Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 26 Février 2025
Autrice taïwanaise parmi les plus appréciées de ces dernières années, Monday Recover est revenue dans le catalogue des éditions Nazca en toute fin d'année dernière avec le manhua Sea you there and us, un drame d'environ 200 pages qui est sorti dans son pays d'origine en 2022 chez l'éditeur Gaea Books, et qui est basé sur une oeuvre originale de l'écrivaine Chen Chiao-jung (aussi appelée Chiaomeow). Au programme, une bouleversante amitié entre deux petites filles, sur fond de rapport aux mangas/manhuas et de deuil.
Tout commence lorsque qu'une femme, Wu Xiao-rong, revient dans la maison où elle a grandi pour y débarrasser des choses avec sa mère. Et tandis qu'elle redécouvre avec amusement les manhuas maladroits qu'elle pouvait dessiner à cette époque, son regard finit surtout par se focaliser sur l'un d'eux en particulier: "La voix de la mer", qui lui rappelle immédiatement la petite fille illégitime, brimée et mal intégrée qu'elle était dans sa plus tendre enfance, et la façon dont, lors de son passage en CE2, elle s'est fait la plus précieuse amie de son existence en la personne de Tong Ke-wei, qui nous sera d'emblée magnifiquement présentée dans une double-page couleur en bord de mer. Pourtant, à première vue, tout aurait dû opposer Xiao-rong, la petite fille moquée, marginalisée et peu douée en classe et en dessin, et Ke-wei, enfant joviale et sociable parmi les plus populaires, en plus de bien dessiner. Mais le destin en a voulu autrement, les deux fillettes ont noué une amitié toujours plus forte au fil de leurs moments passés ensemble, de leur complicité et de leur intérêt commun pour le dessin et pour les manhuas/mangas, à tel point qu'elles avaient même entrepris de concevoir ensemble un manhua, la douée dessinatrice Ke-wei ayant bien remarqué le talent de Xiao-rong pour l'écriture.
Maintenant devenue adulte, Xiao-rong, dans une atmosphère mélancolique, se demande toujours un peu comment une fille comme Ke-wei a pu devenir sa meilleure amie à elle, enfant qui était difficile à vivre. Mais elle a beau se poser cette question, la jeune femme sait qu'elle ne pourra jamais avoir la réponse...
Jouant entre les époques au fil des souvenirs revenant à l'esprit de la Xiao-rong adulte, les autrices commencent par mettre en lumière une amitié aussi touchante que belle entre deux petites filles a priori si différentes et pourtant réunies par le dessin, l'écriture, le manhua, l'Art. Une amitié au fil de laquelle, tout en profitant d'une assez jolie mise en valeur de cet Art, des liens qu'il peut créer et des émotions qu'il peut procurer, on observe surtout la manière dont Ke-wei change peu à peu la vie de Xiao-rong, la pousse à s'ouvrir et à s'intégrer et lui faire découvrir ses propres talents, notamment en écriture. Alors forcément, plus on découvre en Ke-wei une enfant rayonnante et lumineuse qui a changé la vie de Xiao-rong, et plus on craint ce qui semble inévitable, une tragédie qui nous est clairement annoncée à demi-mot dès la fin du premier chapitre.
Ce drame contre lequel rien ne peut être fait, Monday Recover prend beaucoup de soin pour l'amener dans son récit, avec une émotion palpable au gré des petits indices qui continuent d'être disséminés pour bien nous rendre conscients de ce qui va se passer, mais aussi avec une infinie pudeur puisque rien ne sera directement montré. Le plus important réside en effet dans l'impact que cela a sur l'héroïne, et dans l'orientation que cela va donner à sa vie au fil des années. Toujours dans une ambiance où règnent les souvenirs, on vivra notamment, en quelque sorte, les étapes du deuil à travers l'incompréhension d'une petite fille, puis ce qu'elle retiendra de cette épreuve pour trouver la force d'avancer en tâchant, autant que possible, de ne jamais oublier ce qu'elle doit à sa plus précieuse amie. A ce titre, Monday Recover joue très souvent sur son dessin doux et assez innocent, ainsi que sur des éléments de mise en scènes très touchants, à l'image de la double-page 174-175 qui cristallise parfaitement tout ce que Ke-wei a apporté à Xiao-rong, et tout le souvenir qu'elle garde d'elle. Enfin, le rapport particulier que l'héroïne garde avec "La voix de la mer" met encore la création artistique au premier plan de belle manière, en soulignant les émotions que l'on peut mettre dans nos créations, et la façon dont on peut continuer à vivre à travers elles.
On ne ressort pas indemne de la lecture de Sea you there and us, récit poignant et humain dans ses nombreuses thématiques, intelligent dans son déroulement, et très joliment mis en images par Monday Recover dans son adaptation. Oeuvre après oeuvre, l'autrice taïwanaise affirme ses qualités, et on ne peut que remercier les éditions Nazca (et les éditions Mahô, qui l'éditent aussi en France) de continuer à nous la faire découvrir, d'autant plus que l'édition est ici très correcte: la très belle jaquette bénéficie d'éléments en vernis sélectif, le papier et l'impression sont de qualité convaincante, la conservation des pages en couleur est très appréciable, le grand format permet de bien profiter des mises en scènes de Monday Recover, le lettrage de Marie Ursi est assez propre, et la traduction de Léa Chow est suffisamment claire.