Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 26 Avril 2022
Editeur spécialisé dans la littérature japonaise dite de genre, Atelier Akatombo, à son rythme, étend ses activités dans le domaine du manga, sans jamais s'écarter de son approche typique. L'aventure de l'éditeur dans le manga a ainsi débuté en juin 2020 avec l'ouvrage Serii de Takehito Moriizumi, puis s'est confirmée l'année suivante, en juin 2021, avec le recueil 1984 / La luciole du même auteur. Et pour cette année 2022, Atelier Akatombo accueille sa première série manga, qui plus est dans un autre registre.
De son nom original Yume no Hashibashi (dont le titre français a une signification assez proche mais tournée de façon plus poétique et interrogatrice), Que reste-t-il de nos rêves ? est une oeuvre bouclée en deux volumes, qui a été dessinée entre 2018 et 2020 par Yumi Sudô, une mangaka trentenaire que l'on découvre en France pour l'occasion, qui est active au Japon depuis une dizaine d'années (elle a remporté en 2012 le Prix Shôgakukan du nouvel auteur pour son premier récit Nirai Kanai), et qui s’est formée dans l’atelier du mangaka Shin Takahashi. illustre auteur dont la sensibilité n'est plus à prouver à travers, entre autres, son succès Larme Ultime. L'oeuvre nous vient de l'excellent magazine Feel Young des éditions Shôdensha, magazine féminin important, qui a notamment accueilli dans ses pages plusieurs oeuvres de Mari Okazaki, Ebine Yamaji ou encore Erica Sakurazawa.
Le récit démarre en été 2018, auprès de Kiyoko Itô, une femme âgée qui semble arrivée au crépuscule de sa vie. Vivant avec sa fille, sa petite-fille et depuis 5 ans avec sa toute jeune arrière-petite-fille, elle tend malheureusement à perdre la mémoire, à confondre ses proches, à raconter avec un air un peu mélancolique certaines histoires pour lesquelles on ne sait pas trop où s'arrêtent la vérité et le "délire" (comme quand elle parle de son doigt, perdu il y a longtemps lors de la Seconde guerre mondiale). Et pourtant, au bout de cette vie où la mémoire semble régulièrement lui faire défaut, il y a une personne que Kiyoko n'a jamais oubliée: Mitsu Sonoda. Tout porte à croire que Mitsu a toujours été à part pour Kiyoko, et vice versa, les deux femmes continuant même de s'échanger des lettres à chaque Nouvel An, et étant apparemment parties souvent en voyage ensemble autrefois. Alors quand Mitsu réapparaît devant Kiyoko après bien longtemps et qu'un drame soudain a lieu suite à ça, l'occasion est venue pour Kiyoko, cette femme qui ne se comprend plus elle-même et qui a honte d'oublier tant de choses, de se remémorer le temps passé, toutes les étapes de son existence où Mitsu fut si importante pour elle, avec tout ce que cela peut impliquer...
Récit intimiste centré sur la relation profonde mais bafouée de deux femmes à travers les décennies, Que reste-t-il de nos rêves ? s'inscrit dans la droite lignée de ces récits du magazine Feel Young (et de ses autrices emblématiques) voulant sonder en profondeur et avec réalisme le coeur de ses héroïnes adultes, plus encore quand elles sont confrontées aux affres de la société et de l'existence. Et ici, après nous avoir offert dès le chapitre 1 un drame assez fort et inattendu alors même qu'il est conté en toute sobriété, Yumi Sudô se démarque par une construction scénaristique "inversée", où sa narration va nous emmener à chaque fois un peu plus en arrière dans le temps, en quelque sorte au fil des souvenirs d'une Kiyoko qui, dans le fond, n'a peut-être rien oublié de tout ce qu'elle a traversé avec sa si précieuse Mitsu.
