Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 05 Mai 2025
Très populaire depuis désormais plusieurs années au point d'être surreprésenté, le registre de l'isekai continue néanmoins de nous offrir, assez régulièrement, des titres à-même de tirer leur épingle du jeu. Et Sister and Giant, lancé en France par les éditions Meian à la mi-avril, semble bien engagé pour faire partie de ces bonnes petites surprises. Première publication française du mangaka Be-con et deuxième série de sa carrière après le bref récit en deux tomes "Baby Blue Cluster", cette série suit toujours son cours au Japon à l'heure où ces lignes sont écrites, et a fait partie des oeuvres qui, en 2021, ont inauguré le magazine Aokishi d'Enterbrain/Kadokawa, un magazine intéressant puisqu'il vise à rompre l'uniformité des magazines de prépublication en brassant différents genres, et que certains titres populaires tels que Bride Stories de Kaoru Mori ou encore Dans le sens du vent d'Aki Irie y ont été transférés.
L'histoire, ancrée dans un monde de fantasy où les irruptions d'humains d'autres mondes ne sont pas rares, démarre sur les chapeaux de roue puisque, lors d'une violente altercation avec un hautain et fourbe chevalier de l'Eglise Sainte et ses sbires, on a l'occasion de découvrir un binôme pour le moins étonnant: jeune transfuge de notre monde arrivée dans cet autre monde il y a deux ans, Hinako gagne sa vie en accomplissant diverses quêtes en compagnie d'Eilis, une géante esseulée avec qui elle a conclu un pacte de sororité, lui valant d'être devenue la grande soeur de cette géante et d'être nommé "la plus petite des géantes". Tout en accomplissant les missions qui leur permettent de subsister, ces deux être entretiennent un objectif similaire: retrouver leur famille respective, à savoir pour Hinako sa grande soeur Junko qui a vraisemblablement été transportée dans ce monde en même temps qu'elle, et pour Eilis son clan de géants nommé Gorum.
Telle est la stricte base d'une histoire qui, dès ce premier tome, se développe pas mal en jouant sur différents créneaux, à commencer par une atmosphère souvent dure, éprouvante, faite de moments difficiles et d'affrontement violents où les morts brutales sont courantes, ce qui classe très facilement l'oeuvre dans un registre franchement axé sur la dark fantasy. Une impression qui se confirme amplement au vu des injustices et des bassesses humaines qui affluent déjà, ne serait-ce qu'autour des fameux Chevaliers Saints et de leurs exactions où ils abusent largement de leur statut en révélant une église totalement corrompue et vomitive.
Dans un monde où la foi, les dieux, les relations et les promesses ne sont que des outils pour arriver à ses fins, le lien sororal bâti par nos deux héroïnes dénote alors, car alors qu'elles n'ont aucun lien du sang elles paraissent bien plus unies que nombres d'êtres dont elles croisent la route. Et si vous pensez que ce qui les lie tant est leur quête commune pour retrouver leur famille respective, dites-vous que sur ce plan-là l'auteur réserve habilement, dès ce premier tome, un paquet de surprises venant grandement nuancer ces fameuses "familles". Qui est réellement cette grande soeur que Hinako recherche ? Pourquoi semble-t-elle si souvent éteinte ? Pourquoi a-t-elle refusé de recevoir un pouvoir comme si elle ne le méritait pas, alors que normalement la déesse en confère un à chaque transfuge ? Pourquoi se qualifie-t-elle de meurtrière et de menteuse ? Quant à Eilis, dans quelles circonstances a-t-elle en réalité été séparée de son clan ? Les réponses qui se dessinent sont cruelles, et si on y ajoute certains autres détails mystérieux comme le fait que Hinako n'a plus qu'un bras, on cerne déjà largement que ces deux êtres ont de nombreuses et profondes blessures...
Ajoutons à tout ça un rendu visuel très convaincant avec des designs soignés, des créatures de fantasy parfois cauchemardesques, une violence impactante et des cases à la fois limpides et bien fournies y compris dans les décors, et on obtient un début de série immersif et très intrigant. Be-con pose efficacement les bases d'un récit de dark fantasy assez dur et doté d'une bonne part dramatique, pour un résultat où l'on a très envie de découvrir la suite du parcours commun de ces deux âmes meurtries mais unies.
Côté édition française, enfin, on a quelque chose de très propre dans l'ensemble: la jaquette reste très proche de l'originale japonaise, le logo-titre bénéficie d'un vernis sélectif, la première page en couleurs sur papier glacé est appréciable, le papier à la fois souple, assez épais et plutôt opaque permet une qualité d'impression convaincante, le lettrage de Mickaël Ponsard est très appliqué, et la traduction effectuée par Adèle Grosperrin est globalement très claire malgré quelques tournures de phrase moins naturelles.