Smells Like Green Spirit Vol.1 - Actualité manga

Smells Like Green Spirit Vol.1 : Critiques

Smells Like Green Spirit

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 30 Avril 2019

Avec Smells Like Green Spirit, la collection Hana nous propose de découvrir la toute première série de Saburô Nagai, une mangaka ayant adopté un pseudonyme et un avatar de profil masculin, et officiant dans le milieu professionnel depuis 2011 en alternant entre boy's love et comédies seinen (essentiellement pour le magazine Go Go Bunch des éditions Shinchosha). Comptant un total de deux volumes (nommés "side A" et "side B", l'oeuvre dont il est ici question a été prépubliée de 2011 à 2013 dans le magazine Comic Be des éditions Fusion Product, un magazine réputé pour être plutôt inclassable, en exploitant essentiellement l'homosexualité dans des registres différents. C'est par exemple dans ce magazine que fut prépublié aussi Magical Girl Boy, comédie sortie en France aux éditions Akata.

Smells Like Green Spirit, comme le laisse deviner son titre alliant une référence à Nirvana au vert de la campagne, nous plonge au coeur de tourments adolescents au plus profond de la ruralité nippone. Dans un collège coincé au fin fond de la campagne (le magasin le plus proche est à 20min en voiture, la ville la plus proche à 30min en train et elle est toute pourrie, les montagnes entourent le village comme des murailles, il n'y a aucune activité...), Mishima est la cible permanente des moqueries et brimades de certains de ses camarades de classe. Que ce soit en cours ou en dehors, le jeune garçon se fait constamment insulter de "pédé" et autres joyeusetés, se fait frapper et harceler, simplement parce qu'il a les cheveux très longs ainsi qu'un physique aussi magnifique qu'androgyne. Face ce qu'il subit jour après jour, l'adolescent répond par le silence, sans se laisser démonter, en affichant envers ses tortionnaires des regards emplis de mépris et un certain détachement, et il a également choisi de cacher la vérité à sa mère, une ancienne chef de gang devenue très jeune une maman câline élevant seule son enfant. Dans cet enfer permanent, les seuls moments de bonheur de Mishima, c'est quand, secrètement, il se maquille comme une fille: il ne se sent jamais plus heureux que dans ces moments-là, et ça l'aide également à évacuer les brimades ainsi que le fait qu'il soit réellement gay, une chose dont il a pris conscience dès sa plus tendre enfance. C'est ainsi que se poursuit son quotidien... du moins, jusqu' un petit incident. Pris à parti par deux loubards en voiture qui le draguent alors qu'il est maquillé et qu'ils le prennent pour une fille, Mishima est sauvé de façon inattendu par Kirino, le chef de la bande qui le martyrise jour après jour. Dans la fuite, Mishima égare son rouge à lèvres, celui-ci est récupéré secrètement par Kirino... et quelque temps plus tard, Mishima a la surprise, sur le toit de l'école, de voir Kirino l'utiliser sur lui... Unis par un secret, les deux garçons vont alors révéler l'un à l'autre leur vrai "moi", et entretenir une certaine amitié tout en poursuivant un quotidien pas toujours facile dans ce collège et ce petit coin de campagne.

Il y a une première constatation à faire concernant la lecture quand on la découvre, visuellement, c'est souvent beau, voire très beau. Que ce soit via des trames soignées ou des décors campagnards ou collégiens très immersifs, Saburô Nagai s'applique toujours à croquer un univers visuel assez riche, captant l'attention, où la ruralité se ressent bien, tout comme le cadre scolaire parfois assez délicat. Le plus gros du travail est toutefois à chercher du côté des personnages, dont les designs sont tous très soignés, aisément reconnaissables... et, surtout, pourvus d'une impressionnante palette d'expressions différents. L'artiste est capable de passer soudainement de visages très réalistes à des faciès humoristiques plus relâchés ou à des expressions plus graves, tendues, colériques,haineuses, inquiétantes... C'est peut-être ce dernier aspect qui est le plus bluffant, tant les visages peuvent alors gagner en densité, quitte a exagérer un peu le trait de façon très efficace. C'est en s'appuyant sur ce dessin varié, ainsi que sur un sens du cadrage parfois sublime, que l'autrice parvient à offrir, parfois d'une page à l'autre, des ambiances pouvant être très différentes, passant par exemple d'un moment tendu à une note d'humour, et inversement.

Porté par cette patte visuelle très séduisante, le récit se dessine comme une tranche de vie jouant surtout sur une chose: les masques que les personnages se mettent pour éviter de se révéler, voire pour tenter de renier leur vrai fond. Ainsi, Mishima cache sa douleur due au brimades derrière un masque de mépris et d'indifférence, et évacue le secret de son homosexualité et sa féminité à travers le maquillage. Kirino, lui, tente de réfréner son vrai "lui" en s'imposant chef de la bande harcelant Mishima, comme si brimer ce dernier lui permettait d'évacuer. C'est encore plus flagrant concernant l'un des (idiots) amis de Kirino, qui semble cacher son attrait pour Mishima en étant celui qui le brime le plus. N'oublions pas cet enseignant cachant visiblement beaucoup de noirceur et de brutalité sous ses allures douces, ou même Fujii, jeune fille tentant a priori de se faire passer pour ce qu'elle n'est pas, c'est-à-dire une fille pure. Concernant cette dernière, il est amusant de voir qu'alors qu'on est dans un boy's love, elle est celle qui nous offre l'unique petit moment de nudité du volume (tout le reste étant totalement soft).

On note aussi un réel désir de la mangaka d'offrir un petit background à chacun de ses principaux personnages, chose que l'on voit notamment à travers la découverte de leur famille ou de certains brefs détails du passé. Saburô Nagai ne va pas forcément très loin, mais le tout est suffisant pour amener un tout petit peu plus de consistance à certains de ses visages.

Désormais, à l'issue de ce volume dont le principal défaut est probablement d'être très court (seulement 130 pages), on attend surtout de voir comment l'histoire va continuer de se développer dans le deuxième et dernier volume, par ailleurs plus épais. En attendant, on a ici un premier tome intéressant, immersif, parfois étonnant dans ses changements de ton, et souvent très beau.

Concernant l'édition, on est dans les standards de l'éditeur avec un papier souple et assez épais, une impression très honnête et une première page en couleur. A la traduction, Laurie Asin livre une très bonne copie, de par son rythme et sa faculté à s'adapter aux différentes tonalités du récit.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.25 20
Note de la rédaction