Auberge des saisons perdues (L') Vol.1 : Critiques

Usemono Yado

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 21 Février 2025

Autrice ayant fait ses débuts professionnels au Japon en 2010, restant assez peu prolifique mais s'étant bâtie une solide réputation au fil de ses histoires courtes et de ses quelques séries, Hozumi est une mangaka ayant été récompensée à plusieurs reprises dans son pays d'origine, et qu'en France nous avions pu découvrir en 2015 aux éditions Glénat avec l'excellent récit Les deux Van Gogh, véritable coup de coeur pour nous à l'époque. Depuis, on espérait fortement voir cette artiste être à nouveau publiée en France. Et c'est finalement une décennie plus tard que ce souhait est exaucé, grâce aux éditions naBan qui lancent en ce mois de février la série en trois volumes L'auberge des saisons perdues.

De son nom original "Usemono Yado" (littéralement "L'Auberge Perdue", le titre français étant donc fidèle tout en ajoutant une petit touche plus poétique), cette oeuvre fut dessinée par l'autrice en 2014-2015 pour le compte de l'excellent magazine Flowers des éditions Shôgakukan, magazine auquel elle est fidèle depuis toujours et qui a accueilli un paquet de petites perles comme Le Clan des Poe, Kamakura Diary, Kids on the Slope, Spiritual Princess ou encore 7SEEDS.

Comme son titre le laisse deviner, cette oeuvre nous immisce dans une auberge à l'allure très traditionnelle et vieillissante, et en même temps très élégante et hypnotique. Nommée l'auberge des saisons perdues, cette demeure n'est vraiment pas comme les autres, avec sa patronne qui est une enfant capricieuse, ses quelques employés énigmatiques, et surtout la façon dont les clients y accèdent, en étant généralement guidés jusque-là par un certain Matsûra, un homme étrange qui apparaît soudainement devant eux et qui leur dit qu'en ce lieu ils pourront retrouver quelque chose d'important pour eux et qu'ils ont perdu.

La première chose qui frappe à la lecture est peut-être bien la beauté visuelle que nous offre Hozumi, ses planches étant toutes plus ravissantes les unes que les autres. Non contente de travailler énormément ses découpages pour porter un rythme narratif maîtrisé, la dessinatrice livre aussi des designs toujours soignés et, surtout, un cadre totalement hors du temps avec cette auberge perdue au milieu de nulle part et semblant venir d'une autre époque, entourée uniquement par une nature qui varie selon les saisons, et dont les intérieurs sont croquis en totale immersion, qui plus est avec nombre de meubles, de pièces, de jeux d'ombre et de lumière. Cette auberge étrange imprègne les pages, tout comme sa jeune patronne à chaque fois qu'elle apparaît, vêtue d'une manière elle aussi traditionnelle, comme si le temps s'était arrêté.

C'est donc dans ce cadre immersif à souhait que, dans ce tome, on voit défiler des premières personnes guidées jusque-là pour, peut-être retrouver ce qu'ils ont perdu. Parfois, ils arrivent en sachant parfaitement quoi chercher, ou en tout cas c'est ce qu'ils pensent. Dans d'autres cas, ils ont oublié ce qu'ils cherchaient et vont devoir s'en rappeler, ou ignorent un peu qu'ils doivent chercher quelque chose. Mais à chaque fois, la finalité est la même: permettre à la mangaka de décortiquer vite et bien le fond et le background de ces visiteurs pour, en toile de fond, poser des réflexions sur les êtres humains, les vies qu'ils peuvent mener et les erreurs qu'ils peuvent commettre. Il sera tour à tour question ici de l'épuisement au travail, de la solitude, de l'absence parentale et autres problèmes familiaux, de la fuite sentimentale, de l'égoïsme, de l'aliénation des liens sociaux, du rapport à l'argent... tous ces aspects étant liés par une même idée chez Hozumi: mettre le doigt sur les moments où l'on perd de vue l'essentiel jusqu'à risquer de ne plus pouvoir le revoir, et souligner les errances presque inévitables de la nature humaine, entre la vulnérabilité et la préciosité de celle-ci.

Derrière ces thèmes assez universels et abordés avec beaucoup de talent, et ces différents portraits de personnages en qui il pourrait être facile de se retrouver (nul doute que chacun(e) aura une histoire qui le/la touchera encore plus que les autres, au vu de a variété des sujets évoqués), L'auberge des saisons perdues brille aussi par son fil rouge qui existe bel et bien et qui se veut teinté d'une forte aura de mystère, puisque nombre de questions viennent naturellement à l'esprit. Qu'est réellement ce lieu ? Qui est cette petite fille servant de patronne ? Qui sont les autres employés vivant sur place ? Qui est Matsûra et que cherche-t-il lui-même en guidant de manière énigmatiques les gens jusqu'à l'auberge ? D'emblée, le parfum de mystère total nous pousse à nous faire des hypothèses d'abord opaques, avant que la mangaka, dans une narration très maîtrisée, nous conforte dans nos idées grâce à des non-dits qui en disent long, puis affirme les premiers éléments de réponse que l'on pouvait se faire. Mais si l'on cerne ainsi petit à petit ce qu'est exactement ce lieu, il reste encore beaucoup de choses à dévoiler, notamment sur ses pensionnaires...

Difficile de faire meilleure entrée en matière que ce premier volume, véritable réussite en tous points dans sa catégorie. Au fil d'un travail visuel et narratif d'orfèvre, Hozumi sait déjà à la fois croquer des portraits de personnages puissants, aborder un paquet de thématiques humaines profondes, et entretenir un fil conducteur dont l'aura de mystère ne cesse de nous captiver. Et pour porter tout ça, nous avons en plus droit à une édition française d'excellente qualité: la jaquette de Florent Faguet reste fidèle à l'originale japonaise tout en bénéficiant d'un logo-titre très fin et joliment pensé par Raphaele Fontvieille, le papier allie souplesse et épaisseur malgré une très légère transparence par moments, l'impression est excellente, la traduction d'Anaïs Fourny est tout en limpidité et en finesse pour faire ressortir le ressenti des personnages et le parfum de mystère, et le lettrage de Corinne Luijten est très propre.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs