Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 03 Octobre 2024
Sortez vos meilleures mousses locales ! En ce tout début de mois d'octobre, la collection Gourmet des éditions Soleil Manga accueille une nouvelle tranche de vie qui vous initiera à l'Art de bien savourer l'un des breuvages alcoolisés les plus appréciés: la bière, et plus précisément l'univers infiniment diversifié de la bière artisanale (donc mettez à la poubelle vos Leffe et cramez toutes vos Heineken - de toute façon c'est pas de la bière - , s'il vous plaît).
De son nom original "Kohaku no Yume de Yoimashô" (littéralement "Enivrons-nous de rêves ambrés" ), Songe d'une nuit ambrée s'offre donc un titre français qui, tout en gardant l'esprit du nom original, possède une petite touche de poésie supplémentaire, ce qui est très bien trouvé. Derrière cette série suivant son cours au Japon depuis 2018 dans le magazine Comic Garden et sur le site Web Comic Eden de Mag Garden, on trouve trois noms: au scénario et au dessin Masoho Murano et Nodoka Yoda (qui signent là leur toute première série professionnelle, mais qui se connaissent depuis longtemps et faisaient auparavant des fanzines ensemble), puis à la supervision Kei Sugimura qui, en tant que spécialiste des craft beers, sert de consultante.
Dans cette oeuvre, tout commence à Kyoto par le ras-le-bol d'une femme de 25 ans : employée en CDD dans une agence publicitaire où elle fait de l'excellent travail, Nana Kenzaki n'en peut plus de voir à quel point elle manque de reconnaissance, et accumule le stress. Un soir, alors qu'elle cherche dans les rues du centre un petit restaurant familial où manger et se détendre,elle finit par découvrir dans une petite ruelle un étrange izakaya: "Ours Polaire", dans lequel elle ne trouve que deux personnes: Tetsuo Ashikari, un photographe professionnel qui a l'air plutôt renfrogné, et Ryûichi Nonami, le propriétaire de l'établissement, très sociable, avenant, et particulièrement ravi d'avoir là ses deux tout premiers clients ! Dans un premier temps, Nana n'est pas franchement rassurée (une femme seule dans un petit resto-bar fréquenté uniquement par deux hommes qu'elle ne connaît pas...), d'autant plus que ce soir-là l'izakaya ne sert qu'un seul plat et de la bière ! Et pourtant, la bière artisanale qu'elle s'apprête à goûter va lui faire découvrir de nouvelles saveurs, qui plus est en étant couplée au plat, et va révolutionner sa vie... A partir de là, et si elle et Tetsuo alliaient leurs talents pour répondre à une demande de Ryûichi, à savoir devenir les consultants de l'établissement pour l'aider à se développer et à se spécialiser dans les bières artisanales ?
Les fans de craft beers le savent bien: cela fait déjà un paquet d'années que les micro-brasseries se développent en donnant naissance à nombre de breuvages artisanaux faits avec passion, bien loin des bières indus, et en nous faisant découvrir moult saveurs parfois inédites. La France n'est évidemment pas du tout le seul pays où ça se passe, et Songe d'une nuit ambrée vient nous le prouver en nous plongeant dans le monde des bières artisanales au Japon...mais pas que puisque, dès ce premier tome, il sera aussi question, entre autres, d'une bière belge (coucou la Bellevue) et d'une bière hawaïenne. Pour ce faire, la formule est assez simple: au fil des premières avancées du trio principal pour faire prospérer l'izakaya et de premiers événements généralement conviviaux (les soirées passées ensemble autour d'une mousse et d'un plat, une fête de la bière, le festival de Gion...), les mangakas s'appliquent à évoquer plusieurs premières craft beers qu'ils présentent de façon concise tout en en décortiquant un peu les saveurs propres, le tout soulignant alors immédiatement toute la diversité de la bière sur de nombreux points: les styles (IPA belge, IPA, IPA sour, lambic, stout, golden ale, ale blonde, porter, dark lager, parfumées/fruitées...), les différences amenées par les méthodes de fabrication (variété du houblon, torréfaction, fermentation, maturité...), les différentes impressions au fil de la dégustation (robe, parfum, première gorgée, arrière-goût, impression finale...), ou encore le fait que des saveurs différentes peuvent se révéler selon la température et ce que l'on mange avec. Ajoutons à ça les infos de base (comme le fait que l'eau, le malt et le houblon sont les trois ingrédient essentiels), quelques approfondissements (par exemple, un petit cours rapide sur l'Histoire de l'IPA), et des pages bonus inter-chapitres revenant un peu plus sur certaines bières, et on ressent à quel point le monde des bonnes craft beers a mille et une saveurs à nous faire partager.
Et puisque l'on parle de partage, c'est là l'autre aspect réussi de ce premier tome: loin d'être un bête "manuel de la bière artisanale", Songe d'une nuit ambrée développe vite toute une atmosphère chaleureuse, conviviale, nous rappelant à quel point il peut être bon de profiter de moment éphémères, aussi fugaces qu'un songe, où l'on profite simplement d'un bon petit plat accompagnée d'une bonne mousse avec des gens que l'on apprécie. On suit alors avec bonheur la façon dont les trois personnages principaux sympathisent jusqu'à devenir assez complices, la manière dont ils sympathisent et partagent ensuite avec d'autres personnes dans un événement comme la fête de la bière, et la façon dont Nana, frustrée au travail, déstresse dans ces moments-là et retrouve du goût à s'impliquer activement dans quelque chose (en l'occurrence, faire prospérer l'izakaya). Mine de rien, l'ensemble fait du bien, détend et véhicule de bonnes ondes, ce qui est efficacement appuyé par le dessin expressif.
On se plonge alors avec grand plaisir dans ce premier tome qu'on n'a pas envie de lâcher: non seulement Songe d'une nuit ambrée réussit très bien sa mise en valeur de tout ce que peut nous offrir une bonne bière artisanale, mais en plus la petite intrigue et l'aspect tranche de vie ne sont pas du tout secondaires et apportent constamment une ambiance de détente et de chaleur humaine bienvenue. Une très bonne trouvaille pour la collection Gourmet, donc !
Enfin, côté édition, c'est très propre de la part de Soleil. A l'extérieur, la jaquette reprend fidèlement l'illustration de la version japonaise, mais en l'entourant d'un fond bleu marine collant mieux à l'ambiance de l'oeuvre (sur la jaquette nippone, le fond est blanc), et en proposant un logo-titre très joliment pensé. Et à l'intérieur, on trouve une conviviale première page en couleurs sur papier glacé, une bonne qualité de papier et d'impression, un lettrage très propre du Studio Charon, et une traduction limpide de Guillaume Mistrot.