Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 02 Janvier 2025
Les membres des sphères de fans connaissent bien Jérôme Alquié, artiste fortement influencé par les anime des années 70 et 80, notamment marqué par Albator ou Saint Seiya. Dans son art, il a ainsi intégré le style propre à Shingo Araki, character-designer ô combien majeur d’il y a plusieurs décennies, et qui nous a tragiquement quittés fin 2011. Après avoir travaillé ses propres projets indépendants, Jérôme Alquié a été déniché par les éditions Kana pour « Albator : Mémoires de l’Arcadia », premier projet de leur collection Classics qui s’inscrit dans une volonté de créer des histoires nouvelles autour des œuvres nostalgiques forte de notre paysage, en confiant le tout à des artistes franco-belges et en œuvrant main dans la main avec les auteurs et éditeurs japonais, de manière à ne jamais dénaturer les univers d’origines. Après Albator, Kana a produit le très bon Goldorak, puis a mis en chantier ce qui est indéniablement le projet majeur de la collection à l’heure actuelle : « Saint Seiya : Time Odyssey ».
De nouveau, le projet a été confié à Jérôme Alquié, immense fan de l’œuvre de Masami Kurumada, qui s’est entouré du scénariste Arnaud Dollen, avec qui il avait déjà travaillé sur la bande dessinée « Surnaturels » aux éditions Delcourt. Ambitieux, le récit est voué à conter une nouvelle histoire qui se déroule entre les grands arcs du manga original, le tout dans 5 albums dont chacun d’eux sera centré sur l’un des Chevalier de Bronze. L’histoire a nécessité une certaine minutie et a été validée par l’éditeur Akita Shoten qui compte en ses rangs des spécialistes de la saga de Kurumada, de manière à limiter les incohérences et à fluidifier quelques points qui pourront étonner les passionnés de la saga. Le premier volume de Time Odyssey sort en septembre 2022 et s’accompagne d’une édition collector bien garnie qui, outre un très joli fourreau rigide à l’effigie de la boîte de l’armure du Phénix, une couverture inédite et un plus grand format, s’enrichit de nombreuses pages de storyboards et de coulisses sur la création de ce premier tome, en plus d’une nouvelle inédite écrite par Jérôme Alquié et validée par les éditeurs de Masami Kurumada. Un vrai collector, donc, qui ne se limite pas à une jaquette inédite. Et pour ça, on peut saluer les éditions Kana ainsi que Jérôme Alquié dans leur volonté, même si une telle version a un prix : 34.90€ au lieu de 13.95€.
Avant de passer à la chronique, petit aparté sur les raisons de sa publication tardive, plus de deux ans après la sortie de l’ouvrage. Votre serviteur était d’emblée intéressé par le projet de Jérôme Alquié et Arnaud Dollen (preuve en est l’interview du dessinateur que nous avons réalisé quelques semaines avant la sortie en librairies du premier album), mais ses souvenirs de Saint Seiya remontaient à son unique lecture du manga. Ce n’est que tout récemment que l’opportunité m’a été donnée d’enfin relire le manga original de Kurumada (ou du moins jusqu’à la conclusion de l’arc Poséidon), me remettant les événements en tête pour mieux aborder ce nouveau récit. Un choix à ne pas regretter tant l’histoire proposée s’appuie sur quelques éléments très précis de l’aventure de Seiya et les siens. Petite divagation faite, il est temps de parler de ce premier tome.
L’intrigue de ce premier opus, qui semble sonner comme un prologue, se déroule après la bataille contre les Chevaliers d’Argent. Seiya, Shiryu, Shun et Hyoga profitent d’un répit mérité quand surgissent face à eux des combattants envoyés par Chronos. Le Dieu du Temps en a après Ikki afin d’offrir sa tête à Zeus, dans le but de devenir la treizième déité de l’Olympe. Alors qu’il recouvre ses forces, le Chevalier du Phénix doit faire face, seul, à la menace de Chronos…
Créer une nouvelle intrigue de Saint Seiya qui s’entremêle aux arcs que nous connaissons est loin d’être chose simple. Pourtant, le tandem créé par Jérôme Alquié et Arnaud Dollen s’en sort haut la main, en partant du pari casse-gueule d’entamer cette histoire juste après la confrontation face aux Chevaliers d’Argent. À première vue, difficile de croire qu’une autre grande bataille se déroule entre cet instant et l’arc du Sanctuaire, mais une petite astuce vient rendre la chose plus acceptable. À partir de là, il n’y a pas trop de raisons de bouder son plaisir, et on attend de voir quel nouveau scénario nous attend.
Le risque était certainement de tomber dans des écueils trop classiques. L’œuvre de Kurumada a pour qualité comme pour défaut d’être ultra codifiée, ce qui mène à des situations si répétitives qu’on frôle parfois le grotesque. Si l’exercice passait bien dans les années 80, la sauce a une saveur différente plus de 30 ans après. Par exemple, difficile de découvrir les films issus de l’anime sans afficher un petit rictus par moment. Ce côté vieillot de la recette Saint Seiya, il est probable que les deux auteurs en aient conscience. Ainsi, ils accouchent d’un premier tome à la structure un poil différente de ce qu’on voit dans le Saint Seiya original, le tout en restant dans l’âme de la série.
Après un prologue mettant les Chevaliers de Bronze et Athéna en avant, le récit se focalise sur Ikki qui mène sa propre bataille contre certains sbires de Chronos, un dieu aux ambitions particulièrement bien trouvées, ce qui lui donne d’emblée un relief particulier. Pour développer ce premier segment, les artistes n’hésitent pas à jouer avec la mythologie de Kurumada et lui donner un sens nouveau, créant ainsi quelques surprises scénaristiques, quitte à risquer de froisser les adeptes qui tiennent strictement à la trame telle que l’a développée le mangaka du manga d’origine, tel un récit sacré. En somme, c’est assez audacieux tout en prenant la forme d’une vraie lettre d’anime pour le Saint Seiya originel, à commencer par le manga grâce aux planches aux compositions fidèles à celles de Kurumada, dotées d’une patte de couleur sublime. Le tout résonne aussi comme une ode à l’adaptation animée, fortement liée au succès de la saga dans le monde, puisque le trait de Jérôme Alquié est indéniablement empreint de l’héritage de feu Shingo Araki. On peut considérer le tout comme un melting-pot des éléments forts de la mythique série, ce qui donne une vraie force esthétique à l’ensemble. Que l’on adhère ou non à l’histoire proposée, force est de reconnaître la patte présente dans ce premier album.
Le premier volet (sur cinq) de Saint Seiya : Time Odyssey nous emballe donc sans mal. Par son caractère introductif centré sur le Phénix, la lecture se révèle prometteuse et nous laisse attendre de grandes choses pour la suite, à commencer du côté de l’histoire. Cet arc centré sur Chronos jouera-t-il autant sur le scénario de Saint Seiya que le fait ce premier tome ? Aura-t-on droit à quelques surprises, dont des armures inédites ? Il y a clairement de quoi avoir hâte de lire les quatre albums suivants. La chose tombe à pic : les deux suivants sont déjà disponibles à l’heure de la publication de cette chronique !