Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 08 Décembre 2025
Parmi les très (trop ?) nombreuses histoires de réincarnation au sein des fictions japonaises de la dernière décennie, certaines tirent leur épingle du jeu par leur originalité. Party Boy Kongming ! est indéniablement de celles-ci. Manga écrit par Yûto Yotsuba et dessiné par Ryô Ogawa, celui-ci narre la réincarnation de l’un des plus grands stratèges de l’époque des Trois Royaumes dans un Tokyo moderne, dans le but de conquérir le monde musical de la nuit.
Lancé en 2019 dans le Young Magazine de la maison Kôdansha, le titre cumule 23 volumes au Japon à ce jour, un manga-fleuve qui fut adapté à deux reprises en animée (une série et un film) ainsi qu’en drama. Une success-story, donc, même si on peut regretter qu’aucune suite à l’anime ne soit en chantier pour le moment.
De notre côté, ce sont les éditions Noeve Grafx, très friandes du catalogue de Kôdansha, qui ont jeté leur dévolu sur cette histoire indéniablement déjantée. Le manga fut initialement lancé en septembre 2023 dans nos contrées, une période peu propice pour l’éditeur qui rencontrait des difficultés. La renaissance de Noeve cette année a permis de relancer le titre, mais aussi d’en proposer ses nouveaux volumes, soit une très bonne occasion pour découvrir la série en bonne et due forme.
L’histoire démarre en l’an 234. La Chine connaît une période de combats quand Zhuge Liang, aussi nommé Kongming, le Premier ministre du pays de Shu et grand tacticien de sa nation, agonise sur son lit de mort. Le vieillard a perdu nombre de compagnons et n’aspire plus qu’à une chose lorsqu’il rendra son dernier souffle : se réincarner dans un monde en paix. Son vœu est alors exaucé : Kongming rouvre les yeux dans une enveloppe charnelle plus jeune, dans un Japon des années 2010, en pleine fête nocturne. D’abord convaincu qu’il est en Enfer, le stratège se résigne à sa nouvelle réalité quand il entend la voix d’Eiko, chanteuse du monde de la nuit qui aspire à des rêves de grandeur musicale. Certes dérouté par ce monde différent du sien, Kongming décide de déployer ses talents de tacticien pour propulser sa nouvelle protégée vers les sommets.
Voilà un plot de base presque incongru, qui associe différents traits de scénario qui ont fait mouche depuis les années 2000. D’un côté, l’idée d’un stratège venue de la Chine médiévale, dans un trope de réincarnation à une autre époque. Puis, de l’autre, un monde de la nuit plein d’entrain qui retranscrit la modernité, de l’art, mais aussi des architectures et des technologies, afin de dépayser totalement ce pauvre Kongming. Et si le récit pouvait se satisfaire d’un humour symbolisé par ce stratège complètement dérouté, il offre une vraie proposition en alliant la tactique à l’ascension de la jeune Eiko, véritable novice du chant dans cet univers nocturne, tel un soldat qui doit faire ses preuve afin de devenir un vrai général. La comparaison se tient et est quasiment assumée par un récit qui joue sur les parallèles entre les batailles de la Chine d’époque et les péripéties du tandem Kongming / Eiko, de manière à faire des concerts de vrais champs de bataille où tout élément est un moyen d’influer sur la notoriété de l’héroïne. La proposition est audacieuse, et surtout bien traitée, et non sans humour. On pense notamment à Kobayashi, le patron d’Eiko aux allures de yakuza, et véritable féru de la période des Trois Royaumes. Autant dire que ses interactions avec Kongming sont délicieuses en plus d’être, pour le lecteur, de vrais petits cours d’Histoire…
Mais pour en arriver là, ce premier tome passe par une introduction assez croustillante dans ses gags qui consistent à dépeindre un Kongming propulsé à une époque qui le dépasse… ou presque. Car le personnage s’adapte avec une nonchalance particulièrement drôle. Ce début de récit ne cherche pas à en faire des caisses sur la dichotomie entre le personnage et son nouvel environnement ni sur la manière dont son entourage le perçoit. Et tant mieux : le rythme profite de ce choix pour rapidement nous aiguiller vers une immersion du protagoniste dans le monde de la nuit, et ainsi plonger frontalement dans cet univers et son association avec ce personnage venu de la Chine d’antan.
Pour porter ce récit, il y a dans le dessin de Ryô Ogawa une simplicité et une naïveté très attrayante. Au premier regard, on peut imaginer des erreurs de morphologies et quelques hésitations de débutant… ce que le mangaka n’est pas, celui-ci ayant déjà eu trois séries à son actif. C’est une vraie patte que nous offre l’artiste, un trait à la fois longiligne et anguleux, le tout épuré de détails. Pourtant, ses planches gagnent en splendeur à quelques moments précis, notamment lors des scènes musicales et quand il est question de dépeindre le monde du divertissement nocturne, les arrière-plans se faisant alors plus denses et immersifs. Le manga a donc une vraie proposition artistique qui donne un cachet et une ambiance à cette histoire. On espère même que le dessinateur ne fera pas tant évoluer ce style vraiment plaisant.
En bref, difficile de ne pas savourer ce début de manga, indéniablement drôle, mais aussi audacieux dans sa proposition, réussi dans sa maîtrise et léché visuellement. La série a beau être longue, on ne peut que lui espérer un renouveau constant et une progression maîtrisée, de quoi nous faire apprécier cette lecture-fleuve !
17/10/2025