Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 31 Décembre 2013
En 1992, alors qu'elle a entamé la publication de Je ne suis pas un ange, Ai Yazawa propose également aux lectrices nippones de découvrir 3 courts chapitres réunis ensuite en un volume.
Un tempête aux couleurs des cerisiers, nouvelle d'une cinquantaine de pages qui offre son nom au one-shot, présente l'histoire de deux frères, Kiyoshi et son aîné Takashi, et de leur amie d'enfance Kumiko, qui a l'âge de Kiyoshi. Tous deux fans de base-ball, ils se sont fait la promesse de réussir dans ce sport afin de concrétiser les rêves de leur père, décédé subitement six années plus tôt. Takashi est devenu la vedette du club de base-ball du collège, il est adulé par tous, y compris par Kumiko qui n'a d'yeux que pour lui, au grand dam de Kiyoshi, qui aime son amie d'enfance depuis toujours.
Celui-ci se sent de plus en plus mal. Il ne comprend pas pourquoi Kumiko s'entête secrètement auprès de Takashi alors que celui-ci a déjà une petite amie sublime. Il ne comprend pas non plus cette mère qui, depuis quelque temps, fréquente un nouvel homme après être restée seule pendant six années. Et, pire que tout, il ne peut s'empêcher de faire un complexe d'infériorité envers son frère aîné. Aussi décide-t-il, soudainement, d'arrêter le base-ball...
Romance délicate, personnages torturés intérieurement et en plein doute, question de la mort... On retrouve dans ce one-shot quelques thèmes qui feront plus tard tout le sel des oeuvres d'Ai Yazawa. Et tout se combine avec beaucoup de talent, car loin de n'être qu'une romance lycéenne mélancolique, Une tempête aux couleurs des cerisiers offre avant tout un portrait complexe et complet de personnes ayant été frappée par la mort, l'amour et la rivalité inévitable. Grâce à une très forte introspection chez les personnages, on ressent donc très bien les tourments de Kiyoshi, tourments que l'on comprend parfaitement, tant il est divisé entre ses doutes, ses complexes, ses incertitudes sentimentales, sa difficulté à accepter que sa mère fréquente un nouvel homme, et son envie pourtant intacte, au fond de lui, de rester fidèle à la promesse que son frère et lui ont faite quand leur père est mort. Fort logiquement, tous ces tourments amènent Kiyoshi à montrer un caractère difficile, à prendre des décisions qui choquent son entourage... comme quiconque le ferait dans ces moments d'intenses incertitudes, de tempête intérieure. Mais au bout du chemin, la réponse qu'il trouvera au fond de lui pourrait être salvatrice. Ajoutons à cela l'ambiance douce-amère et mélancolique typique de la mangaka, portée par de beaux renvois aux fleurs de cerisier, et l'on obtient une histoire courte forte et poignante.
Alors que l'on pourrait regretter de voir certains aspects de cette première histoire sous-exploités, arrive le deuxième chapitre du recueil, qui n'est autre qu'une suite directe du premier. Le temps de 80-90 pages, Ai Yazawa y aborde ce qu'elle n'avait pas pu approfondir dans la première histoire, tout en continuant de faire évoluer ses héros vers des chemins parfois difficiles, simplement réalistes, car dans la vie, tout ne se passe pas toujours comme on le voudrait.
En plus des tourments sportifs des deux frères, se pose alors aussi la question de leur avenir et de celui de Kumiko, et peut-être l'heure est-elle venue pour Kiyoshi d'affirmer un peu plus ses envies et ses rêves, mais aussi de gagner en maturité via sa rencontre avec le nouvel homme de sa mère, qui va faire remonter en lui des souvenirs de son père, avec toute la sensibilité que l'on connaît à Ai Yazawa. Suite logique de la première histoire, ce deuxième chapitre est tout aussi prenant et poignant, car il dresse à nouveau avec une grande justesse les tourments et les évolutions intérieurs de Kiyoshi.
Dans la dernière histoire du recueil, on change de cadre le temps d'une quarantaine de pages, pour une histoire qui reste elle aussi très ancrée dans les problèmes sentimentaux et plus durs des personnages, comme l'évocation d'un accident. Toujours aussi sensible et juste dans le portrait intérieur des personnages, cette histoire est également l'occasion de retrouver un protagoniste de Marine Blue, un autre série de la mangaka parue au Japon au tout début des années 1990 et malheureusement inédite en France à ce jour.