Raison et sentiments - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 05 Avril 2018

Le dessinateur hongkongais Po Tse semble se faire une spécialité des adaptations en manga des romans de l'écrivaine britannique Jane Austen: après une version assez médiocre d'Orgueil et Préjugés sortie chez Soleil Manga en 2016, il a intégré en juin 2017 la collection des Classiques en manga des éditions nobi nobi! avec une adaptation du tout premier roman d'Austen, paru en 1811: Raison et Sentiments. Depuis, on l'a également retrouvé en mars 2018, toujours chez nobi nobi, pour sa version du roman Emma.


Raison et Sentiments narre les péripéties en amour et en société des deux soeurs Dashwood les plus âgées, Marianne et Elinor. La première, la plus jeune des deux, est pour l'instant toujours célibataire, car elle rêve d'un amour passionné et attend presque naïvement de rencontrer son idéal masculin, pour lequel elle est très exigeante. Quant à la deuxième, l'aînée, elle se veut plus réfléchie dans ses sentiments, et se met à entretenir un amour avec le dénommé Edward Ferrars, le frère de sa belle-soeur. C'est ainsi que le quotidien se poursuit... jusqu'à la mort de leur père, qui a des conséquences dures: voici les soeurs Dashwood et leur mère privées de tout héritage par leur demi-frère et sa détestable épouse, si bien que, sans suffisamment d'argent, elles doivent quitter la demeure familiale pour aller vivre dans le Devonshire. Sur place, elles nouent peu à peu des liens d'amitié avec la bourgeoisie locale, notamment leurs cousins les Middleton, ou encore le colonel Brandon. Et pendant que la réservée Elinor contient en elle sa peine d'être éloignée d'Edward afin de sauver les apparences, la plus impulsive Marianne rencontre enfin, en John Willoughby, son idéal masculin... mais est-il si idéal que ça, ou se joue-t-il d'elle ?


Comme son nom l'indique, cette oeuvre, fortement axée sur les rapports sentimentaux, tire l'essentiel de sa personnalité dans les contrastes entre les deux soeurs Elinor et Marianne, qui, même si elles s'apprécient beaucoup et se soutiennent toujours, ont une vision de l'amour bien différente, l'une étant plus raisonnée tandis que l'autre veut une passion idéale. Laquelle des deux est sur la bonne voie ? Et y en a-t-il seulement une des deux qui a parfaitement raison dans sa vision des relations amoureuses ? Tout au long de son récit, Jane Austen s'amuse volontiers à brouiller les pistes, non sans employer un ton parfois assez proche du cynisme, et surtout en présentant certaines conditions délicates de l'époque, celle de la haute société anglaise du début du 19ème siècle. Entre querelles de famille, convoitises notamment autour de l'argent, faux-semblants, secrets, les soeurs Dashwood se voient quelque peu malmenées dans leurs sentiments par des aléas qu'elles ne peuvent parfois pas contrôler, mais aussi par leur statut de femmes à cette époque. Un statut alors délicat, ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'à l'époque de la sortie de son roman Jane Austen a évité de signer son oeuvre de son nom, et l'a présenté de façon anonyme et précisant seulement qu'il a été écrit "par une dame". A travers certains hommes qui se jouent d'elles, Elinor et Marianne véhiculent quelques petites choses intéressantes là-dessus. Toutefois, l'oeuvre peut agacer par ses quelques élans moralisateurs et ses incursions mondaines parfois franchement longuettes.


Des péripéties des soeurs Dashwood, le dessinateur Po Tse, épaulé sur l'adaptation par une certaine Stacy King, conserve l'essentiel, mais s'offre quelques modifications qui passent assez bien. En revanche, les choix d'adaptation peuvent parfois paraître un peu lourds: certains passages peuvent paraître assez interminables, se traîner en longueur... Cette version manga ne retient pas toujours le plus utile.


Visuellement, c'est assez inégal. Po Tse est capable de séduire dans ses choix de design de personnages assez expressifs et marqués, tout comme il peut décevoir dans son trait régulièrement trop relâché ou un peu inégal, surtout sur les visages qui paraissent parfois pauvres. Les décors font leur job sans forcément être très détaillés, mais au moins ils sont là et restent clairs. Par contre, le découpage et la narration ne prennent pas de risques en collant de près au style du roman, au point que l'ensemble paraît parfois très plan-plan.


En somme, c'est déjà mieux que l'adaptation manga d'Orgueil et Préjugés, mais dans l'ensemble cette version de Raison et Sentiments manque de souffle et d'envergure. Cela reste néanmoins un moyen comme un autre de découvrir ou redécouvrir, avec quelques différences, l'oeuvre imaginée par Jane Austen, d'autant que les habituelles qualités éditoriales de la collection des Classiques en manga sont toujours là.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
11.5 20
Note de la rédaction