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Show me love : Critiques

Ai wo Misero

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 29 Mai 2020

Poursuivant leur exploration du catalogue du Comic IT dont sont déjà issues des oeuvres comme Tant que nous serons ensemble, Whispering ou Goodnight, I Love You..., les éditions Akata nous amènent cette fois-ci un one-shot, Show Me Love, une traduction littérale du titre original japonais qui est Ai wo Misero. Prépublié en 2017-2018 avant de sortir dans son pays d'origine en un unique tome papier de 160 pages en août 2018, cette mini-série en 5 chapitres fut la toute première série et la toute première publication en livre d'Ami Fushimi, une jeune mangaka discrète: bien qu'elle ait débuté sa carrière en 2015 grâce à un prix organisé par le magazine Monthly Morning two (magazine auquel on doit des séries telles que En proie au silence et Nos c(h)oeurs évanescents), elle n'a apparemment pas signé d'autre oeuvre à ce jour.

Nami Makimura, adolescente rentrant tout juste en dernière année de collège, est une jeune fille plus désabusée, au caractère pas facile même si elle a deux amies, créant quelques problèmes à l'école en se montrant incapable d'être dans le moule... et pour cause: elle a été abandonnée par son père sans un mot, et vit désormais seule avec sa mère. Criblée de dettes laissées par l'indigne paternel, cette mère-courage travaille autant qu'elle le peut pour effectuer les remboursements et offrir une vie à peu près décente à sa fille, quand bien même Nami la met en garde de ne pas autant s'épuiser à la tâche, et que suite à cette situation la jeune fille semble avoir d'ores et déjà décidé certaines choses: elle n'ira pas au lycée, se fiche donc bien de ses notes au collège, et veut elle aussi participer comme elle le peut aux finances de ce qui lui reste de famille, quitte pour cela à exercer un "petit boulot" peu recommandable...
C'est ainsi que l'adolescente, malgré son fort tempérament, semble devoir poursuivre une vie désabusée dans le nouvel appartement modeste où elle vient d'emménager avec sa mère... à moins que son nouveau voisin du dessous, Nagakawa, ne change la donne, pas forcément de manière volontaire. Professeur remplaçant dans le collège de Nami, cet homme a priori peu amical, qui est même surnommé le "masque de fer" au collège, a lui-même connu un échec familial: sa femme l'a laissé tomber pour aller voir un homme plus riche, et a embarqué avec elle leur tout jeune enfant Kenta.
Pourtant, le petit garçon vient régulièrement rendre visite à son vrai père, mais ce dernier fait mine de ne pas trop s'intéresser à lui, comme s'il cherche à construire un mur autour de lui. Devant la bouille adorable et le côté innocent de cet enfant, Nami s'en mêle en découvrant qu'il est victime de brimade à l'école à cause de sa situation familiale, et elle s'attache à lui jusqu'à avoir le désir de le rendre plus fort.
De cette expérience, chacun de ces trois êtres pourrait ressortir grandi. Et même si la situation ne deviendra jamais idéale pur chacun d'eux, peut-être retrouveront-ils la force d'avancer, de refaire confiance à autrui, voire d'oser se dire ce qu'ils cachent...

"Endurer sans sourciller, c'est parfois plus... "simple", mais surtout... c'est souvent la seule option envisageable, quand on est seul."

Tranche de vie dans sa plus simple expression, Show Me Love narre donc un moment de l'existence de trois personnes qui, malgré leur âge respectif bien différent (un adulte, une adolescente, un petit garçon), ont déjà tous souffert d'une situation familiale difficile, qui a brisé quelque chose en eux. L'un a vu sa femme partir pour un autre doté d'un meilleur statut financier, ce qui a provoqué en lui un repli sur lui-même. La deuxième a été trahie, abandonnée par son propre père, et semble alors ne plus avoir la moindre confiance envers la figure paternelle, d'autant que son nouveau voisin Nagakawa n'a pas l'air d'être lui-même un père très digne si l'on se fie à son côté mutique... Quant au petit Kenta, à son âge, il souffre forcément d'avoir été séparé de son vrai père (c'est bien ce qui le pousse à aller régulièrement le voir, mais peut-être pas que), tout comme il souffre des moqueries et brimades de ses camarades de classe qualifiant sa mère de traînée". Mais le pire concernant cet adorable enfant se cache peut-être encore ailleurs, en un beau-père très loin d'être idéal, et qui se révèlera être surtout une sorte de pervers narcissique tout à fait détestable.

A travers la condition de chacun de ces trois êtres, et des "défauts" ou traumatismes qui apparaissent en chacun d'eux à cause de leur situation respective, Ami Fushimi aborde avec une certaine force le sujet de la famille et de certaines errances qu'elle peut avoir de nos jours. Ses personnages touchent par leurs imperfections ou par leurs tentatives de se relever (en particulier Nami, qui a quand même un sacré caractère délectable), même s'ils ne prennent pas toujours les meilleures décisions... mais malgré les coups durs, malgré certaines planches assez fortes en émotion, le récit de l'autrice ne se veut pas trop sombre: il a même quelque chose d'assez porteur d'espoir, voire d'assez lumineux par moments, et cela grâce à la rencontre que ses trois personnages ensemble et la manière délicate dont ils vont s'ouvrir les uns envers les autres.

"Lui avez-vous dit, ne serait-ce qu'une fois, que vous l'aimez ? Est-ce que Kenta l'a déjà entendu de votre bouche ?"

Et cette question d'ouverture à l'autre est essentielle ici. On a en Nami une adolescente qui a certes un sacré tempérament, mais qui ne parvient pas à faire comprendre l'essentiel à sa mère: qu'elle ne s'épuise pas autant au travail. Pire, elle est dans l'incapacité de lui parler de son "petit boulot" pour le moins inavouable. Nagakawa, lui, n'est clairement pas un mauvais bougre derrière son côté mutique et replié, on le voit bien au livre sur l'adoption qu'il a chez lui, ou à certaines de ses réactions violentes quand il s'agit de protéger ce qui doit l'être. Hélas, il semble incapable de dire à ceux en qui il tient les mots les plus simples du monde. Quant au petit Kenta, comment pourrait-il dire clairement ce dont il rêve dans sa situation, et comment pourrait-il parler des brimades et des coups dont il est la cible ? Les réponses pourraient alors se trouver dans certaines choses: oser dire, même à demi-mot, ou tout simplement montrer par ses actes ce que l'on a réellement au fond de soi, et ne jamais oublier d'observer ceux en qui l'on tient (c'est bien comme ça que Nami comprend, avant même la mère de Kenta, que le petit garçon ne supporte pas la fumée de cigarette, par exemple). Et même si, au bout, du compte, le final est loin d'être totalement idéalisé (ce qui le fait peut-être résonner encore plus fort en nous), on sent bien que chacun des principaux personnages a, quelque part, évolué en son for intérieur.

Visuellement, Ami Fushimi démontre un style qui, la plupart du temps, tend plutôt vers une certaine épure dans le trait, mais aussi dans les décors qui ne sont présent que quand il le faut, et rarement de façon très prononcée. La dessinatrice limite le nombre de ses traits pour ses personnages, leur offre même parfois un côté un peu "croquis", et ça fait surtout ressortir en chacun d'eux une allure bien travaillée: les visages un peu sévère ou grimaçants de Nagakawa, le regard à la fois fort et désabusé de Nami ainsi que ses tâches de rousseur, les yeux noirs tout ronds de Kenta... ne sont que quelques-uns des éléments se remarquant immédiatement chez eux, et collant bien à leur personnalité, à ce que la mangaka veut dégager en eux. Et même si le tout paraît parfois rapide, surtout dans certaines transitions quasiment inexistantes (impression peut-être due au fait que, sur demande de l'éditeur, l'autrice ait dû tout condenser en 5 chapitres), on retient très facilement l'essentiel puisque Fushimi présence bien toutes les grandes étapes, et on se laisse facilement happer par certains angles et certains découpages particulièrement réussis.

Show Me Love est ainsi une très belle petite réussite, véhiculant des choses fortes sans trop de dureté mais avec une émotion assez palpable, et dans un style visuel très intéressant qui donnerait facilement envie de revoir un jour cette mangaka. Concernant l'édition, on a là le format seinen typique des titres du Comic IT parus jusqu'à présent chez l'éditeur. La jolie jaquette est très proche de l'origine japonaise, jusque dans le style d'écriture du titre, mais on y notera en plus une petite perspective assez chouette avec le "Me" placé derrière la tête de Nami alors que le "Love" est pleinement devant elle. A l'intérieur, le papier est bien épais tout en restant suffisamment souple, l'impression est bonne avec une encre ne bavant aucunement, les choix de police sont très convaincants, et la traduction claire d'Alexandre Goy colle bien au caractère de chaque personnage.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.25 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs