Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 03 Octobre 2013
Un nouveau one-shot de Tsuta Suzuki c’est toujours un moment intéressant. Bien que son dernier en date ait été moins bon qu’à l’accoutumée, celui-là remonte clairement le niveau. Dans cet unique tome, on rencontre trois couples différents dont deux plus importants que l’autre. Comme d’habitude, on déplore le fait que l’auteur ne garde pas un seule couple pour le développer davantage, au vu de l’aspect très prometteur de ses histoires et de ses caractères. Ici, tous sont intéressants à leur manière. En premier lieu, on rencontre Usui et Masuoka. Ils se connaissent depuis la fac, et le second était amoureux d’Usui en secret. Usui avait entendu la rumeur concernant l’homosexualité et l’attirance de son camarade pour sa personne, alors il se tenait éloigné de lui. Mais à présent, Usui a embauché Masuoka pour un boulot d’assistant, complètement déprimé par son assistant actuel qui ne travaille pas comme il faut. Masuoka n’est pas dangereux et Usui pense pouvoir se défendre s’il lui saute dessus … Mais il n’avait pas prévu que c’est lui-même qui céderait au charme de son collègue. Masuoka dégage en effet des phéromones qui font perdre la tête aux hommes, et il n’y fait pas exception. Commence alors une relation tumultueuse entre les deux jeunes gens. Cette première histoire est passionnante au niveau des caractères des personnages. Usui n’est pas gay, il aime les femmes mais ne peut pas résister au charme de Masuoka. Alors il va rejeter la faute sur lui, et se soulager violemment, avec des mots durs et des actes grossiers, rendant Masuoka infiniment heureux, comme tout bon masochiste qu’il est.
Désirer l’autre au point d’aimer qu’il le piétine s’il lui permet enfin de le toucher, voilà un aspect intéressant que l’on ne trouve pas souvent dans les yaois actuels. L’auteur sait comment amener de l’originalité en quelques pages, surtout qu’Usui reste froid, dirigiste et violent même quand il avoue à demi-mots ses sentiments. Par la suite, on est confrontés à l’image qu’un charmant jeune homme peut renvoyer. Tel un prince, Tachibana est aimé de toutes et si Tayama le regarde depuis des années, il vient seulement de le remarquer. Parfait en apparence, le prince va finalement se révéler être un gros sadique et n’hésite pas à brutaliser un peu Tayama, malgré leur amour réciproque. Il va jouer sur la carte du chantage ou de la honte pour obtenir ce qu’il veut. Et dans le dernier couple c’est un peu la même histoire. Un salarié lambda va tomber amoureux d’un caissier qui est en fait un prostitué, et va se l’accaparer sans même le connaître, sans même pouvoir donner des détails sur sa vie. En fait, l’auteur lie parfaitement ces trois histoires sous un même titre qui signifie parfaitement qu’on peut être quelqu’un en apparence, mais que la personne qui sommeille en nous peut être différente. Un être humain change lorsqu’il révèle au grand jour ses désirs réels, ce qu’il garde caché au fond de son esprit. Une très belle vision des choses sous un air de yaoi qui amène des situations vraies, et originales dans leur manière d’être si peu conventionnelles, si peu dirigées vers l’amour habituel, vers la tendresse et les déclarations.
Niveau dessins, on apprécie le design assez varié des personnages, les traits adoptent tous un compromis savamment dosé entre douceur et offensive, avec des pointus dans le regard ou le visage mais également des sourires plus joviaux ou des sentiments exprimés avec justesse. On voit que l’auteur se soucie des détails, avec un sens du trait qui est particulièrement soigné et qui donne des émotions très nuancées à ses protagonistes. S’ils ont tous l’air un peu triste ou pervers de par les pensées un peu complexes qui les habitent, tous se différencient bien les uns des autres. De plus, la mangaka parvient à redonner de la virilité et du charme masculin aux bishonen qu’elle dessine pourtant, essentiellement grâce aux morphologies qu’elle travaille avec soin. Les corps sont bien étudiés, tout comme les arrières plans. Ceux-ci paraissent un peu vides parfois, mais ils mettent bien en valeur les personnages, et surtout ce vide permet de faire passer des émotions. Notamment, l’impression que rien n’est fini et que tout reste à faire lorsque l’on quitte ces personnages aussi disparates qu’intéressants. L’auteur sait cibler les plans les plus pertinents et on profite vraiment d’une lecture dynamique et jouant entre plans rapprochés et éloignés, ce qui fait bien vivre ses personnages. L’édition de Taifu est correcte, malgré un léger manque au niveau des pages un peu trop transparentes pour une narration qui manque un peu d’arrières plans. Les onomatopées ne sont pas toutes adaptées malheureusement, mais dans l’ensemble rien à redire sur le travail de Taïfu.