Ainsi le récit va-t-il, tour à tour, nous plonger en 1988 quand Kiyoko et Mitsu ont 55 ans, puis en été 1969, et enfin en 1961 pour ce premier volume. Tout en s'appuyant assez habilement sur le contexte historique de ces différentes périodes (par exemple la Bulle et la crise économique de 1991), l'autrice nous fait remonter le temps pour, à chaque fois, nous faire saisir un peu plus les étapes de la vie des deux femmes, les événements les ayant parfois éloignées pendant longtemps, et surtout les sentiments exacts qui les ont toujours unies quelque part, des sentiment que, au fil des pages, grâce à la chronologie inversée du récit, on ressent avec toujours plus de force... mais aussi toujours plus de mélancolie douce-amère puisque, dès le chapitre 1 en 2018, on sait déjà comment cette histoire s'achève. Et si cette construction audacieuse brille si souvent, c'est aussi parce que l'on cerne bien les différentes étapes ayant fait prendre des décisions complexes à Mitsu et surtout à Kiyoko, des décisions voguant entre les regrets et le sentiment de passer à côté de sa vie. Décisions qui peuvent découler autant des errances personnelles (l'échec professionnel, le sentiment de stagner quand tout bouge autour de soi et de ne faire que des erreurs) que des attentes que la société nippone de l'époque pouvait, peut-être inconsciemment, faire peser sur nos héroïnes et sur les femmes de manière générale (les attentes familiales, le mariage évoqué comme une obligation, l'impossibilité de vivre en toute sérénité un amour entre femmes dans ce contexte).
Accompagné par un dessin et un découpage tout en sobriété et en maturité, ce premier volume a alors quelque chose de fort grâce à son portrait de femmes et de captivant grâce à sa structure narrative sortant des sentiers battus. Yumi Sudô maîtrisant très bien son récit, on en découvrira la suite et fin dans le tome 2 avec beaucoup d'intérêt.
Côté édition, hormis 2-3 coquilles pas bien méchantes ayant échappé à la relecture, on a droit à une copie franchement propre, qui plus est avec un rapport qualité/prix honorable de 9,80€ pour un grand format sans jaquette mais avec rabats et doté d'une qualité de papier et d'impression convaincante. Enfin, la couverture reste assez proche de l'originale japonaise, et la traduction s'avère claire dans l'ensemble.
De son nom original Yume no Hashibashi (dont le titre français a une signification assez proche mais tournée de façon plus poétique et interrogatrice), Que reste-t-il de nos rêves ? est une oeuvre bouclée en deux volumes, qui a été dessinée entre 2018 et 2020 par Yumi Sudô, une mangaka trentenaire que l'on découvre en France pour l'occasion, qui est active au Japon depuis une dizaine d'années (elle a remporté en 2012 le Prix Shôgakukan du nouvel auteur pour son premier récit Nirai Kanai), et qui s’est formée dans l’atelier du mangaka Shin Takahashi. illustre auteur dont la sensibilité n'est plus à prouver à travers, entre autres, son succès Larme Ultime. L'oeuvre nous vient de l'excellent magazine Feel Young des éditions Shôdensha, magazine féminin important, qui a notamment accueilli dans ses pages plusieurs oeuvres de Mari Okazaki, Ebine Yamaji ou encore Erica Sakurazawa.
Le récit démarre en été 2018, auprès de Kiyoko Itô, une femme âgée qui semble arrivée au crépuscule de sa vie. Vivant avec sa fille, sa petite-fille et depuis 5 ans avec sa toute jeune arrière-petite-fille, elle tend malheureusement à perdre la mémoire, à confondre ses proches, à raconter avec un air un peu mélancolique certaines histoires pour lesquelles on ne sait pas trop où s'arrêtent la vérité et le "délire" (comme quand elle parle de son doigt, perdu il y a longtemps lors de la Seconde guerre mondiale). Et pourtant, au bout de cette vie où la mémoire semble régulièrement lui faire défaut, il y a une personne que Kiyoko n'a jamais oubliée: Mitsu Sonoda. Tout porte à croire que Mitsu a toujours été à part pour Kiyoko, et vice versa, les deux femmes continuant même de s'échanger des lettres à chaque Nouvel An, et étant apparemment parties souvent en voyage ensemble autrefois. Alors quand Mitsu réapparaît devant Kiyoko après bien longtemps et qu'un drame soudain a lieu suite à ça, l'occasion est venue pour Kiyoko, cette femme qui ne se comprend plus elle-même et qui a honte d'oublier tant de choses, de se remémorer le temps passé, toutes les étapes de son existence où Mitsu fut si importante pour elle, avec tout ce que cela peut impliquer...
