Rakugo à la vie à la mort (le) Vol.1 - Actualité manga
Rakugo à la vie à la mort (le) Vol.1 - Manga

Rakugo à la vie à la mort (le) Vol.1 : Critiques

Shôwa Genroku Rakugo Shinjû

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 27 Août 2021

En ce mois d'août, le catalogue du Lézard Noir accueille une pièce de choix: Le rakugo à la vie, à la mort. De son nom original Shôwa Genroku Rakugo Shinjû, cette oeuvre fut initialement prépubliée de 2010 à 2017 dans le magazine Itan des éditions Kôdansha, un magazine que l'on connaît également en France pour la série Frau Faust de Koré Yamazaki. Auréolée d'un franc succès et reconnue pour avoir su mettre en valeur l'art typiquement japonais qu'elle aborde, la série a remporté de nombreuses récompenses dans son pays, dont le prix du meilleur manga au Japan Media Arts Festival en 2013, le prix du manga Kôdansha catégorie générale en 2014, et le prix culturel Osamu Tezuka catégorie nouveau talent en 2017. Et si son nom ne vous est pas tout à fait inconnu, ce ne serait pas étonnant: une adaptation en série animée par le studio Deen a vu le jour, et les deux saisons qui la composent ont été diffusées dans notre pays sur la plateforme ADN en 2016-2017 sous le titre Le rakugo ou la vie. En somme, c'est un manga particulièrement réputé qui débarque enfin dans notre pays, et nous allons voir que cette réputation est loin d'être usurpée.

On doit le manga à Haruko Kumota, une mangaka active depuis la toute fin des années 2000, et dont Le rakugo à la vie, à la mort fut la première véritable série longue. Artiste éclectique, Kumota a déjà signé, au fil de sa carrière, différents josei pouvant faire dans plusieurs registres (tranche de vie, historique), et elle est également connue pour un certain nombre de récits boy's love dont deux, Shinjuku Lucky Hole et La Forêt des Roses, sont sortis en France aux éditions Boy's Love.

Bouclée en dix volumes dans son pays d'origine, l'oeuvre est, pour son édition française, compilée en 5 tomes doubles voués à faire environ 300 pages chacun, le tout dans un grand format souple avec couverture sans jaquette ni rabats, dans la logique d'une série comme La Cantine de Minuit. En plus d'une bonne qualité de papier et d'impression, on appréciera beaucoup la très bonne idée d'avoir confié la traduction à Cyril Coppini, conteur de Rakugo depuis 2010, et seul français au monde à interpréter du Rakugo en japonais mais aussi en anglais et français. Son talent est vite reconnu dans son pays d’adoption en contribuant activement à la diffusion du Rakugo à l’étranger. Et depuis mars 2016, il se produit régulièrement sur la scène du Toyokan, illustre cabaret où Takeshi Kitano a fait ses débuts, dans le quartier d’Asakusa à Tokyo. Grâce à sa connaissance et à son expérience du rakugo, celui-ci parvient à livrer une traduction précise, minutieuse, y compris dans les scènes de rakugo où il fallait réussir à faire ressortir l'humour très spécifique (les jeux de mots n'étant pas rares en japonais).

Dans ce récit nous immisçant dans le Japon des années 1960, tout commence par une sortie de prison: celle de Kyoji, un jeune garçon libéré pour bonne conduite, et qui semble particulièrement jovial: il a beau n'avoir aucune famille, aucune attache ni aucune maison, il est déterminé à devenir le disciple de Yakumo, un grand maître du rakugo. La raison ? Eh bien, non seulement parce que Kyoji aimait beaucoup écouter des histoires de rakugo quand il était enfant, mais aussi et surtout parce que, un an auparavant, il a été complètement ébloui par la prestation de ce rakugoka (conteur de rakugo) venu faire un spectacle dans la prison. Pour aborder Yakumo, la démarche de Kyoji est plutôt cavalière et à la limite de l'idiotie et de l'irrespect... Et pourtant, Yakumo, réputé pour n'avoir jamais pris le moindre disciple, accepte de prendre le jeune garçon à ses côtés, visiblement séduit par son ton particulièrement franc et direct...

A travers le parcours et l'apprentissage de Kyoji, renommé Yotaro une fois entré au service de Yakumo, Haruko Kumota nous invite donc à une découverte précise du rakugo, ce style de spectacle littéraire humoristique typiquement japonais et né au début de l'époque Edo, où un rakugoka, assis sur un siège sur scène, conte au public des histoires, avec éventuellement quelques accessoires. L'intérêt premier de l'oeuvre est de mieux faire découvrir cet art oral qui a un peu perdu en popularité au Japon ces dernières décennies (notamment avec l'apparition de la télévision) et qui reste plutôt méconnu en France. Et sur ce point-là, la mangaka fait déjà quelques merveilles en présentant bien des facteurs essentiels pour une bonne représentation de rakugo. Il ne suffit évidemment pas de parler face au public: il faut parvenir à gérer le rythme, la clarté de l'histoire, réussir à trouver les bonnes intonations, ou encore savoir jouer différents rôles (selon les personnages de l'histoire) afin de susciter l'amusement des spectateurs et de faire en sorte qu'ils ne s'ennuient jamais. Un art particulièrement méticuleux, donc, d'autant que le rakugoka est seul sur scène et assis.

C'est à cet univers que Yotaro a décidé de se frotter avec passion, nourri par une détermination sans failles: soit il deviendra rakugoka, soit sa vie n'aura plus aucun intérêt ! Et son apprentissage risque d'être particulièrement complexe, encore plus au vu des personnes avec qui il vit désormais ou qu'il va être amené à côtoyer. On pensera bien sûr, en premier lieu, au maître Yakumo lui-même: il a beau avoir accepté notre héros en disciple, il ne lui donne aucun réel conseil ou enseignement, tarde au départ à officialiser son statut de disciple, et reste ainsi assez ambigu dans sa raison exacte d'avoir pris le jeune garçon sous son aile... Alors, peut-être y aura-t-il un début d'explication à travers un autre personnage: Konatsu, jeune femme au fort caractère ayant l'âge de Yotaro, qui fut recueillie et élevée par Yakumo après la mort de son père Sukeroku, un homme qui était lui-même rakugoka et qui fut à la fois le meilleur ami et le meilleur rival de Yakumo. Konatsu a beau avoir été recueillie par Yakumo, elle affirme le détester, l'accusant d'avoir tué son père... Alors, est-ce vraiment le cas ? Que s'est-il passé en réalité ? Quelle était exactement la nature du lien entre Yakumo et Sukeroku ? Dès le dernier tiers de ce premier volume, des éléments de réponses commencent à arriver, au travers d'un long flashback particulièrement bien mené et permettant d'évoquer encore des choses différentes sur le Japon des alentours de la 2nde Guerre mondiale, que ce soit sur la vie de l'époque ou sur la manière dont le rakugo y était considéré.

La lecture défile alors avec passion, portée par un sujet que l'autrice maîtrise, par un héros séduisant dans son tempérament, par une petite galerie de personnages secondaires qui dévoilent petit à petit leur complexité... sans oublier le dessin de Kumota, particulièrement fin, dégageant une certain élégance, et vraiment brillant lors des passages de rakugo où, entre autres, on ressent bien l'importance de savoir jouer et de ne pas se contenter de raconter. Et pour finir la lecture, on appréciera beaucoup les quelques pages bonus, avec une présentation des histoires de rakugo présentes dans ce premier volume, un index revenant sur les termes spécifiques au rakugo croisés pendant la lecture, ainsi qu'une postface du traducteur Cyril Coppini qui explique notamment un peu son parcours, ce qui a titillé son intérêt pour le rakugo, et son choix de traduire l'oeuvre en français seulement cette année.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs