narration, cela viens sans doute des magazines de prépublications japonais qui donnent des habitudes plus restrictives et cadrés aux auteurs japonais.

 

Japon est à mon sens une petite merveille. Bien sur, tout ne peux pas plaire à tout le monde et certains récits m'ont beaucoup moins plus que d'autres mais cette irrégularité n'est pas un défaut à mon sens mais témoigne de la richesse de cette BD. Un témoignage de l'éventail des possibles du médium BD et des ponts réalisables entre des auteurs venant de pays différents.

J'ai maintenant envie de découvrir ou redécouvrir les œuvres des auteur(e)s ayant travaillé pour le recueil.

Je conseil donc vivement aux curieux(ses) de lire Japon, c'est un voyage vivifiant aux 4 coins du Japon et un partage culturel (trop) rare en bande dessinée.

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