Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 04 Novembre 2025

Bien connu pour être, aux éditions Glénat, le co-scénariste de l'excellente saga musicale Blue Giant depuis déjà un bon moment, Number 8 nous a également offert l'histoire du tout aussi bon récit historique Abura, paru aux éditions Panini plus tôt dans l'année. En cet automne 2025, le voici de retour chez ce même éditeur avec Salaryman Z, une oeuvre pour laquelle il est à nouveau uniquement scénariste tandis que la partie visuelle a été confiée à Ten Ishida, dessinateur qui a débuté professionnellement en 2018, dont c'est la première publication en France et la troisième série au Japon. Dans son pays d'origine, cette oeuvre suit son cours depuis 2023 dans le magazine Morning des éditions Kôdansha, et elle compte cinq volumes à l'heure où ces lignes sont écrites.

Cette oeuvre nous immisce dans le Japon post-covid contemporain auprès de Yûsaku Maeyamada, un homme de 40 ans qui a tout du salaryman intègre et exemplaire, au point de faire du quotidien de salarié acharné un véritable art de vivre. Jour après jour, à une époque où ses méthodes d'employé de bureau corporate ont de quoi paraître désuètes, il est fier de faire tant d'efforts pour l'entreprise où il travaille, et d'effectuer son job avec toute la rigueur qu'il estime nécessaire. Et quand bien même il pourrait sembler n'avoir rien d'autre que son travail comme loisir dans la vie, il a aussi à coeur d'essayer, autant que possible, de transmettre sa vision du travail à ses collègues plus jeunes. C'est dans ce contexte que, soudainement, une mystérieuse épidémie transformant les gens en zombie apparaît et commence à bouleverser la société. Forcément, la vie bien rangée de Yûsaku s'en voit chamboulée elle aussi, mais est-ce vraiment cela qui va lui faire perdre ses valeurs dans le travail ? Pas si sûr...

Après le jazz de Blue Giant, et les samouraïs de la toute fin du shogunat Tokugawa d'Abura, Number 8 change donc encore de registre en jouant la carte du récit de survie parmi les zombies, mais avec en tête une idée bien précise et particulière qui est vouée à offrir sa part d'originalité à cette énième itération de récit zombiesque: une incursion en profondeur dans le cadre du milieu du travail puisque tout se passe en entreprise, et un personnage principal qui est bien décidé à continuer d'exercer, dans ce contexte apocalyptique où la survie prime, tous ses préceptes de salaryman modèle qu'il a eu à coeur de suivre rigoureusement jusque-là. Ainsi, loin de paniquer, Yûsaku s'adapte à vitesse grand V pour se poser comme l'un des leaders de la survie parmi ses collègues, quitte à même immiscer dans le récit une petite part d'humour décalé que le dessin de Ten Ishida, volontiers excessif dans certains angles de vue glorifiant le personnages, tend à facilement accentuer.

Dans tout ça, l'objectif avoué de Number 8 est très clair, et est même totalement précisé dès la première page: questionner la place de salarié "à l'ancienne" et du travail d'entreprise dans un contexte qui échappe soudainement et inexplicablement à l'ordinaire. A une époque où les manières de travailler se sont beaucoup diversifiées (chose que représente bien, dans ce tome, le personnage de Kiritani, dans une forme d'"opposition" à la vision du travail de notre protagoniste), que pourra apporter Yûsaku avec sa fierté d'employé de bureau, et sa rigueur ainsi que son sens des efforts ? Et quel sens a encore le travail dans une telle situation ?

Néanmoins, pour avoir envie de sonder le sujet en compagnie du scénariste et de son personnage principal, il faudra composer avec certains partis-pris qui pourront totalement plaire ou largement déplaire selon les goûts, si bien qu'il est difficile de poser un avis un tant soit peu objectif dessus. On ne va pas forcément parler ici du très grand classicisme du déroulement une fois le concept posé, puisque globalement les auteurs cochent un par un tous les éléments de la recette habituelle du récit de zombies (possibles contaminations suscitant l'inquiétude parmi les survivants, besoin de faire des réserves de denrées de première nécessité et de de s'assurer une survie en sécurité dans un cadre protégé, obligation de prendre des risque pour aller chercher ces denrées dont la nourriture en tête...). Non, ce qui pourra surtout finir par gonfler ici, c'est la manière systématique qu'a Yûsaku, pour justifier sa vision, de se reposer à tout bout de champ sur nombre de citations de divers travailleurs, chefs d'entreprises et autres entrepreneurs. Finalement, pour l'instant on ne sait pas trop quel message veut véhiculer le scénariste avec cet amas de citations. Mais surtout, à force d'en avoir quasiment toutes les trois pages, ça devient assez indigeste, en plus de casser plus d'une fois le rythme.

En somme, au bout de ce premier volume de Salaryman Z, soit on accroche au concept, soit on décroche assez vite. Pour l'heure, l'idée initiale a de quoi intriguer, mais il va falloir que les auteurs dosent mieux certaines choses (en tête ces citations barbantes à la moindre occasion), et surtout il faudra attendre de voir quelle direction Number 8 compte donner exactement à tout ça. Yûsaku va-t-il toujours rester à fond dans sa vision des choses, ou certaines de ses certitudes finiront-elles par s'effondrer ?

Enfin, côté édition française, sous une jaquette qui est quasiment un copié-collé de la version originale japonaise, on a droit à un papier souple et suffisamment opaque, à une impression correcte sans être excellente, à une traduction appliquée de la part de Guillaume Mistrot, et à un lettrage assez propre signé Acrobat. 


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
13 20
Note de la rédaction