Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 12 Juin 2023
Chronique 2 :
Prolifique au Japon, le mangaka Souryu s'est fait connaître chez nous avec le délirant Magical Girl Holy Shit, aux éditions Akata. En 2018, l'artiste commence à publier sur Pixiv un certain "Kô Iu no ga Ii", une tranche de vie érotique qui ravira le lectorat au point d'être remodelée, gagnant une parution sous un format plus accessible au sein du magazine Tonari no Young Jump, depuis 2020.
Chez nous, c'est Kurokawa qui a fait le pari de proposer le manga, sous le titre "Partners 2.0". Un choix pas anodin, puisque l'éditeur a déjà flirté avec l'érotisme, via le très bon Nozokiana notamment. Mais parce que l’œuvre ne semble avoir eu qu'un succès mitigé dans nos librairies, on espère que la série comique et coquine de Souryu saura s'en tirer davantage sur nos étalages.
Murata et Tomoka ne sont pas faits pour les relations de couple. Ou plutôt, tous deux ont été lassés par leur dernière expérience respective, et croquent la liberté à pleines dents. Mais quand ces deux acolytes de jeu en ligne se rencontrent "irl", ils se révèlent complémentaires à plus d'un égard. Mais pas question pour eux de finir tourtereaux, malgré l'alchimie qui les relie. De leur amitié sincère va naître un type de relation particulier, aux échanges multiples, complices et charnels...
Derrière un pitch qui sent bon la comédie érotique (ou au moins sensuelle), Souryu fait preuve d'une véritable subtilité avec ce premier volume de Partners 2.0. Non pas que la série verse dans la poésie, mais plutôt dans la désacralisation des rapports charnels entre individus, par la relation la plus simple possible, entre deux camarades lassés par les relations de couple. Murata et Tomoka n'ont jamais vraiment trouvé chaussure à leur pied, pied qu'ils préfèrent prendre ensemble, entre deux snacks dans un fast-food, ou après une journée de travail éreintante. Là est toute la force de ce début de récit : cette sorte de pureté, dans le sens où rien entre les protagonistes n'est traité dans la vive émotion ou dans le drame. On se plaît ainsi à suivre la construction d'un binôme qui ne forme pas un couple, sans pour autant n'être que de simples amis. Une alchimie assez singulière entre eux, garnie de moments intimes qui ne sont jamais vraiment pris au sérieux par l'auteur.
L'humour est donc un atout indéniable de ce tome de démarrage, une patte comique qui gravite autour des interactions entre les héros, que ce soit dans leurs moments du quotidien ou dans leurs échanges coquins. Il faut dire que tous deux ont des caractères complémentaires, que ce soit Murata et son flegme jamais contrariant, ou encore Tomoka qui n'a pas sa langue dans sa poche. La cocasserie du titre est présentée de manière verbale bien souvent (aussi on saluera de Marie-Saskia Raynal particulièrement inspiré en termes de folklore verbal), et dans la narration de Souryu qui opère très souvent un cadrage statique, comme s'il posait la caméra filmant le résultat de ses planches pour laisser se dérouler le quotidien. Par cette composition, il ne tient pas à donner du glamour à ses personnages, à Tomoka notamment, mais à les représenter dans la légèreté de leur vie de tous les jours. C'est frais et drôle, que les personnages soient en train de casser la croûte ou de copuler joyeusement !
Pour toutes ces raisons, Partners 2.0 nous charme dès son premier opus. Souryu exécute brillamment son idée, pourtant simple, et sert son récit décomplexé par sa narration et son humour. Un véritable bonbon, un peu acide, mais pas trop, qui s'apprécie comme une série feel-good !
Côté édition, Kurokawa livre un travail de qualité dans la conception de l'ouvrage et dans ses finitions. Outre l'excellente traduction que nous avons évoquée, il y a aussi le lettrage bien calibré signé AQ, pour un rendu de lecture optimale.
Chronique 1 :
Déjà connu en France pour sa comédie bourrine Magical Girl Holy Shit qui suit tranquillement son cours aussi bien au japon qu'en France via les éditions Akata, Souryu débarque cette fois-ci dans le catalogue de Kurokawa avec un manga d'un autre style: Partners 2.0, un nom collant bien au contenu même si le mettre en français aurait été tout aussi bien. De son nom original Kouiu no Gaii (pouvant être traduit littéralement par "C'est bon"), il s'agit de la dernière série en date du mangaka, et elle suit son cours dans son pays d'origine depuis 2020 sur le site Tonari no Young Jump des éditions Shueisha où elle côtoie notamment One-Punch Man et Choujin X. Notons toutefois que les origines de cette série remontent à un peu plus longtemps que ça, et sont à trouver dans un récit pour adultes que l'auteur a conçu il y a quelques années, à l'époque où il faisait dans le hentai. Un héritage se ressentant un peu à la lecture de ce premier volume, qui est ponctué de pas mal de nudité, d'érotisme et de dialogues adultes, faisant que l'oeuvre est déconseillée aux moins de 16 ans, un peu à l'image d'un Nozokiana pour citer un autre manga coquin paru chez Kurokawa.
Partners 2.0 s'intéresse à deux jeunes adultes qui, chacun de leur côté, étaient encore officiellement en couple avec quelqu'un d'autre un an auparavant. Travaillant à domicile dans l'informatique, Murata devait composer avec une petite amie n'affichant aucune confiance en lui, exigeant qu'il lui réponde dans la seconde au téléphone, et qui exigeait sans cesse des preuves de son amour. Vivotant jusqu'à trouver un job de serveuse, Tomoka, elle, se sentait étouffée par un petit ami qui certes affirmait l'aimer plus que tout mais qui voulait beaucoup trop la mouler selon l'image de fille idéale qu'il s'en faisait. En somme, tous deux ne s'épanouissaient aucunement dans leur relation de couple officiel castratrice, jusqu'au jour où ils en ont eu marre et ont demandé la séparation. Depuis, ils sont restés célibataires et l'on bien vécu. Mais un petit coup de pouce du "destin" a décidé de les faire se rencontrer au coeur de la jungle urbaine: tous deux membres d'une même guilde dans un jeu en ligne, ils finissent par se voir en vrai lors d'une rencontre IRL entre les joueurs. Pendant que tous les autres semblent plus là pour draguer que pour parler du jeu, Murata et Tomoka préfèrent évoquer leur expérience en ligne. Puis de fil en aiguille, ils en viennent à parler de bien d'autres choses avec autant de franchise que de naturel, y compris de sexe, si bien qu'une sorte d'osmose se crée naturellement entre eux jusqu'à les pousser à finir au love hotel. Ca n'aurait pu être qu'un coup d'un soir, mais le fait est que ces deux-là se sentent particulièrement biens, détendus, naturels ensemble, en partageant beaucoup de choses avec complicité, si bien qu'il décident de se revoir régulièrement, que ce soit pour faire l'amour, pour manger, pour jouer, pour discuter, ou pour juste passer du temps ensemble. Mais pour eux deux, hors de question de retourner dans une relation de couple officiel !
La nouvelle oeuvre de Souryu nous immisce donc auprès de deux personnages principaux qui dénotent joyeusement dans leur relation puisqu'ils ne sont ni vraiment en couple, pas spécialement amoureux, mais pas purement sexfriends pour autant puisque leurs moments passés ensemble ne se limitent pas du tout au sexe, même s'il en est souvent question. Tous deux finiront par poser un terme inventé sur cette relation amicale, sexy, libre et franche, et tout ceci leur va très bien. Car loin des relations telles que l'entend habituellement la société, Murata et Tomoka entretiennent avant tout un lien cool, détendu, où ils se sentent juste bien en étant totalement naturels ensemble, en suivant leurs désirs, en conservant leur part d'indépendance/liberté, sans s'imposer des contraintes inutiles. Il ne faut donc pas s'étonner, par exemple, de les voir parler de cul, se promener à poil, ou se goinfrer de trucs salissants ou odorants sans la moindre gêne, ce qui a pour effet d'offrir quelque chose d'assez moderne et de délicieusement décomplexé, et c'est tant mieux. Et ce côté décomplexé et moderne se ressent encore plus particulièrement à travers le personnage de Tomoka, une fille qui assume parfaitement ses désirs cochons et dont Souryu nous montre l'intimité sous différents aspects: elle adore mater du porno et se faire plaisir, se gratte le derrière sans rechigner, glande en soutif chez elle, dort n'importe comment... soit des choses que son ex ne supportait pas en se faisant trop étouffant. Notons quand même que Souryu, sans doute nourri par sa longue carrière dans le hentai, aime quand même beaucoup exhiber les charmes de son héroïne, évidemment très jolie. Murata lui-même est également beau garçon en plus d'être visiblement une bête au lit, si bien que l'on se dit que l'on aurait aimé des personnages un peu plus normaux, avec des proportions plus standard notamment, ce qui aurait encore mieux collé au propos.
En dehors de ça, côté dessin Souryu livre une copie franchement appréciable. Omniprésents, ses décors urbains sont directement tirés de photos de la ville et ne sont pas forcément très retravaillés, mais le mangaka les exploite très efficacement pour y faire se mouvoir ses personnages, à travers des angles de vue et des découpage de l'action souvent immersifs. on appréciera notamment les moments où l'auteur découpe case par case les mouvements de ses personnages en ville ou chez eux en gardant le même fond, ce qui apporte une ambiance assez cool ici.
Dans l'ensemble, ce premier volume de Partners 2.0 s'avère satisfaisant. Dans une ambiance détendue et sexy où l'on sent très souvent que les deux personnages principaux se sentent vraiment bien et naturels en passant du temps ensemble, Souryu livre un début de tranche de vie légère, coquine et moderne, dont on attendra la suite avec intérêt, tout en espérant qu'un sujet de ce type pourra facilement se renouveler.
Enfin, quelques mots sur l'édition française, de fort bonne facture avec une jaquette proche de l'originale japonaise et dotée d'un logo-titre moderne bien dans le ton, un papier souple et sans transparence permettant une bonne qualité d'impression, un lettrage soigné d'AG, et surtout une traduction particulièrement efficace de Marie-Saskia Raynal qui sait très bien faire ressortir la personnalité des deux personnages principaux, entre le côté assez cru et franc de Tomoka et les réponses assez pince-sans-rire et bien senties de Murata, le tout contribuant très bien à l'ambiance détendue de l'oeuvre.