Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 16 Mars 2023
Sakae Esuno est un mangaka qui s'est assurément taillé une belle réputation, il y a quelques années, avec la série qui fut sa première publication française chez Casterman: Mirai Nikki, manga à suspense particulièrement efficace, qui fut ensuite porté sur écran en une adaptation animée beaucoup plus médiocre et ayant pourtant obtenu une notoriété retentissante (ne lui enlevons pas ça). Par la suite, les éditions Casterman, fortes de ce succès, ont entrepris de publier les autres séries de l'auteur, à savoir sa toute première série Hanako et autres légendes urbaines, puis Big Order qui fut créé juste après Mirai Nikki et qui connut aussi une adaptation animée. Ce pendant, nous n'avions plus de nouvelles d'Esuno chez son éditeur français historique depuis la fin de Big Order en 2017, si bien que c'est finalement Pika Edition qui le remet en avant dans notre pays à partir de cette mi-mars avec sa dernière série en date, Reign of the Seven Spellblades.
Lancée au Japon en 2019 dans le magazine Shônen Ace des éditions Kadokawa (magazine dans lequel le mangaka avait déjà publié toutes ses précédentes séries), cette série possède une petite particularité par rapport aux précédents mangas d'Esuno: pour la première, il y a met en images une histoire déjà existante, à savoir celle de Nanatsu no Maken ga Shihai suru, un light novel qui suit son cours dans son pays d'origine depuis 2018, que l'on doit au célèbre Bokuto Uno (l'auteur d'Alderamin on the Sky) et qui est illustré par Ruria Miyuki. Une oeuvre qui, par ailleurs, va également connaître une adaptation animée cet été, ce qui devrait accroître sa popularité.
Reign of the Seven Spellblades nous plonge dans un monde alternatif, au sein d'une école pas comme les autres puisque l'académie de Kimberly est spécialisée dans la magie. En ce jour de rentrée des classes, plusieurs nouveaux élèves font route vers ce lieu aux allures de château perdu en étant sur le point d'entamer un cursus de 7 années, et parmi eux se trouve Oliver Horn. Sur le chemin vers l'école parsemé de fleurs magiques et autres joyeusetés, il a déjà l'occasion de sympathiser avec différents autres nouveaux élèves qui seront dans sa classe, et même de se frotter à une dangereuse créature qui n'est pas loin de commettre un massacre. Et mine de rien, cela donne le ton de ce qui les attend, puisqu'à Kimberly les périls sont nombreux, seuls 80% des entrants finissent diplômés (en vrai, c'est pas si mal), et surtout aucune garantie de survie n'est offerte. Alors, les élèves achèveront-ils tous leur apprentissage indemnes, voire vivants ?
Une académie de magie, une grande bâtisse à l'aspect de château perché et loin de tout, un cursus de 7 années, un système de préfets... On ne va pas vous faire l'affront de dire à quelle saga internationalement connue tout ceci fait inévitablement penser, mais fort heureusement l'oeuvre ici présente devrait sans nul doute vite trouver sa propre voie au vu de certains éléments distillés, mais nous y reviendrons plus tard. Et dans l'immédiat, tout est question de mise en place dans ce premier tome qui, en premier lieu, doit une part de son charme à une immersion suffisamment réussie dans l'atmosphère magique du lieu: très vite on sent que la magie va être partout, que ce soit pendant les premiers cours, ou au quotidien avec des éléments comme les fleurs qui parlent les clocknocks (des petites créatures qui "possèdent" les horloges), les vers à soies magiques et autres créatures fantastiques.
C'est sur ces bases que, après la cérémonie d'ouverture elle aussi empreinte de magie (le repas a lieu au plafond, original) et orchestrée par la très (très très) intimidante directrice Esmeralda, les élèves doivent en premier lieu s'acclimater à leur nouvelle vie, ce qui passe avant tout par deux aspects très classiques mais inévitables. D'un côté, l'installation plus précise des nouveaux camarades de classe d'Oliver, et de ce côté-là on a une petite palette de clichés: Michela la fille de nobles ayant un certain leadership, Katie la petite mignonne toute douce et intègre, Guy le campagnard, Pete le roturier travailleur et un peu bourru... et, surtout, Hibiya Nanao, une fille-samouraï venue d'Azia, dont beaucoup se demandent pourquoi elle a été acceptée à Kimberly alors qu'elle vient de très loin, et qui nous montrera vite des talents prometteurs en combat. Et de l'autre côté: l'arrivée des premiers cours: l'escrime du professeur Garland, les sciences incantatoires du professeur Gilchrist, la biologie fantastique du professeur Aldis... soit des choses assez communes du genre.
Et pourtant, on le sent assez bien au fil de différents petits éléments distillés dans ce premier tome, tout ne va pas être aussi classique, ne serait-ce que parce qu'aucune garantie de survie n'est donnée dans cette académie, et donc que les dangers peuvent survenir violemment jusque dans les cours, un fait dont on a déjà quelques exemples avec l'attaque du monstre au début ou l'événement sanglant refermant ce volume 1. Côté personnages, il y a de quoi rester intrigué par la place que vont prendre Hibiya qui a visiblement des capacités magiques hors-normes, ainsi qu'Oliver qui poursuit apparemment un mystérieux objectif. Côté background, on nous explique à demi-mot pourquoi on en est venus à enseigner l'escrime dans une académie de magie suite à un événement passé. Et enfin, il y a surtout l concept qui donne son nom à la série: les spellblades, techniques occultes garantissant de tuer tout adversaire en combat rapproché, mais si secrètes qu'elles ne sont pas officiellement répertoriées et qu'on doute de leur existence. Il en existerait 6, mais au vu du "seven" présent dans le titre on se doute qu'il y aura anguille sous roche. Sur tout ça, on peut également dire qu'allier épée et magie est une idée prometteuse, pas spécialement nouvelle mais qui pourrait apporter un peu plus d'unicité au récit sur la longueur.
Ce volume d'installation s'avère donc, dans l'ensemble, assez efficace. Sakae Esuno prend suffisamment de temps pour exposer les choses et pour intriguer sur les quelques possibles éléments un peu plus originaux. il offre une narration claire et fluide, ainsi qu'un dessin limpide où l'on reconnaît tout de suite son style typique, où certains designs de créatures sont déjà sympathiques, et où les premières joutes bien orchestrées. Il ne reste plus qu'à attendre de voir comment tout ceci se développera.
Côté édition, c'est une belle copie que nous propose Pika. A l'extérieur, la jaquette reprend sobrement l'illustration originale japonaise tout en la ponctuant d'un logo-titre bien travaillé de la part de Shuji Takizawa. Et à l'intérieur, on a droit à 4 premières pages en couleur sur papier glacé, à un papier à la fois souple, assez épais et sans transparence, à une impression très honnête, à un travail de lettrage soigné du Studio Charon, et à une traduction efficace de Hana Kanehisa avec, notamment, une façon de parler différente (plus soutenue) pour Hibiya, ce qui colle plutôt bien au personnage.