Solanin - Intégrale - Manga

Solanin - Intégrale : Critiques

Soranin

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 22 Mars 2019

Meiko Inoue et Naruo Taneda sortent ensemble depuis l'époque de la fac, et cela dure depuis désormais 6 ans. Tous deux vivent en couple dans un petit appartement, mais leurs rêves de jeunesse ne se sont pas tout à fait concrétisés. Naruo vivote en enchaînant des petits boulots, tout en espérant toujours voir sa carrière musicale rêvée décoller avec son groupe. Quant à Meiko, elle a un emploi d'office lady certes plus stable, mais dans lequel elle ne s'épanouit aucunement, étouffe de plus en plus comme si elle était prise au piège d'une vie étriquée et n'ayant plus rien à lui apporter. En perte de repères dans une société où ils peinent à s'adapter, les deux jeunes adultes ont vu leurs rêves s'étioler face à l'étouffante société, ils ne semblent plus vraiment avoir de réel but, mais n'oublient pas pour autant ces rêves bien tapis au fond d'eux, qui existent encore un petit peu dès qu'ils jouent dans le groupe avec leurs amis. Jusqu'à ce que...

Publiée au Japon pour la première fois entre juin 2005 et avril 2006, Solanin fait partie des premières séries d'Inio Asano, et est incontestablement le manga qui a permis au jeune auteur de commencer à acquérir une certaine notoriété qui, depuis, n'a cessé de s'affirmer avec ses oeuvres suivantes. Croquant avec réalisme et émotion les doutes profonds d'une jeunesse japonaise étouffés par la société et en perdition face à celle-ci, cette série (initialement) en 28 chapitres a trouvé un fort écho en toute un communauté de lecteurs nippons, au point d'avoir même été adaptée en film live en 2010.

Mais l'oeuvre est très loin de trouver un écho uniquement au Japon: publiée dans plusieurs pays, elle est arrivée aux éditions Kana dans son édition initiale en deux tomes fin 2007 début 2008, et a instantanément marqué nombre de lecteurs (dont moi) pour son propos sur une jeunesse perdue qui était alors d'une puissance rare, et pour son style graphique inimitable porté par des personnages aux visages inoubliables (Meiko, Crack) ainsi que par un grand soin déjà accordé à l'époque aux décors photoréalistes et aux ombres. Autant d'éléments visuels que l'artiste ne cessera de perfectionner tout en renouvelant constamment son style par la suite. Ainsi, l'oeuvre a d'emblée affirmé un Asano pourtant encore jeune et lui-même dans le doute en tant que l'un des plus brillants portraitistes manga de la jeunesse actuelle, et elle est facilement devenue l'un des best sellers de la collection Made in de Kana, l'éditeur ayant alors continué un vrai suivi de la carrière d'Asano en publiant ses oeuvres suivantes (Bonne nuit Punpun!, DDDD, et très récemment Errance) et en faisant de l'artiste un nom emblématique de son catalogue.

Si bien que ce mois de mars fut un mois Asano chez Kana, avec la parution de trois ouvrages: le nouveau tome de DDDD, le one-shot Errance (dont il est intéressant de faire un parallèle avec Solanin, pour voir la manière dont Asano a évolué en plus de 10 ans, la part profonde de lui-même qu'il a mise dans ces deux oeuvres, et comment il voit certaines facettes de son travail d'auteur), et une nouvelle édition de son emblématique diptyque sous la forme d'une épaisse intégrale. Mais pas une simple intégrale, non: une intégrale enrichie d'une quarantaine de pages jusqu'à présent inédites en France.

On ne va pas revenir en détails, dans cette chronique, sur ce que l'on connaît déjà de Solanin, c'est-à-dire le contenu initial de la première édition en 2 tomes: tout a déjà été dit sur la profondeur et la pertinence de ce récit qui, même plus de dix ans plus tard, reste toujours aussi vrai, actuel et pertinent à la lecture, en risquant de provoquer toujours autant les mêmes sentiments aux anciens lecteurs, et à en provoquer chez les nouveaux. Et si vous souhaitez en savoir plus, il y a tout simplement sur le site le dossier qui lui a été dédié en 2016. Ici, on va plutôt s'intéresser à ce qu'il y a d'inédit dans ce joli pavé de plus de 460 pages à la qualité de papier, d'impression et de traduction excellente. A commencer par la présence de 4 premières pages en couleur nous offrant 3 illustrations, et la postface d'Asano qui, sur 2 pages, nous apprend pas mal de petites choses sur cette nouvelle édition (sortie au Japon fin 2017) et sur certains éléments de son ressenti d'auteur face à son manga.

