Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 29 Août 2024
Ce qui devait être la première fois de Yôhei avec Yui a été un cuisant échec: face à l'incapacité de son récent petit ami de passer à l'acte, la jeune fille s'est visiblement sentie indésirable,a accusé Yôhei de ne pas réellement l'aimer, et l'a rejeté. Notre héros a alors trouvé refuge auprès de Kei qui, derrière sa part d'ambiguïté, se montre plus bienveillant envers lui. C'est un fait: Yôhei se sent beaucoup plus à l'aise en compagnie de son ami d'enfance qui a renoncé à être un homme. Et cette aise pourrait bien, rapidement, les pousser tous les deux à une nouvelle forme d'intimité, dès lors que Kei demande à Yôhei la possibilité de venir prendre une douche avec lui...
"Là... tu n'es plus un homme... ni une femme..."
C'est sur cette scène assez insondable sur le coup que s'achevait le très bon troisième volume de Welcome back, Alice, et fort logiquement on va d'abord en découvrir la suite dans une première partie de quatrième volume où, une nouvelle fois, Shuzo Oshimi utilise un rendu relativement explicite (quitte à déranger un peu) pour mieux rendre marquante son idée, à savoir ici celle de la nature du lien unissant Yôhei et Kei: tandis que Kei veut aider Yôhei à se libérer des chaînes et du mal-être que lui procurent ses désirs masculins. Et à l'arrivée, à travers les choix d'angles, la part évocatrice et les expressions de Yôhei, le mangaka nous fait bien sentir à quel point son personnage principal se sent bien avec Kei, en pouvant rester lui-même, sans être aliéné par les choses que lui dictent son sexe et la société masculine. Et cela ressent ensuite jusqu'au lycée, où même si le regard des autres peut les juger,ils semblent désormais s'en ficher.
Pourtant, il y a dans leur entourage des gens qui, eux, ne s'en fichent vraiment pas, et on en compte surtout deux dans ce tome, à commencer par un nouveau personnage du nom de Ren Ano. Elève de première, membre du club d'art, jugée "spéciale" par ses camarades, celle-ci s'intéresse soudainement à Kei, veut à tout prix faire son portrait... mais pour quelle raison exactement ? La jeune fille le sait-elle elle-même ? Les réponses vont vite commencer à se dessiner en faisant de cette nouvelle venue un personnage déjà assez intéressant dans ce qu'elle véhicule, en plus de pousser Yôhei à réfléchir sur ce que Kei représente pour lui et, aussi, sur son envie de revenir à l'époque où la puberté n'avait pas encore fait son oeuvre, où les notions de fille et de garçon n'étaient pas encore aussi importantes. Quant à la deuxième figure ne pouvant rester, il s'agit évidemment de Yui. A travers les différentes vues de dos qu'Oshimi nous offre d'elle pendant ce tome, on la sent réceptive à ce qui se passe du côté de Yôhei, Kei et Ren, mais il reste ensuite à savoir ce qu'elle ressent exactement, et de ce côté-là le mangaka reste toujours aussi évasif, quand bien même la jeune fille pousse Yôhei à une nouvelle étape importante dans la dernière partie du volume. Une étape qui semble faire écho au tout début du tome,mais où l'atmosphère est bien différente jusque dans la mise en scène de l'auteur: là où Yôhei semblait se sentir bien avec Kei, en revanche en compagnie de Yui on ressent qu'il y a un malaise, notre héros restant dans tous les cas plutôt passif, quand il n'est pas mal à l'aise avec les pulsions de mâle qui finissent par monter en lui.
Si l'on attend désormais de voir les conséquences de pas mal de choses, Shuzo Oshimi semble toujours aussi maître de son récit, où il continue d'aborder sans fards des thématiques particulièrement délicates. Cette série est peut-être la moins facile d'accès de sa carrière à ce jour, d'autant plus que la part de sexe plus ou moins violent psychologiquement peut dérouter, mais il s'agit sans doute aussi d'une oeuvre charnière dans la carrière du maître. Peut-être celle où il se livre le plus sur lui-même (ce qui semble se confirmer dans ses postfaces très intimes et personnelles),en permettant même, possiblement, de poser un regard nouveau sur ses précédents travaux.