The Far East Incident Vol.1 : Critiques

Kyokutô Jihen

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 04 Septembre 2023

Il y a bientôt un an, début octobre 2022, les éditions Vega-Dupuis ont lancé dans leur catalogue un nouveau manga d'action avec The Far East Incident, de son nom original Kyokutou Jihen (dont la signification est similaire). Prépubliée à un rythme assez lent (en moyenne un tome par an) depuis 2018 dans le prestigieux magazine Harta d'Enterbrain/Kadokawa (magazine connu pour ses oeuvres et artiste à la forte identité visuelle, comme Bride Stories de Kaoru Mori, Dans le sens du vent d'Aki Irie ou encore Gloutons & Dragons de Ryoko Kui), il s'agit de la toute première série de la carrière d'Aguri Ohue, mangaka, mangaka ayant fait ses premières armes avec plusieurs histoires courtes.

Dans cette série, retour plusieurs décennies en arrière, à une époque charnière de l'Histoire mondiale du XXe siècle: le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, en septembre 1945, et plus précisément au Japon. La guerre s'est achevée sur la défaite japonaise, entraînement l'occupation américaine. mais à l'heure où le pays est à reconstruire, une menace subsiste: quelque part en Mandchourie, l'unité 731 de l'Armée impériale nippone, tristement célèbre pour ses sordides expériences sur nombre de cobayes, est parvenue à donner naissance à des humains mutants, devenus ultra résistants et surnommés "variants". Niant la défaite japonaise puisqu'ils ont vu le jour pour la victoire de leur pays, ils continuent le combat, à grand renfort d'attentats, sous le nom de milice Kiheitai en référence au groupe de guerriers qui voulait faire tomber le shogunat en faveur de l'Empereur au XIXe siècle. Forcément, les occupants américains sont leur cible principale, si bien que les USA, via le GHQ, effectuent des opérations intensives pour venir à bout de ce redoutable groupuscule.

Pour son oeuvre, l'auteur a choisi le principe de l'uchronie, récit d'évènements fictifs partant d'un point de départ historique, en imaginant ce qui se serait peut-être passé si la tristement célèbre unité 731 était parvenue à aboutir à quelque chose de vraiment tangible au fil de ses sinistres expériences. En effet, rappelons, s'il le fallait encore, que cette unité militaire de recherche bactériologique de l'Armée impériale japonaise a réellement existé en Mandchourie, où elle s'adonnait à toutes sortes d'exactions innommables sur des prisonniers ayant servi de cobayes. Dans The Far East Incident, cela aboutit donc à la naissance d'un certain nombre d'humains-mutants qui, désormais, poursuivent tous le combat pour leur patrie... tous, ou presque, car Saika, une fillette quasiment immortelle née de ces expérimentations, a été sauvée et récupérée par le GHQ qui l'utilise alors comme arme contre ses pairs. Et quand Kankurô Konoe, un soldat japonais errant, croise la route de cette enfant, le destin va les conduire à former un véritable binôme.

Le moins que l'on puisse dire est que l'auteur nous plonge vite, très vite dans son univers, peut-être même un peu trop vite au fil de premières dizaines de pages ne laissant pas le temps de souffler. Mais au moins, le ton est rapidement donné, et on a d'emblée tout le loisir de voir ce dont le mangaka devrait être capable sur le plan visuel: en plus de designs variés et expressifs et de scènes d'action pêchues où ça pétarade pas mal (tout ceci nous rappelant un peu le travail de Tomonori Inoue sur le manga Candy & Cigarettes, disponible en France aux éditions Sakka/Casterman), Aguri Ohue brille souvent dans la densité des éléments d'époque: bâtiments, uniformes, armes, véhicules militaires et civils... ce qui nous donne un ensemble tout à fait immersif, et où l'on n'est jamais perdu sur le plan historique puisque le volume est soigneusement parsemé de notes de traduction quand c'est nécessaire.

C'est en étant facilement emballé par cet impact visuel et par le rythme qui s'installe que l'on suit les premiers éléments de cette lutte entre les deux camps ennemis que sont les occupants américains et les variants, une lutte déjà très tendue avec ses premiers coups d'éclat, qui laisse le temps de bien installer toute une petite galerie de personnages forts en gueule... et où, on le sent bien, il devrait y avoir plusieurs nuances dans les deux camps, chose que l'on vivra essentiellement à travers un binôme principal de plus en plus attachant au fil des pages. L'une, Saika, attire naturellement notre affection de par son statut de fillette exploitée dans le conflit pour tuer ses pairs, et dont la nature est vite mise au premier plan: bien traitée comme une humaine par la plupart des gens de son entourage mais aussi rabaissée par certaines autres personnes (en tête sa supérieure Julia Henry Murdock, officière d'Etat-Major qui hait absolument tous les variants et qui voit la petite fille uniquement comme une arme, au point de refuser de la nommer et de l'appeler uniquement par un numéro). Quant à Kankurô, s'il pourrait apparaître au départ comme un simple soldat errant après la défaite japonaise, il va, dès ce premier volume, finir par révéler plusieurs zones d'ombre ainsi qu'un passé familial tragique qui viennent pas mal le nuancer et l'approfondir. Le duo qui se forme entre ces deux personnages s'avère alors d'autant plus intéressant, tant on sent déjà que Saika et Kankurô pourraient, ensemble, s'aider mutuellement à mieux supporter leurs blessures personnelles.

Voici donc, à l'arrivée, un premier volume franchement efficace, où l'auteur a le mérite d'offrir à la fois un très bon rendu visuel, un petit univers uchronique intrigant et des personnages qui gagnent facilement en consistance. On lira avec grand plaisir la suite, en espérant qu'elle confirme ces bonnes premières impressions.

Enfin, côté édition Vega-Dupuis offre une bonne copie, malgré quelques petites coquilles d'inattention dans les textes. La traduction de Satoko Fujimoto est claire dans ce contexte historique un peu revisité, le lettrage d'Erica-Maéva Blasquiz est propre, le papier souple et assez opaque permet une qualité d'impression très honnête, et la jaquette reste fidèle à l'originale japonaise.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.5 20
Note de la rédaction