Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 03 Septembre 2025
Victimes des aléas du milieu de l’édition et du marché, certaines œuvres disparaissent des rayonnages français malgré leurs qualités de chef-d’œuvre. C’est le cas de Subaru, auteur de talent que nous avons d’abord furtivement découvert avec Daigo – Soldat du feu chez Kabuto, avant cessation de ses activités, avant que Noeve le fasse de nouveau briller chez nous avec le trépidant Capeta. Entre-temps, Delcourt publia le fameux Subaru avant que le titre ne rejoigne les condamnés des arrêts des commercialisations.
Au Japon, le manga voit le jour en l’an 2000 dans le magazine Big Comic Spirits des éditions Shôgakukan, puis s’achève en 2002 avec son onzième opus. Cinq années plus tard, dès 2007, Masahito Soda donne à son œuvre de danse une suite qui a pour titre Moon. Longue de 9 volumes, elle s’achève en 2011 et demeure inédite chez nous. Notons aussi l’existence d’un film live sorti en 2009 dans les cinémas du Japon, lui aussi n’ayant jamais atteint nos contrées.
Les éditions indépendantes naBan nous permettent aujourd’hui de découvrir ou redécouvrir ce récit au fort succès d’estime. Car Subaru, malgré sa non-disponibilité, a vite attiré l’œil grâce à l’art de son auteur et son ton hautement dramatique appuyé par la narration du mangaka, des aperçus forts qui se confirment à la lecture de ce premier opus. Cette nouvelle mouture s’appuie sur l’édition bunko sortie au Japon en 2013, compilant le récit en 6 tomes. Malheureusement, il ne s’agit donc pas d’une édition complète dans le sens où les pages couleur de la prépublication ne sont pas présentes et qu’aucun bonus particulier ne garnit cette version. Qu’à cela ne tienne : pouvoir profiter du manga dans un écrin mis à jour est une aubaine !
Écolière, la jeune Subaru Miyamoto paraît antipathique aux yeux de ses camarades de classe. À raison, puisque la petite fille est préoccupée par le sort de son frère, hospitalisé à cause d’un cancer, léthargique et souffrant d’amnésies de plus en plus fortes. Pour faire sourire Kazuma malgré sa maladie, Subaru a un rituel presque secret : elle danse devant lui dans des chorégraphies frénétiques. Quand Mana, amie de classe de la fillette, découvre un tel talent, elle la convie au club de danse classique tenue par sa mère. Mais si Subaru semble s’exalter durant cette courte expérience, s’occuper de son frère est sa priorité absolue. Seul un coup du destin, à la fois cruel et salvateur, pourrait la guider vers le chemin de la danse qui, dans le cas de l’enfant, sera tortueux…
À première vue, Subaru embrasse le caractère initiatique des mangas sportifs en abordant la danse à travers le parcours d’une héroïne indéniablement douée, mais qui a pourtant tout en apprendre. Mais, dès l’amorce, on comprend que le manga de Masahito Soda n’est pas comme les autres. Dès ce premier tome, son œuvre nous marque d’une empreinte indélébile, ne serait-ce à travers son prologue qui ne fait pas dans la dentelle et qui pousse très loin le drame, pour ne pas parler de tragédie, à travers l’histoire bouleversante d’une héroïne alors petite fille, au chevet d’un frère mourant.
L’auteur prend alors le temps de développer son prologue, non seulement pour créer un lien fort entre le lecteur et sa protagoniste qui a toute notre empathie, mais aussi pour aborder très justement certains sujets liés à ses personnages. Subaru devient rapidement un personnage complexe, habité par l’amour de son frère et son combat pour le voir sourire en opposition avec la liberté qui lui échappe, une enivrance dont une enfant de son âge devrait pouvoir profiter. L’introduction du manga est non seulement intelligente, mais elle est aussi poignante grâce à ses éléments graves et à son déroulement prévisible et inéluctable, mais qui ne nous épargne pas grâce à cette humanité déjà donnée à l’héroïne.
C’est presque à sa moitié que l’œuvre bascule dans le temps et nous permet de retrouver une Subaru adolescente, marquée par les cicatrices du passé et guidée peu à peu vers la danse dans un cadre plus strict. Pour autant, est-ce que le manga noue avec un cheminement classique du genre ? Oui… et non. Le parcours initiatique qui attend la protagoniste coche déjà quelques cases classiques du genre, comment un mentor atypique, un talent inné et développé dans une grande singularité, des bases à rapidement rattraper… Mais elles ne prennent jamais le pas sur l’unicité du récit : son personnage central. Subaru est un électron libre, un personnage à la fois grave et gracieux, presque irréel quand la jeune femme foule la piste de danse, ce que Masahito Soda appuie par son trait fin et expressif, et une narration qui prend une puissance nouvelle dès que la danse se fait vectrice d’émotions. Et étant donné les psychologies meurtries implantées dans l’œuvre dès ce tome premier, la danse se fait parfois tumultueuse bien plus que gracieuse, symbole de délivrance comme des cicatrices du personnage. On peut voir dans ce premier tome une volonté de l’auteur de ne pas traiter son sujet de manière caricaturale, très loin de là, mais bien de le décortiquer dans un autre type d’intensité et par une esthétique éprouvante.
Entre ses personnages riches et sombres et son art époustouflant, le premier volume de cette réédition de Subaru ne trahit donc pas ses promesses. L’œuvre de Masahito Soda s’apparente déjà comme une œuvre aussi belle que torturée, où la danse est un pansement des maux aussi superbe qu’éprouvant. Une véritable claque qui donne clairement l’envie d’aller plus loin, et même de découvrir l’art du mangaka dans des registres différents, notamment son Daigo – Soldat du feu dont il dessine actuellement la suite.