Vie dans les marges (une) Vol.1 - Actualité manga

Vie dans les marges (une) Vol.1 : Critiques

Gekiga Hyôryû

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 15 Avril 2011

Il est des manga qui ne se contentent pas de nous raconter une histoire et de nous tenir en haleine quelques tomes durant. Il est des manga qui apportent un témoignage culturel, social, historique. Des manga qui, en plus de cela, amènent un véritable questionnement sur leur essence propre, leur raison et leur manière d'être. Une vie dans les marges, oeuvre ultime et autobiographique de Yoshihiro Tatsumi, est de ceux-là. Tatsumi, l'un des personnages les plus marquants de la bande dessinée japonaise de la deuxième moitié du XXème siècle, l'un des pères fondateurs du gekiga, un jeune garçon parmi des centaines de milliers d'autres à la recherche d'une voie à suivre en pleine période d'après-guerre.

Ce premier tome démarre donc à la fin de la seconde guerre mondiale. Hiroshi Katsumi, l'incarnation de l'auteur, vit en compagnie de son frère malade et de ses parents qui ne s'entendent plus à Osaka. Passionné de manga, il trouve une idole de choix en la personne d'Osamu Tezuka, originaire de la même ville que lui. Et voila que le jeune homme commence à dessiner ses premières histoires et à les envoyer à la rédactions des premiers magazines de publication. D'abord rejetés, au contraire de ceux créés par son frère, les récits d'Hiroshi finissent par être sélectionnés et mis en avant. Et de fil en aiguille, le voila à réaliser des choses plus conséquentes, à échanger des lettres avec des auteurs célèbres, à rencontrer le maitre Tezuka et à partir à la recherche d'une maison d'édition susceptible de le publier. Tout cela pendant que son père enchaine les déconvenues financières et que son frère le jalouse de plus en plus...

Mais, comme je le disais en introduction, Une vie dans les marges ne se limite pas simplement au parcours d'Hiroshi. Bien au contraire. En prenant la place d'un narrateur omniscient, Yoshihiro Tatsumi nous dépeint les évènements marquants qui touchent le Japon à cette époque. Qu'il s'agisse de politique, d'évolution technologique, de sport, de cinéma ou encore de musique. Bref, il construit une fresque imposante et surtout immensément riche. Que l'on soit connaisseur ou non, il y a là des tas de choses à découvrir et à apprendre sur l'histoire et l'évolution nipponne. Mais, au delà de ce simple aspect didactique, cela entraine également une vision particulièrement sincère et pertinente de la manière dont évoluait Tatsumi dans ce monde en mutation permanente. On ressent, par exemple, à merveille combien le cinéma, aussi bien étranger que national, a eu une influence majeure sur lui et sur son travail. Et, par extension, combien il a pesé dans la création du gekiga.

D'ailleurs, l'aspect le plus intéressant du titre, davantage encore que les rencontres avec Osamu Tezuka ou les lettres échangées avec Noboru Oshiro, c'est sans doute la relation qu’entretient Hiroshi avec son frère et leur point de vue différent de ce que doit être le manga. Si Hiroshi, après être devenu passionné du septième art, tentera de transformer le neuvième, Okimasa, lui, penchera plutôt vers la tradition déjà bien encrée qui dit qu'un manga doit avant tout faire rire. Et qu'un mangaka doit penser, avant de créer, à gagner sa vie. Et ce sont ces discussions allant bon train sur la manière d'organiser la narration, sur le format de page à adopter, sur la représentation des éléments sur celles-ci, qui donnent véritablement leur intérêt à l'oeuvre. Plus qu'à un simple débat, on assiste là, en tant que spectateur privilégié, à la fondation d'un genre nouveau, à l'évolution d'un art et à la folie d'un homme passionné, d'un génie. Brisant les dogmes, allant au delà des règles, il innove et fascine. Loin des manuels pédagogiques impersonnels et sans saveur aucune, on est ici face à une passionnante mise en marche de l'histoire dans un cadre intimiste tout en étant universel. Mais, outre tout cela, on est aussi face à une magnifique relation humaine. Une relation qui ne se cantonne pas à Hiroshi et Okimasa mais qui s'élargit à leurs parents, leurs connaissances, leurs correspondants, leurs maisons d'éditions.

Et, justement, il ne faudrait pas oublier non plus tout ce qui concerne l'édition des manga et des magazines de l'époque. Véritable claque que ce retour en arrière, pourtant pas si lointain quand on y pense. Voir les deux frères errer dans la ville à la recherche d'une maison d'édition pour finalement tomber sur un bâtiment à moitié délabré où une seule et unique personne les accueille et s'occupe de tout, ou encore être accueilli dans un appartement infesté de fumée de cigarette par ce qui ressemble à un yakuza, donne vraiment un cachet unique et monstrueux à l'ensemble.

Enfin, concernant l'édition, du présent ouvrage cette fois-ci, on ne peut que tirer notre chapeau à Cornelius qui s'est attaché à nous offrir un produit de grande qualité qui justifie pleinement le prix élevé. Notons également que l'on a droit à une préface ainsi qu'à un lexique bien fourni et une biographie de chaque auteur mentionné durant les 450 pages de cet opus. Que dire de plus sinon qu'on ne peut qu'être ravi de voir un éditeur nous livrer un tel produit en y apportant tant de soin ?

Ce premier volume d'Une vie dans les marges se révèle donc être une mine d'or intarissable pour quiconque voudrait découvrir la genèse du gekiga ou bien de manière plus générale l'évolution du manga dans la deuxième partie du siècle écoulé. Sans fantaisies, cet autoportrait de Yoshihiro Tatsumi, sur lequel ce dernier aura travaillé pendant plus de dix ans, est un chef-d’œuvre, ni plus ni moins.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Shaedhen
19 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs