Serii - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 24 Juin 2020

Petite maison d’édition spécialisée dans la littérature japonaise, Atelier akatombo a accueilli ce mois-ci le tout premier manga de son catalogue: Serii, une oeuvre en quelques chapitres que l'on doit à Takehito Moziizumi, un artiste né en 1975 mais arrivé tardivement dans le milieu professionnel du manga en 2010, et qui a été nourri depuis l'enfance par de nombreuses influences littéraires allant du Monde de Narnia aux les aventures du Docteur Dolittle en passant par Le Cycle de Terremer, Saint-Exupéry ou encore Natsume Sôseki.

En France, cet auteur n'est pas tout à fait inconnu, puisque son adaptation de "La Lettre volée" d'Edgar Allan Poe avait été publiée en juin 2018 dans le 4e numéro du magazine Pandora. Et au Japon, il possède une certaine réputation en partie pour son style visuel assez unique, généralement au lavis, pour lequel il travaille avec des cure-dents ou des baguettes jetables, ce qui confère à ses planches un rendu assez épuré et fin aux lignes légèrement incertaines, mais où les silhouettes brillent pourtant souvent pour le réalisme qui s'en dégage.

Prépubliée d'avril à août 2018 à rythme mensuel dans le prestigieux magazine Comic Beam d'Enterbrain (magazine bien connu pour la liberté qu'il laisse à des artistes à la forte identité graphique, et où sont par exemple passé les mangakas Atsushi Kaneko, Suehiro Maruo, Kaoru Mori, Sansuke Yamada...), la mini-série offrant son nom au volume nous plonge dans un futur post-apocalyptique où, après une catastrophe de nature inconnue, l'humanité semble quasiment éteinte. Sans le moindre contact avec le monde extérieur, confiné, Kakeru, un jeune homme, a toutefois avec lui suffisamment de nourriture pour subsister, une vaste bibliothèque en guise d'unique passe-temps, et surtout la présence de Serii, son androïde ayant dans la nuque un étrange numéro évoluant comme un compte à rebours. C'est dans ce contexte que, jour après jour, Serii lit à Kakeru les livres qu'il aime tant, jusqu'à ce que le temps passe inexorablement en faisant son oeuvre...

On a beau comprendre facilement l'état du monde extérieur, Serii n'est pas un récit jouant sur une atmosphère post-apo anxiogène, bien au contraire: dans un climat intérieur où la maison est presque comme un cocon pour les deux héros et où on n'entrevoit que très peu (du moins, pendant un bon moment) l'extérieur via des fenêtres montrant des choses succinctement, Kakeru et Serii, l'humain et l'androïde intelligente, passent le temps plutôt paisiblement, au gré des lectures effectuées, pour un résultat pas forcément évident à capter dans son ambiance au départ, mais finissant facilement par nous immerger. En effet, chaque lecture permet de mettre en avant des oeuvres littéraires existant réellement et que Moziizumi aime sûrement, mais aussi d'instaurer chez nos deux héros certaines brèves réflexions sur le monde, sur la vie, sur eux-mêmes... et c'est d'autant plus efficace que, à chaque fois, les petits textes tirés des livres font écho à ce que peuvent ressentir les personnages, le tout dans un rendu pourtant assez neutre. Moriizumi met ainsi joliment en valeur la manière dont les livres, de tout temps, peuvent être les témoins privilégiés des choses en les retranscrivant. Mais l'oeuvre finit, dans sa deuxième moitié, par ne plus se limiter à ça, car le temps passe sur des années, sur des décennies, sur des siècles, en poussant forcément Serii à évoluer, à découvrir des choses à l'extérieur, sans pour autant oublier à quelque moment que ce soit ce qu'elle a vécu avec Kakeru. En plus de la littérature, l'oeuvre de Moriizumi esquisse alors plutôt bien aussi d'autres choses autour de l'état de notre planète bien sûr (via la catastrophe qui s'est abattue), mais aussi autour de la vie et de la mort, du temps qui passe et du souvenir.

Après ce récit captant bien l'attention sur ses 145 pages, le volume est complété par deux autres histoires. L'une, publiée au Japon en 2016, propose sur une dizaine de pages l'errance d'un homme dans un désert où il croise des choses étonnant forcément le lecteur, comme un "buffle-main". L'autre, publiée en 2018, se compose de 3 très courts chapitres où Moriizumi revient brièvement sur trois voyages qu'il a faits avec son épouse (à Kuching, à Venise, et à Okayama en 2015, 2016 et 2017) et sur certaines pensées qu'il a eues en voyageant, le tout ayant donc une toute petite part autobiographique (c'est notamment l'occasion d'apprendre que son beau-père était le célèbre cinéaste Nobuhiko Ôbayashi, malheureusement décédé il y a à peine plus de deux mois). Enfin, le tout est complété d'une petite postface assez intéressante de l'auteur.

Pour le reste, on a déjà évoqué l'unicité du style visuel de Moriizumi, mais on peut aussi signaler que chacun des trois récits de ce volume a ses spécificités. Ainsi, par exemple, les décors désertiques de la 2e histoire se veulent plus réalistes malgré certaines visions étonnantes, et cette histoire est imprimée sur papier jaune. Et dans la troisième histoire, l'ensemble tend encore plus à l'épure avec des personnages et des décors qui se limitent quasiment aux contours, ce qui permet d'autant mieux de voir la maîtrise des silhouettes qu'a le mangaka.

Au bout du compte, Serii, sur environ 180 pages, constitue une expérience de lecture pas forcément facile d'accès au premier abord, mais vraiment intéressante dans son ambiance et son propos tout comme dans son style visuel et ses variations. Un titre à essayer, d'autant que pour 13€ l'édition française est tout à fait honnête: le grand format est appréciable, l'impression est excellente, le papier est bien épais malgré une légère transparence, la traduction est claire... Soulignons aussi l'aspect assez originale de la jaquette, qui est en plastique translucide, chose peu courante en manga.
   

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs