Paradis - Picquier - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 21 Septembre 2015

Paradis est un recueil d’histoires courtes de Shin’ichi Abe, un des auteurs phares de la revue Garo et un maître du gekiga (mouvement de bande dessinée au Japon, assimilable à une nouvelle vague et dont le but était d’apporter des traits plus dramatiques et cinématographiques au manga). Les scénarios qui composent Paradis ont été dessinés entre 1971 et 1973, et seulement publiés en format librairie au Japon en 2002.

Ce recueil peut être qualifié de manga d’auteur pour plusieurs raisons. D’une part, il a tout du manga intimiste, dans la narration et le dessin notamment, qui cherchent à dépeindre des gens simples dans leur quotidien. Il y est question de déménagement, de rêves, de sexualité… L’auteur n’en oublie pas de parler en fond des sujets de société de l’époque. Ensuite, certains thèmes sont très personnels vis-à-vis de la vie de l’auteur, notamment l’évocation systématique du bassin minier du Chikuhô, dont Abe est originaire. Enfin, ce manga peut être vu comme un manga d’auteur en raison de sa construction artistique : les personnages des différentes intrigues ne se croisent (pratiquement) pas, mais ils sont toujours rattachés de manière cohérente par le lieu géographique. Paradis est donc pensé pour être un recueil qui évoque des thématiques intimes, que l’auteur a souhaité mettre en avant.

Après cette description, vous pouvez peut-être mieux cerner l’œuvre. Pour autant, est-elle de qualité ?

On ne peut pas lui retirer sa portée artistique, ça, c’est vrai. Il émane des pages un étrange sentiment de nostalgie, d’onirisme et d’anxiété aussi, car les personnages sont souvent en proie au doute. À l’image des films noirs, ne négligeons pas la force du contraste du noir et blanc. Très souvent, des décors sont dessinés de manière très obscure pour mieux faire ressortir le blanc lumineux d’un objet. Ces décors, à ces moments-là, sont d’ailleurs assez détaillés et dénotent d’une certaine virtuosité dans le dessin. De même, si le design des personnages ne paie de mine, il a le mérite de ne pas être « comme les autres » mangas. Il n’y a qu’à voir les protagonistes dans les séquences de nu pour se rendre compte du souci du réalisme voulu par Abe.

En outre, Paradis est le double témoin d’un courant artistique d’une époque et de l’œuvre rarement traduite d’un auteur reconnu. Sans parler des caractéristiques intrinsèques de l’œuvre, il mérite lecture pour cette raison.

Malgré tout, on ne peut s’empêcher de trouver que le fil rouge de chaque histoire est très décousu, paradoxalement dû au dessin et à la narration. En dépit des qualités sus-citées de ces éléments, il demeure difficile de tout « lire » (scénario et dessin) de manière limpide du premier coup. Le dessin ne permet pas toujours d’identifier clairement les faits et gestes des protagonistes, voire de reconnaître immédiatement les personnages. On pourrait se dire que cet aspect nébuleux est voulu par Abe, pour pousser au maximum les relectures. On pourrait aussi se dire qu’il s’agit d’un détail en raison des autres qualités citées. Mais dans la réalité, la lecture est quelque peu laborieuse et pas forcément toujours très agréable à cause de cela.

En définitive, Paradis d’Abe est pour vous si vous êtes à la recherche de mangas patrimoniaux, qui ont une portée historique vis-à-vis du média qu’ils représentent. C’est le cas de Paradis, qui infuse dans la lecture quelques émotions de l’auteur, mais qui peuvent malheureusement manquer de force par moments.

L’édition de Philippe Picquier a le mérite de présenter une postface, qui donne les clés de compréhension nécessaires au lecteur. Le papier est glacé, mais un peu trop rigide pour que le confort de lecture soit maximum. La traduction est correcte, mais le manque de ponctuation peut poser problème.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Raimaru
13 20
Note de la rédaction