Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 14 Août 2024
L'isekai est cher aux éditions Meian, si bien qu'il n'y a rien d'étonnant à voir l'éditeur accueillir cet été un représentant bien connu du genre: Tsukimichi - Moonlit Fantasy, dont les deux premiers volumes paraissent simultanément en cette mi-août après avoir connu une avant-première à Japan Expo. A l'origine de cette oeuvre, on trouve "Tsuki ga Michibiku Isekai Douchu" (littéralement "Un Voyage vers un Autre Monde mené par la Lune" ), un light novel à ce jour inédit en France, suivant son cours au Japon depuis 2012, écrit par Kei Azumi et illustré par Mitsuaki Matsumoto. C'est ensuite en 2015, sur le site AlphaPolis Web Manga de l'éditeur AlphaPolis (dont proviennent aussi des séries comme The New Gate et Re:Monster, entre autres), qu'est lancée l'adaptation manga dont il est question ici, celle-ci suivant toujours son cours à l'heure où ces lignes sont écrites avec 14 tomes parus, et ayant été confiée au mangaka Kotora Kino dont c'est la première série longue. Par la suite, c'est l'adaptation animée qui a surtout fait connaître l'oeuvre à l'international, avec une première saison et une deuxième saison diffusées sur Crunchyroll respectivement en été 2021 et pendant le premier semestre 2024, et une saison 3 d'ores et déjà annoncée.
Le récit nous immisce auprès de Makoto Misumi, un garçon a priori sans histoires. Lycéen de 17 ans passionné entre autres par les jeux vidéo et par le kyûdo, ayant un petit béguin secret pour sa belle camarade Hasegawa, il est régulièrement taquiné pour sa laideur (encore plus quand son entourage le compare à ses deux soeurs, visiblement de vraies beautés) mais a appris à s'y faire, en ne se formalisant pas plus que ça et en faisant montre d'autres qualités que sur le critère physique, notamment en montrant de réels talents dans le tir à l'arc.
Une vie somme toute assez classique, donc... du moins jusqu'au jour où l'adolescent est soudainement transporté dans un autre monde, a priori sans raison apparente, par Tsukuyomi, le dieu régnant sur le royaume de la nuit et membre du trio d'enfants divins des mythes japonais (aux côtés d'Amaterasu et Susanoo) ! Ce dernier lui apprend alors que ses parents viennent eux-mêmes d'un autre monde, et qu'ils ont dû partir par nécessité en concluant un pacte avec la déesse de leur monde d'origine, en lui promettant "une chose de valeur" en échange de leur voyage. La chose de valeur en question n'est autre que Makoto, mais Tsukuyomi le prévient que la déesse est quelque peu barbare et capricieuse, et le jeune garçon va vite en faire l'expérience: le trouvant trop laid pour elle, elle le rejette et l'envoie vivre sur des terres sauvages aux confins du monde, là où il n'y a quasiment aucun sapiens/humain mais uniquement d'autres espèces jugées monstrueuses. Dans sa grande "mansuétude", la divinité lui offre quand même une capacité qui l'amuse: Makoto pourra désormais comprendre et parler instantanément toutes les langues des monstres et des démons, sauf celle des sapiens...
Prenant le soin d'exposer vite et bien le contexte de la vie de Makoto dans notre monde avant qu'il ne soit envoyé ailleurs, les auteurs parviennent assez vite à le rendre plutôt attachant grâce à sa personnalité: il a beau être considéré comme laid et être en apparence plutôt chétif, ce héros a d'autres atouts sur lesquels compter, à commencer par son tempérament où il ne se lamente jamais sur son sort (ce qui lui permettra de vite aller de l'avant dans cet autre monde typé fantasy et dont il ne connaît rien) et ses talents d'archer. Et à ces dons s'ajouteront rapidement d'autres choses: non seulement sa faculté à comprendre et parler toutes les langues sauf le sapiens pourrait lui être beaucoup plus utile que ce qu'imaginait la déesse lui ayant joué ce tour, mais en plus Tsukuyomi lui-même, avant de devoir se rendormir pour plusieurs siècles, est pris de sympathie pour son sort en lui conférant alors certains de ses pouvoirs divins.
Sur ce seul premier tome, on part sur un isekai qui avait peut-être sa part d'originalité à l'époque où il a été lancé au Japon mais qui, depuis, pourrait apparaître banal dans ses principes de base: concrètement, pour l'instant on suit un personnage principal qui était lambda dans notre monde, qui se retrouve dans un autre monde avec des capacités totalement cheatées dans leur genre, et qui va entamer un périple d'abord pour survivre, puis pour se forger des premiers objectifs (notamment trouver une ville où vivent des sapiens, et essayer de découvrir qui sont ses parents). Les bases sont un peu devenues des standards du genre, et pourtant dès ce premier opus l'oeuvre montre des qualités réelles, à commencer par ce personnage central plutôt battant (même quand il est seul au début), échappant un minimum à certains poncifs récurrents de héros d'isekai (son côté otaku ne se ressent pas trop, il n'a pas le côté pervers de certains héros insupportables comme Rudeus de Mushoku tensei pour citer le plus connu...), désireux d'apprendre soigneusement à tirer parti des capacités qui sont désormais les siennes (il pourrait faire de sa compréhension des langues une force, tâche de cerner les différentes possibilités de ses pouvoirs...), et prêt à bâtir des relations de confiance avec des premières rencontres jugées monstrueuses (quand bien même certaines peuvent prendre des apparences de jolies femmes, ça va de soi...). Sur ce dernier point, ses premières relations s'avèrent plutôt truculentes dans leur genre, en tirant assez bien leur épingle du jeu : l'orc Ema est facilement attachante et a une bonne bouille dans son genre, Shin amène un peu d'humour via son intérêt pour le monde d'origine de notre héros...
Qui plus est, pour servir tout ça, Kotora Kino démontre de réelles qualités visuelles et narratives. Là où certaines versions manga de ce genre d'oeuvre sont très aseptisées, sans grande personnalité graphique et très rapides dans l'abord des événements, ici le mangaka a à coeur d'offrir des designs assez élaborés, de proposer des planches expressives et denses jusque dans les décors bien présents, et de soigner ses textes pour bien retranscrire les choses avec immersion.
A l'arrivée, sur ce premier opus Tsukimichi se révèle être une bonne surprise dans un genre surreprésenté ces dernières années. Derrière la situation de base devenue très classique dans le registre de l'isekai, on entrevoit petit à petit un univers intrigant et beaucoup de possibilités, à travers les intéressantes premières péripéties d'un jeune héros prometteur. Nul doute que la sortie simultanée du tome 2 sera utile pour vite se forger un avis plus précis, mais dans l'immédiat il y a de quoi être assez emballé ! D'autant que côté édition c'est du tout bon: jaquette fidèle à l'originale nippone tout en affichant un logo-titre travaillé avec vernis sélectif, bonne qualité de papier et d'impression, lettrage convaincant d'Elodie Baunard, et impeccable traduction de Celia Chinarro qui n'a aucune difficulté à nous plonger dans cet univers.