Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 15 Janvier 2018
Yûgo Ishikawa n'est pas tout à fait un inconnu en France. C'est en 2011 avec Sprite, titre post-apocalyptique, que la France fait la connaissance de cet auteur, un récit qui s'est développé sur la longueur puisque compte 15 tomes. En ce début 2018, Panini nous propose de découvrir un autre récit du mangaka : Wonderland. Titre achevé en six tomes au Japon, il fut prépublié entre 2015 et 2017 dans le Big Comic Superior des éditions Shôgakukan.
A première vue, la série peut intriguer par ses couvertures ternes et la présence d'une Alice, tirée du roman de Lewis Caroll, au premier plan. Remake déguisé ? Un a priori plutôt faut puisque le premier tome de Wonderland réserve quelques surprises...
Yukko, une adolescente qui vit chez ses parents, a une sacrée surprise à son réveil : la voilà pas plus grande qu'un smartphone ! Et elle n'est pas la seule dans cette situation : ses parents ont connu le même sort, devenant même des proies idéales pour Miaou, le chat de la maison, ainsi que les habitants de la ville tandis que son meilleur ami, habitant dans une autre préfecture, n'a aucun problème de son côté. Heureusement que Poko, le chien de la maison, est là pour lui servir de monture, car Yukko va devoir s'aventurer dans son quartier, devenu plus périlleux que jamais étant donné la taille de la demoiselle. Comment survivre ? Quelle est la situation à l'extérieur et dans le Japon ? La position du gouvernement ? Yukko ne tardera pas à avoir des réponses, mais devra toujours rester sur ses gardes...
Avec Wonderland, le post-apocalyptique prend des airs nouveaux. Pas de monde dévasté ici, mais une ville dont les habitants ont étrangement rapetissé, devant maintenant opter pour une survie de tous les instants. C'est par l'aventure de la jeune Yukko que Yûgo Ishikawa introduit son récit, narrant les péripéties de cette dernière et sa quête de vérité, pour enfin savoir ce qui se trame dans sa préfecture. Le récit se révèle alors très efficace pour nous plonger dans ce contexte : l'idée de personnages qui rapetissent prête souvent à sourire. Pourtant, l'auteur aborde le sujet sous l'angle de la survie, amenant alors des moments dramatiques par des éléments pourtant loin de faire office d'élément horrifique. Un oiseau qui chercherait de quoi bouloter, le chat de la maison pris d'une envie de jouer en voyant de petits êtres se déplacer autour de lui (bien que le fait qu'il ne reconnaisse pas l'odeur de ses maîtres paraît curieux quand Poko, lui, reste toujours aussi docile)... Ainsi s'enchainent quelques déboires qui, dans l'idée, se révèlent assez drôles, mais seront des marques de danger pour Yukko et son entourage. L'auteur en fait même énormément là-dessus : le quartier semble être devenu la terre des oiseaux en tout genre qui cherchent leur pitance, quand les rues semblent abriter des dizaines et des dizaines de matous. Une vision post-apocalyptique qui prête à sourire, donc, et qui place la série sur un ton grave, mais aussi très décalé, qui lui donne un certain charme.
Rapidement l'héroïne (ainsi que le lecteur) se questionne sur le pourquoi du comment d'une telle situation. Et si les réponses ne sont pas données, elles sons sous-entendus et traités avec l'intervention des autorités qui seront loin de se présenter comme des amis pour Yukko et les habitants du quartier. L'idée, aussi classique qu'elle soit, renforce l'idée du post-apocalyptique, soulève quelques questions, mais apporte aussi un message peu flatteur sur la capacité de l'humain à survivre dans une telle situation de crise. Reste qu'on attend quelques réponses supplémentaires et peut-être d'autres développements du sujet, afin de rendre celui-ci moins gratuit.
Mais finalement, pourquoi Wonderland ? Qui est cette Alice qui domine sur la couverture ? La réponse sera donnée au fil du tome, à travers un second personnage important qui se dressera comme une alliée de Yukko : Alice. Etrangère qu'il est difficile de cerner puisqu'elle ne s'exprime pas dans la langue du personnage, elle est dotée d'une dimension presque mystique, ce qui la rend aussi curieuse qu'attachante. Aussi, c'est après son apparition qu'on pourra faire quelques liens avec l’œuvre de Lewis Carroll, son côté improbable notamment, surtout avec les péripéties de fin de tomes. Péripéties qui amèneront d'ailleurs une autre vision du post-apocalyptique, très ancrée dans les années 80 avec un certain Hokuto no Ken, mais dans une époque moderne et dans une ville intacte où les humains ont perdu de nombreux centimètres. Le traitement apporte donc un côté absurde, nous avons donc peut-être là une des inspirations du récit de Lewis Carroll.
Graphiquement, le style de Yûgo Ishikawa tient vraiment la route. Ses personnages ont un côté mignon à croquer en ce qui concerne Yukko, peuvent aussi être des loubards bien clichés issus des années 80 pour la séquence que nous venons de citer, quand les autres ressemblent bien à des citoyens ordinaires. On notera que l'auteur n'hésite pas tellement dans les moments sanglants, sans en faire trop, et dépeint très bien les environnements modernes, les quartiers urbains comme les magasins bien actuels qui représenteront une certaine part du cadre de développement de ce premier tome.
Côté édition, Panini propose un bon travail. La couverture, et son couché mât, est du plus bel effet, tandis que le papier utilisé est de qualité. La traduction d'Arnaud Takahashi est aussi convaincante et semble sans bémol.
Loin d'être une énième vision d'Alice au Pays des Merveilles, Wonderland se présente rapidement comme un récit farfelu, utilisant la ficelle du post-apocalyptique sous un angle étonnant, amusant même peut-être, tout en restant fidèle aux codes du genre, notamment en ce qui concerne la réaction de l'humain face à un désastre qui le dépasse. Une bonne surprise donc, on reste alors très curieux de voir comment l'intrigue se développement sur cinq tomes supplémentaires.