Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 06 Mars 2024
En ce début de mois de mars, la collection Moonlight des éditions Delcourt/Tonkam nous fait plaisir en nous invitant à retrouver une mangaka que l'on avait beaucoup aimé découvrir aux éditions Komikku il y a quelques années: Icori Ando, autrice du très beau one-shot Snow Illusion et de l'intéressante série d'action-SF Soul Guardians. Récit dont les six chapitres furent initialement prépubliés au Japon en 2011-2012 dans l'excellent magazine Feel Young des éditions Shôdensha pour un total d'environ 180 pages, Silent Blue est donc en réalité antérieur aux deux autres mangas de l'autrice parus en France, et fut même l'une des toutes premières séries de sa carrière.
L'oeuvre commence par nous immiscer auprès d'Aoko Tanaka, jeune femme qui, plutôt que de s'occuper de son café itinérant, semble surtout préféré plonger encore et encore dans le cas au bord duquel elle a installé sa camionnette. Pourquoi ce lac en particulier ? Qu'y recherche-t-elle ? Nous l'apprendrons bien assez vite: vingt ans auparavant, une météorite s'est écrasée sur la ville qui s'y trouvait, en laissant juste le temps à tous les habitants d'évacuer les lieux. Par la suite, une pluie abondante et incessante a rempli le cratère engendré par le crash, en donnant naissance à ce lac au fond duquel dort à tout jamais ce qu'il reste de la cité, comme si celle-ci était désormais figée dans le temps à tout jamais. Aoko n'avait que quatre ans quand sa ville a ainsi été emportée, mais elle n'a étrangement aucun souvenir de ses quatre premières années d'existence, et quand elle veut questionner ses parents là-dessus ceux-ci ne répondent jamais, comme si ce sujet était tabou. C'est pour ça que, jour après jour, la jeune femme plonge dans ces eaux, à la recherche de ses souvenirs...
Silent Blue nous narre donc la quête de vérité d'Aoko concernant à la fois l'énigme de la météorite, son enfance oubliée, et ce que ses parents semblent vouloir lui cacher comme s'il valait mieux tout oublier de cette époque. Ce qui, forcément, amène des interrogations supplémentaires: si elle veut retrouver la mémoire, à quel prix cela se fera-t-il ? Lever le voile sur son passé risque-t-il de détruire le bonheur dans lequel elle nage aujourd'hui ? A vrai dire, les réponses que la mangaka finira par donner sur tout ceci pourraient éventuellement frustrer, car même si on a bien une conclusion certains éléments restent plutôt flous, en particulier autour du rôle que le père d'Aoko a eu à cette époque, notamment parce qu'il fait mention d'une chose qui se situerait sous la ville mais que cette chose n'est jamais vraiment abordée. Retenez surtout que cette conclusion est, étrangement, très concrète, trop concrète, quand on la compare au reste du récit.
Néanmoins, la finalité de cette quête semble presque secondaire à côté du pur voyage atmosphérique que la mangaka s'attache beaucoup à dépeindre: au gré de la silhouette fine et gracieuse d'Aoko vagabondant dans ces eaux de manière hypnotique, on a droit à des visions assez captivantes de cette ville abandonnée et figée dans le temps, dont l'ambiance nous happe sans le moindre mal. la dessinatrice, dans ces moments-là, sait donner l'impression qu'Aoko est quasiment coupée de tout, seule (ou presque) au sein du lac, sentiment renforcé par une certaine épure ou par quelques jeux d'obscurité isolant encore plus la jeune femme. Alors forcément, lorsque des parties de la ville finissent par lui apparaître, elles dégagent quelque chose de vraiment à-part.
A l'arrivée, Silent Blue se présente comme une belle petite pépite d'ambiance, à défaut d'être pleinement satisfaisant au niveau de son histoire, la faute à des zones d'ombre où il est difficile de dire si Icori Ando a mal géré certaines pistes ou si elle a volontairement voulu laisser une liberté d'interprétation à son lectorat. A chacun de se faire son avis sur ce final très "meh", mais rien que pour l'atmosphère visuelle que dégage l'oeuvre celle-ci vaut facilement le coup d'oeil.
Concernant l'édition française, elle attire facilement l'oeil avec sa jaquette, une création originale bien différente de la jaquette originale nippone et dotée d'un joli effet brillant. Et pour celles et ceux qui seraient frustrés par ce changement de jaquette, rassurez-vous: l'éditeur a eu l'excellente idée de reprendre l'illustration de la version japonaise en début de tome, sous la forme d'un mini-dépliant en couleurs. A part ça, le papier est souple et assez opaque, l'impression est honnête,le lettrage de Tomoko Benezet-Toulze est soigné, et la traduction effectuée par Essia Mokdad est claire.