Souvenirs d’Emanon - Manga

Souvenirs d’Emanon : Critiques

Omoide Emanon

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 26 Janvier 2018

Découvert il y a déjà de nombreuses années en France aux éditions Casterman avec Spirit of Wonder puis Forget-Me-Not, Kenji Tsuruta a ensuite connu une longue période d'absence dans notre pays. Il faut aussi dire que l'artiste, dans son pays, est plutôt du genre très lent concernant le rythme de parution de ses oeuvres, tant il accorde un soin extrêmement minutieux à chacune de ses planches. Un soin souvent influencé par sa passion pour la photographie, et qui lui a valu de nombreuses récompenses (autant en tant que mangaka qu'en temps qu'illustrateur) ainsi qu'une jolie petite réputation à l'international. On a donc longtemps attendu le retour de cet artiste en langue française, et ce sont les éditions Ki-oon qui ont exaucé ce souhait en septembre 2017 avec la publication de L'île errante. A peine quelques mois plus tard, en ce début d'année 2018, l'éditeur affiche son désir de poursuivre sur l'auteur en amenant dans notre langue l'une de ses sagas les plus connues : Emanon.


A l'origine, Emanon, c'est une série de nouvelles de l'écrivain Shinji Kajio, un auteur spécialisé dans la SF et le fantastique, qui a notamment remporté en 1991 le Prix Nihon SF Taisho. A la lecture de ces écrits, Tsuruta avoue avoir été immédiatement captivé, sans doute parce que la sensibilité de Kajio y semble très proche de la sienne : héroïne magnifique, mystérieuse et insaisissable, cadre bohème porté par un héros rêveur et fan de SF, atmosphère propice à la contemplation... Il n'est donc pas vraiment étonnant que Tsuruta ait eu envie de mettre en images les récits impliquant la belle Emanon. Et Souvenirs d'Emanon, sorti en tome relié au Japon en 2008, n'est que la première histoire : par la suite, Tsuruta a publié d'autres mangas autour d'Emanon, Sasurai Emanon (en 2012) et Zoku Sasurai Emanon (en 2013), que l'on espère vivement voir aussi traduits dans notre langue.


Emanon, c'est le nom sous lequel une fascinante jeune femme, d'environ 17 ans en apparence, se présente, quand un jeune étudiant lui demande son identité juste après l'avoir rencontré, en 1967, sur un ferry voguant quelque part dans les mers du sud du Japon. Le jeune homme, après un voyage d'errances où il a enchainé les déceptions amoureuses, loin de l'agitation du monde, a désormais choisi de prendre la route du retour chez lui, le vague à l'âme, l'esprit vagabondant. Pour tuer le temps et s'échapper sur ce bateau, il s'évade dans les romans de SF qu'il a avec lui et qu'il adore... jusqu'à sa rencontre, sur le bateau, avec cette femme qui le captive immédiatement, car sa beauté naturelle, son regard hypnotique, sa façon peu jolie de fumer cigarette sur cigarette. De son propre aveu, elle voyage seule et sans but, et "Emanon" n'est qu'un nom qu'elle invente en retournant les lettres de "no name". Le temps de quelques heures, alors que le soir et la nuit arrivent sur le ferry coupé du monde, mais néanmoins animé par ses occupants, le jeune homme entame une conversation avec Emanon, allant de surprise en surprise. Mettant de côté ses romans de SF, c'est à travers ses moments passés avec elle qu'il s'évade, au fil de discussions où la jeune femme ne cesse d'apparaître mystérieuse et vague. Elle évoque le fait que l'étudiant lui rappelle un ancien amour d'il y a plusieurs siècles, évoque des éléments passés de son existence qui laissent penser qu'elle a connu bien des siècles... et, au bout de ces discussions intrigantes, finit par laisser entendre que malgré son corps jeune, son esprit, lui, vit depuis 3 milliards d'années. Elle renferme en elle le souvenir d'absolument tout depuis l'apparition de la vie sur Terre. Est-ce la vérité, ou s'agit-il d'une simple histoire ?


On retrouve ici, en premier lieu, tout le charme visuel de Tsuruta, qui s'emploie constamment à faire ressortir une atmosphère unique. Une atmosphère clairement bohème, avec ce ferry voguant sur les eaux loin de tout, les passagers qui s'y agitent et y boivent, cet étudiant rêveur et cette héroïne errante et mystérieuse. Une atmosphère bien ancrée dans l'époque du récit, en 1967 (le romancier Kajio avoue que quand il a imaginé ce récit, l'esprit hippie l'a sûrement influencé), et que le mangaka fait ressortir à grand renfort de planches très contemplatives, à l'ambiance très réussie. Comme toujours avec le mangaka, il y a un côté très photographique dans les cadrages et les décors. Ces derniers sont quasiment toujours présents, minutieusement dessinés sans être surchargés (on comprend facilement pourquoi Tsuruta met tant de temps à dessiner), l'atmosphère intérieure du bateau, très réussie, alterne avec les vues extérieures, placées depuis le bateau avec ce que les personnages voient de l'océan qui les entoure, ou placées de façon plus éloignée pour offrir des vues d'ensemble du bateau entouré par les eaux dans la nuit silencieuse. Le résultat est saisissant, tant il parvient à retranscrire l'atmosphère voulue.


Mais comme toujours avec Tsuruta, une importance tout aussi grande est accordée à une héroïne bourrée de charme, ne serait-ce que par son physique naturellement charmant : longue chevelure, traits fins, regard à la fois fort et mélancolique qui semble étrangement porter un poids, petites taches de rousseur... Il y a chez Emanon quelque chose qui captive d'emblée, ce quelque chose qu'ont les héroïnes insaisissables. Son aspect mystérieux, les discussions avec l'étudiant le renforcent petit à petit, via les choses assez étranges qu'elle peut raconter et sa manière de longtemps floue sur son identité. Mais à partir du moment où elle déclare à l'étudiant qu'elle "vit" depuis 3 milliards d'année, ce dernier risque de voir sa vision du monde changer au contact de la femme. Emanon apparaît alors un peu plus fragile, en évoquant la difficulté d'avoir en un seul être toute la mémoire du monde, et en se demandant pourquoi elle existe. Quel est le but de son existence ? A force de discussions, l'étudiant est alors amené à lui même reconsidérer sa vision des choses, de la vie sur Terre, de l'aspect normalement éphémère de cette vie...


Souvenirs d'Emanon est un récit particulier, qui demande vraiment à ce qu'on se laisse porter par son récit surnaturel et bohème. Mais une fois qu'on est capté par les discussions des personnages et par l'atmosphère, celles-ci ne nous lâchent plus, tant Kenji Tsuruta parvient à sublimer chaque instant dans ses visuels magnifiques et sa narration posée. En résulte alors un superbe moment d'évasion, hors du temps, porté par une héroïne fascinante.


Tout comme L'île errante, Souvenirs d'Emanon est publié en grand format (parfait pour profiter pleinement des planches de Tsuruta) dans la collection Latitudes de Ki-oon, et a droit a un bel embossage sur le logo-titre de la couverture. A l'intérieur, on a droit à 12 superbes pages en couleurs, sans compter les impressions couleurs sur la face intérieure des couvertures ! D'ailleurs, n'oubliez pas de soulever les rabats, pour découvrir quelques petites surprises. La traduction de Géraldine Oudin est claire et soignée en respectant bien l'ambiance, le papier est souple et assez épais, et l'impression faite en Italie chez l'imprimeur L.E.G.O. est excellente.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs