Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 20 Février 2014
La bande dessinée japonaise a donné naissance à beaucoup de chef d’œuvre dans la catégorie des « mangas d’auteur ». Ces mangas, comme les films du même genre, proposent souvent des séquences tranche-de-vie sur un ton plus ou moins mélancolique. Difficile de parler de cette catégorie sans évoquer le nom de Jirô Taniguchi, qui encore aujourd’hui est réputé pour en être un grand maître. D’une manière générale, ces mangas sont intimistes et traduisent une vraie volonté de l’auteur de montrer une portée artistique. Plus rarement, certains de ces titres ont été totalement oubliés, et pas forcément pour la seule cause d’un échec commercial, mais carrément à cause d’un déficit de qualité. C’est le cas de « Nasu » de Iô Kuroda, paru en 2004 chez Casterman et en arrêt de commercialisation depuis un long moment.
Loin de nous l’idée de tirer sur l’ambulance, mais lorsqu’on lit la description de Casterman pour la présentation de l’auteur, on ne peut que sourire. « N’ayons pas peur des mots : Iô Kuroda est sans doute l’un des plus prometteurs parmi les jeunes auteurs japonais révélés ces dernières années ». Ne remettons pas en cause la bonne foi de l’éditeur, ayant sûrement eu un coup de cœur pour lui. Ne jugeons pas non plus l’ensemble de la carrière du Kuroda à travers cette série. Mais en lisant Nasu, on a le sentiment d’un essai raté.
Très souvent, les recueils d’histoires courtes sont liés par un élément commun. Ici, il s’agit des aubergines, qui apparaissent à chaque chapitre. La question que l’on se pose, c’est « et alors ? ». Une aubergine est un bête légume, tout ce qu’il y a de plus banal. L’auteur a-t-il voulu mettre en avant la banalité du quotidien ? Difficilement possible, au vu des personnages étranges qu’il met en scène : des ados fugueurs marginaux aux réactions extrêmes, une insomniaque qui va chez un paysan se reposer pour dormir, des collégiens qui cultivent des aubergines dans une école privée, un coureur cycliste espagnol… Bref, des personnages bizarres dans leur contexte, totalement hétéroclites. Ce casting laisse franchement perplexe en ce qui concerne sa cohérence. Toujours est-il que le seul lien entre eux est l’aubergine, qui intervient à un moment ou un autre dans leurs histoires… enfin… parfois, il ne s’agit que d’un repas, et pas d’une focalisation du personnage sur le légume. Cela signifie que l’auteur avait probablement envie de raconter ces petites histoires et qu’il n’a pas trouvé meilleur lien. Le souci, c’est que ce lien est peu profond et que tous les personnages ne sentent pas profondément concernés par lui. Au final, l’aubergine ressemble plus à un prétexte qu’autre chose.
Quand bien même la structure de la série est étrange, les histoires en elle-même peuvent être de qualité. Mais à l’image de la chaleur de l’Espagne andalouse, de l’effort du cycliste, du travail dans les champs décrits, la lecture est longue et pesante. La faute à une narration molle, digne des films d’auteurs français les plus ennuyeux, à un dessin à la fois léger et brouillon, qui donne une sensation d’indigestion, et, au final, des intrigues qui ne semblent n’avoir ni queue ni tête.
On peut même, par moment, observer des éléments nihilistes, quand l’auteur décrit le malaise de certains jeunes. Mais sans la même profondeur qu’un Inio Asano, cela ressemble plus à une forme de prétention.
En bref, Nasu de Kuroda est une série qui démarre bien mal, dont on ne comprend pas trop la visée et dont la lecture s’avère difficilement intéressante.
L’édition de Casterman est plutôt de bonne qualité : on apprécie le grand format et la qualité du papier. En revanche, à l’image du manga, les dialogues sont parfois peu compréhensibles, passant du coq à l’âne (on peut imputer cela aux dialogues de l’auteur, peut-être). Mais l’élément le plus gênant reste le nom français de la série, à rallonge, et qui change à chaque volume. De quoi s’y perdre.