Récit intimiste centré sur la relation profonde mais bafouée de deux femmes à travers les décennies, Que reste-t-il de nos rêves ? s'inscrit dans la droite lignée de ces récits du magazine Feel Young (et de ses autrices emblématiques) voulant sonder en profondeur et avec réalisme le coeur de ses héroïnes adultes, plus encore quand elles sont confrontées aux affres de la société et de l'existence. Et ici, après nous avoir offert dès le chapitre 1 un drame assez fort et inattendu alors même qu'il est conté en toute sobriété, Yumi Sudô se démarque par une construction scénaristique "inversée", où sa narration va nous emmener à chaque fois un peu plus en arrière dans le temps, en quelque sorte au fil des souvenirs d'une Kiyoko qui, dans le fond, n'a peut-être rien oublié de tout ce qu'elle a traversé avec sa si précieuse Mitsu.
Ainsi le récit va-t-il, tour à tour, nous plonger en 1988 quand Kiyoko et Mitsu ont 55 ans, puis en été 1969, et enfin en 1961 pour ce premier volume. Tout en s'appuyant assez habilement sur le contexte historique de ces différentes périodes (par exemple la Bulle et la crise économique de 1991), l'autrice nous fait remonter le temps pour, à chaque fois, nous faire saisir un peu plus les étapes de la vie des deux femmes, les événements les ayant parfois éloignées pendant longtemps, et surtout les sentiments exacts qui les ont toujours unies quelque part, des sentiment que, au fil des pages, grâce à la chronologie inversée du récit, on ressent avec toujours plus de force... mais aussi toujours plus de mélancolie douce-amère puisque, dès le chapitre 1 en 2018, on sait déjà comment cette histoire s'achève. Et si cette construction audacieuse brille si souvent, c'est aussi parce que l'on cerne bien les différentes étapes ayant fait prendre des décisions complexes à Mitsu et surtout à Kiyoko, des décisions voguant entre les regrets et le sentiment de passer à côté de sa vie. Décisions qui peuvent découler autant des errances personnelles (l'échec professionnel, le sentiment de stagner quand tout bouge autour de soi et de ne faire que des erreurs) que des attentes que la société nippone de l'époque pouvait, peut-être inconsciemment, faire peser sur nos héroïnes et sur les femmes de manière générale (les attentes familiales, le mariage évoqué comme une obligation, l'impossibilité de vivre en toute sérénité un amour entre femmes dans ce contexte).
Accompagné par un dessin et un découpage tout en sobriété et en maturité, ce premier volume a alors quelque chose de fort grâce à son portrait de femmes et de captivant grâce à sa structure narrative sortant des sentiers battus. Yumi Sudô maîtrisant très bien son récit, on en découvrira la suite et fin dans le tome 2 avec beaucoup d'intérêt.
Côté édition, hormis 2-3 coquilles pas bien méchantes ayant échappé à la relecture, on a droit à une copie franchement propre, qui plus est avec un rapport qualité/prix honorable de 9,80€ pour un grand format sans jaquette mais avec rabats et doté d'une qualité de papier et d'impression convaincante. Enfin, la couverture reste assez proche de l'originale japonaise, et la traduction s'avère claire dans l'ensemble.