Les principaux enrichissements viennent toutefois des deux chapitres jusque-là inédits dans notre pays.
Le premier des deux est peut-être déjà connu des possesseurs de Ctrl+T, le 1er artbook japonais d'Asano sorti en avril 2010, puisque l'auteur l'avait dessiné en guise d'ouverture de cet artbook. Il s'agit d'un petit spin-off centré sur deux jeunes adultes n'ayant aucun rapport avec Meiko et les autres... si ce n'est l'emménagement de l'une des deux dans l'appartement où Meiko a vécu avec Taneda. Les anciens occupants ont beau ne plus être là, ils ont sans nul doute laissé quelques souvenirs dans ce studio, nourrissant alors l'imagination des deux nouveaux venus. Et tout en observant avec peut-être une pointe de nostalgie ou de mélancolie l'idée que ces deux jeunes se font des anciens occupants que furent Meiko et Taneda, on constate également que tous deux ont également leur propre histoire, vouée à connaître un grand changement avec l'emménagement de la jeune femme seule. Certains partent, d'autres arrivent, le cycle de la vie se poursuit en montrant que chaque adulte en devenir a sa propre personnalité, ses propres rêves d'avenir et ses propres tourments.
Le deuxième chapitre inédit est un vrai chapitre 29, dessiné par Asano pour cette édition intégrale, et proposant de voir ce que Meiko et ses amis sont devenus quelques années plus tard. Un simple épilogue ? Pas du tout: en une vingtaine de pages, Asano apporte une nouvelle fin, sans trahir la première puisqu'il offre une suite logique. Une fin dont le message est clairement différent de la conclusion initiale, où il y avait une sorte de résignation de la jeunesse perdue (le "C'est comme ça" final de Meiko dans le chapitre 28 a sans doute hanté plus d'un lecteur pendant cette dizaine d'années). Dans ce chapitre 29, on le sent vite, et on en a la certitude après avoir lu la postface d'Asano: l'auteur, pendant plus de dix ans, a évolué et changé en même temps que Meiko, et cette nouvelle conclusion est sans aucun doute plus conforme à ce que lui-même est devenu. En 2005-2006, il connaissait des doutes assez similaires à ceux de Meiko ou Taneda, surtout vis-à-vis de son futur incertain en tant que mangaka. Mais étant donné qu'il a pu poursuivre son rêve, Asano se devait d'offrir une nouvelle fin pour être raccord avec lui-même et pour ne pas trahir ses lecteurs. Bien sûr, le passé n'est pas oublié, il fait partie d'Asano autant que de Meiko, on le ressent bien pour cette dernière lors de certaines cases où le souvenir revient, ne serait-ce que devant le passage piéton... Mais ce passé l'a forgée, fait partie d'elle, et sa résignation semble ne plus être là sans pour autant que tout soit idéal. Et il est alors passionnant de voir à quel point l'artiste vit à travers son oeuvre, chose qu'il ne cesse de confirmer dans ses autres récits, Punpun et Errance en tête. Enfin, sur le plan visuel, on se régale en voyant la façon dont Asano parvient à rester fidèle à son dessins de l'époque, à nous procurer un profond sentiment en retrouvant une Meiko et les autres plus vieux de quelques années, tout en montrant tout de même qu'il a su peaufiner sa technique, notamment dans le travail des ombres.

Cette nouvelle édition est donc un must have, que l'on connaisse déjà Solanin ou non. On a droit à une édition bien conçue, où les différents éléments inédits sont plaisants et très intéressants pour ce qui est des pages couleur et de la longue postface, et amènent une réelle plus-value qui enrichit et change la vision que l'on peut avoir de l'oeuvre en ce qui concerne les deux chapitres inédits. Surtout, au fil du temps, le manga d'Inio Asano touche toujours autant, frappe toujours juste tant d'années après en n'ayant pas pris une ride dans son propos et son dessin. C'est aussi à ça qu'on reconnaît les plus grandes oeuvres.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
20 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs