Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 25 Septembre 2024
De l'Espagne à l'Italie en passant par le Brésil, le Chili et bien d'autres pays, voici déjà plusieurs années que, de temps à autre, les éditeurs de manga sortent du Japon ou de la France pour aller dénicher des artistes qui, après avoir avoir grandi avec ce format, s'en sont fort logiquement réapproprié les codes pour, à leur tour, donner naissance à leurs propres oeuvres. En ce mois de septembre, c'est la démarche que les éditions Kana ont suivie afin de nous faire découvrir Le Secret de Scarecrow, une série qui nous vient d'Allemagne, qui est en cours là-bas depuis 2019, et qui est scénarisée est dessinée par une autrice déjà bien établie depuis plusieurs années: Gin Zarbo, originaire de Suisse, se disant fan de Tite Kubo, Kohei Horikoshi, Yusuke Murata et Gamon Sakurai, ayant débuté en 2014 avec le doujinshi Cape Souls, et ayant ensuite acquis une certaine notoriété entre 2017 et 2019 avec la publication chez Tokyopop d'Undead Messiah, un manga qui a terminé dans le top 10 des publications nationales de mangas en Allemagne et qui a également été publié aux États-Unis.
Présenté comme un shônen d'aventure et de fantasy, Le Secret de Scarecrow prend place dans un pays fictif divisé en deux royaumes qui, depuis toujours, vit sous la menace des Crows, des sortes de monstres ressemblant à des corbeaux géants et ayant notamment le pouvoir de manipuler leurs cibles par la vue, en les poussant alors notamment à s'entretuer pour être plus facilement dévorés ensuite. Il s'agit là, d'ailleurs, de la première très chouette idée de l'oeuvre, tant ce pouvoir de manipulation pourrait amener des situations délicates et complexes sur la longueur s'il est bien exploité. Face à ces créatures monstrueuses et effrayantes, les habitants ont certes mis au point certaines choses, comme le port obligatoire de masques pour ne pas tomber ou l'emprise des manipulations des Crows, ou la conception de barrières magiques. Mais la légende veut qu'autrefois, leur meilleure arme de défense étaient les Scarecrows, de mystérieux êtres à l'allure d'épouvantails (corbeaux, épouvantails... Vous l'avez) qui ont aujourd'hui totalement disparu pour d'obscures raisons, si bien qu'il ne s'agit plus que d'un mythe. Princesse du royaume d'Ostpol, Engell Athanasia est persuadé, depuis son enfance, que les Scarecrows ont bel et bien existé, et met tout en oeuvre pour essayer de dénicher une piste afin de les retrouver. En trouvant enfin quelque chose sur les Scarecrows dans un livre qu'il va falloir déchiffrer chez un linguiste, elle quitte incognito sa ville, sans savoir que ses pas vont rapidement l'amener à retrouver l'un de ces légendaires combattants, en marquant par la même occasion le début de son aventure...
Un peu à la manière de l'autrice française Tpiu sur Les Héritiers d'Agïone (pour citer une autre excellente série non-japonaise lancée récemment par Kana), on sent que Gin Zarbo a à coeur de poser les uns après les autres les premiers concepts de son univers, en les distillant bien pour nous laisser le temps de les assimiler, pour un résultat limpide et immersif. Ainsi, après les toutes premières pages d'introduction somme toute rapides, les premiers pas d'Engell à l'extérieur de la capitale permettent de poser différents petits éléments contextuels (comme la part de discrimination subsistant envers les bêtes de la part des humains, le pouvoir des Crows, le port de masques...) mais aussi d'installer des premiers visages secondaires facilement attachants comme Rem, petit garçon-bête qui n'a visiblement pas une vie facile et que l'on espère bien revoir. Mais c'est bien à partir de la rencontre entre Engell et l'énigmatique Scarecrow s'affichant sur la jaquette que les choses s'accélèrent, avec un premier affrontement qui va vite souligner pas mal de points d'intérêt pour la suite: la nature réelle du Scarecrow, ce qu'il doit faire pour récupérer sa puissance d'antan, le lien à-part qu'il devrait construire avec la princesse qui semble avoir en elle un étonnant pouvoir et qui devrait donc être promise à un destin hors du commun pour lutter contre les Crows... La recette n'est pas foncièrement originale, mais on sent un univers bien pensé par l'autrice, et qui plus est déjà assez stimulant puisque pas mal de questions titillent notre curiosité au bout de ce premier tome. Par exemple, d'où viennent les pouvoirs d'Engell, quelles sont les origines des Scarecrows, et pourquoi ont-il soudainement disparu ?
L'ensemble est d'autant plus prenant et intrigant que, d'un point de vue visuel, l'artiste livre une copie très prometteuse, ne serait-ce que pour ses designs soigneusement pensés, Gin Zarbo nous gratifiant d'ailleurs en fin de volume de plusieurs pages de making of sur la création des designs des Scarecrows. L'autrice a aussi le mérite de proposer des décors (de villes comme de paysages, notamment de forêts) bien présents et assez immersifs, d'inspiration médiévale mais avec ce qu'il faut de premiers petits éléments magiques voire technologiques pour offrir une petit peu plus d'unicité à cet univers. Enfin, les moments d'"action", bien que très brefs, jouissent d'une certaine vivacité et de quelques petites pointes de gore brutal qui soulignent bien la dangerosité et l'effroi provoqués parles Crows voire par d'autres créatures.
Côté édition, la copie est propre de la part de Kana: la jaquette est soignée et est rehaussée d'un vernis sélectif, les cinq premières pages en couleurs sont appréciables, le papier est à la fois souple et assez opaque, l'impression est très correcte, et la traduction assurée par Justine Coquel est convaincante.