Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 07 Février 2023
En juin 2022, la collection WTF?! des éditions Akata, souvent vectrice de tous les délires, a accueilli une nouvelle série... et quelle série ! Depuis quelques mois, nous avons effectivement la possibilité d'enfin découvrir en langue française un super-héros aussi légendaire qu'insolite: hentai Kamen, le justicier pervers. Issue du célèbre magazine Shônen Jump des éditions Shûeisha (le magazine de One Piece, de Naruto, de My Hero Academia, et de nombreux autres hits shônen majeurs du manga), la série n'y a pourtant duré qu'une petite année environ, entre 1992 et 1993, mais est restée dans les mémoires d'une part de son lectorat grâce à son personnage principale unique en son genre et à certains éléments comiques peu communs. Si bien qu'elle a même connu une seconde jeunesse dans les années 2010, soit une vingtaine d'années après sa parution, grâce à deux adaptations en films live réalisés par Yûichi Fukuda et disponibles en France en SVOD sur la plateforme indépendante Outbuster. Notons aussi que ce qui fut l'unique manga de la carrière de Keishu Ando a connu, de temps à autre, quelques brefs dérivés sous la forme d'histoires courtes: en 2008 Hentai Kamen Returns dessiné par Jin Kobayashi (l'auteur de School Rumble), en 2013 Hentai Kamen S - Hentai Kamen Second conçu par Sakae Saito (le mangaka des Promeneuses de l'apocalypse), et en 2014 Hentai Kamen EX dessiné par Ando lui-même.
La version de Hentai Kamen proposée dans notre langue est basée sur l’édition bunko japonaise de 2009-2010 en 5 tomes plus épais (au lieu de 6 tomes originellement), et bénéficie donc des nouvelles couvertures retravaillées par l’auteur, avec en prime un vernis sélectif mettant en valeur le logo-titre et surtout les attributs de notre super-héros bodybuildé. Profitons-en pour souligner les autres qualités de l'édition, à savoir une traduction efficace de Vincent Marcantognini qui ne lésine pas en jeux de mots (ou qui les explique sous forme d'astérisques quand c'est plus adéquat), un papier souple et pas trop transparent (il l'est juste légèrement par moments), et un lettrage soigné de Farid Daoud et Erwan Charlès.
L'histoire nous immisce auprès de Kyôsuke Shikijô, un lycéen de 16 ans on ne peut plus sérieux, costaud, et qui brille même au sein du club de kenpo (un art martial) de son établissement scolaire. Assez confiance en sa force, il n'hésite pas même à protéger la veuve et l'orphelin quand nécessaire, mû par un sens aigu et vertueux de la justice qu'il a hérité de son père, un policier décédé. Mais le jour où il rencontre une camarade de classe, la mignonne et candide Aiko Himeno, Kyôsuke a un véritable coup de foudre... qui va un peu vriller, la faute à un accident de culotte et à la découverte de ses gènes pervers hérités de sa mère, vaillante dominatrice SM de son métier. La combinaison des gènes de son père et de sa mère fait effectivement que, dès qu'il porte une culotte sur sa tête, il sent son sang s'enflammer dans ses veine jusqu'à le transformer en Hentai Kamen ! Avec pour unique vêtements la fameuse culotte en guise de couvre-chef, des bas-résille qu'il trouve étonnamment confortables et une espèce de body-string cachant (moulant, plutôt) juste ses parties, le voici prêt à aller rendre la justice dans les rues...
Nous voici donc face à un pitch on ne peut plus insolite, gratiné et grivois, plus encore quand on se rappelle que la série a été publiée au japon dans le Shônen Jump, magazine grand public qui est avant tout à destination des jeunes garçons. Mais en soi, il faut se rappeler que le Jump des années 80-90, c'était une autre époque, avec également des séries comme City hunter (et ses mokkori à foison) ou Hokuto no Ken (avec ses vastes giclées de sang). Néanmoins, une fois les éléments grivois mis en place, ce premier tome fonctionne comme un récit de superhéros assez classique, où le personnage principal doit tour à tour combattre des méchants (violeur, pyromane...), découvrir ses pouvoirs pour mieux les maîtriser (ce qui signifie possiblement essayer diverses culottes...), tâcher de ne pas se faire démasquer, et poursuivre ses activités normales (comme le club de kenpo au lycée, où Aiko finit par devenir manager).
A peu de choses près, chaque chapitre propose un petit problème différent qui va partir en vrille d'une manière ou d'une autre, que ce soit à cause de l'allure perverse de Hentai Kamen, des situations parfois délicates dans lesquelles se retrouve Kyôsuke, et surtout d'une galerie de personnages secondaires assez efficace: la mignonne, riche et naïve "princesse" Himeno qui est forcément en décalage complet à côté du héros pervers, sa meilleure amie Satomi, le président du club de kenpo aux penchants bien visibles, le majordome un peu spécial d'Aiko, Tamao Oogane le richissime et bien lourd capitaine du club de karaté rival, l'intello Manabu Dekiru, et surtout la mère dominatrice SM de notre héros, une femme qui n'a pas beaucoup de complexes et qui exerce sans la moindre gène ses activités !
La galerie de personnages se veut donc assez gratinée, oui, jusque dans leurs physiques parfois assez loufoques, des physiques qui ont quelque chose d'assez typique d'une tranche de comédies du Jump des années 80 et du début des années 90. Et à vrai dire, le comparatif ne s'arrête pas là puisque, au-delà des éléments grivois qui apportent un certain sel au récit sans être présents à permanence, Keishu Ando privilégie réellement un humour absurde, loufoque, grotesque, parfois sans queue ni tête, souvent dans la droite lignée d'une comédie comme Kimengumi - Le collège fou, fou, fou. Au point que l'on aurait presque envie de voir ce Kamen Rider, plus qu'autre chose, comme une sorte d'héritier du manga phare de Motoei Shinzawa en un peu plus osé.
Et pour qui aime ce genre de comédie un peu barrée, typiques des 80s-90s dans son style visuel et gentiment audacieuse, Hentai Kamen devrait donc faire le job sans souci. Le schéma épisodique des chapitres reste classique, certaines situation auraient pu être plus longues, mais il n'y a jamais de quoi bouder son plaisir devant ce bon petit délire dont on attendra la suite avec un petit sourire vicieux.