Our Colorful Days Vol.1 - Actualité manga

Our Colorful Days Vol.1 : Critiques

Bokura no Shikisai

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 14 Août 2020

Chronique 2

Artiste éclectique (il officie beaucoup dans le manga mais fait aussi dans l'illustration, le roman...), très reconnu à l'international via notamment des expositions et des prix, longtemps figure de proue du bara (le manga gay réaliste, auquel il s'est exclusivement consacré pendant 20 ans à partir de 1994) avec plusieurs de ses oeuvres sorties en France (essentiellement aux éditions H&O), Gengoroh est un auteur important qui, ces dernières années, a su mettre à profit cette réputation pour parler d'homosexualité à un plus large public et à la faire comprendre sous toutes les coutures. C'est ainsi qu'en 2014, il lança une série en 4 volumes destinée à beaucoup faire parler d'elle: Otouto no Otto, qui fut publiée en France en 2016-2017 par les éditions Akata sous le titre Le mari de mon frère, qui veut tout dire. Tranche de vie aussi douce que généreuse, tantôt émouvante tantôt un peu plus dure mais souvent assez lumineuse, osant aborder avec réalisme et ouverture la place de l'homosexualité dans nos sociétés sous de nombreux aspects, l'oeuvre toucha un assez grand public et obtint pas mal de récompenses: prix d'excellence du 19e Japan Media Arts Festival, prix d'excellence pour la Japan Cartoonists Association, aux USA 30e prix Eisner de la meilleure publication asiatique... sans oublier, de notre côté, sa victoire à notre Tournoi Seinen 2016.

Depuis, inutile de dire que l'on attendait impatiemment de voir vers quoi allait se pencher Tagame après ce très beau succès mérité. Et la réponse n'a pas traîné puisque, après avoir achevé Le mari de mon frère en 2017, il se lança en mars 2018, toujours pour le magazine Gekkan Action de Futabasha qui avait déjà accueilli sa précédente oeuvre, dans une nouvelle série nommée Bokura no Shikisai (littéralement "Notre Couleur"). Publié à rythme mensuel, la série s'est achevée dans son pays d'origine le 25 mai dernier, tandis que son 3e et dernier volume relié est attendu le 12 septembre.

En France, il n'aura pas fallu attendre bien longtemps pour découvrir cette série: fidèle à cet auteur, mais aussi à ses thématiques et à ses convictions, Akata a proposé de la découvrir dès le mois d'avril 2019, dans un premier temps avec une parution numérique chapitre par chapitre, parution numérique qui s'est achevée le 30 juillet dernier avec la 21e et dernier chapitre. Mais pour celles et ceux n'étant pas adeptes du numérique ou souhaitant simplement découvrir ou redécouvrir l'oeuvre tome par tome, sa version papier est désormais là, le premier volume étant sorti fin juin ! Notons d'ailleurs le joli titre de l'édition française, "Our Colorful Days", assez proche du titre japonais, mais en même temps plus insistant sur la part de quotidien importante de la série.

Our Colorful Days nous immisce donc auprès de Sora Itoda, un lycéen suivant une scolarité somme toute on ne peut plus normale: il n'a pas de problèmes en classe, il a en guise d'amie d'enfance la très chouette Nao Nakamura avec qui il est au club d'arts pour peindre et dessiner, et certaines personnes se disent même qu'il sort peut-être avec elle vu qu'ils sont toujours fourrés ensemble... et pourtant, il cache quelque chose au plus profond de lui: il est secrètement amoureux de Kenta Yoshioka, un camarade de classe. Car Sora en a conscience depuis bien longtemps: il est gay. Il n'a jamais osé le dire à qui que ce soit, pas même à Nao. Et comment pourrait-il bien en faire part aux autres qui lui semblent tous "normaux", entre les garçons qui fantasment sur des idols féminines ou les filles qui parlent de mecs ? D'autant que jusque dans sa classe, les plaisanteries homophobes sont régulières... Face à ces moments gênants, Sora a pris l'habitude de se camoufler sous un masque de neutralité, son "mode furtif" comme il dit. Mais le jour où il voit Yoshioka sourire à l'une de ces "blagues", c'est le coup en trop qui fissure son masque, et Sora préfère alors sécher les cours pour se promener seul le long de la mer. S'assoupissant sur un muret près du rivage, il a la surprise, en somnolant à moitié, de distinguer la silhouette d'un homme assez âgé susurrant des mots comme quoi il l'a toujours aimé... Mais quand il se réveille totalement, cet homme aux paroles mystérieuses n'est déjà plus là. Sora a-t-il rêvé ? Pourquoi cet homme lui a dit ça ? En finissant par retrouver sa trace, il arrive jusqu'à un étrange petit café...

Toujours désireux de faire comprendre l'homosexualité et son acceptation au plus large public possible, Tagame aborde donc à nouveau ici son sujet de prédilection, mais sous un prisme différent par rapport au mari de mon frère, puisque-là où sa précédente série proposait des personnages adultes à partir desquels il évoquait nombre de choses (la famille, notamment), cette fois-ci le mangaka nous place à cette période charnière de la vie qu'est l'adolescence. Bien sûr, en filigranes l'auteur avait déjà abordait la question de l'acceptation de l'homosexualité quand on est ado dans Le mari de mon frère, mais ici le cadre adolescent est au premier plan, et le choix est on ne peut plus judicieux et a beaucoup de choses à dire, cette période étant cruciale.

Cruciale, car on le ressent constamment dans ce premier tome: l'adolescence est une période aussi riche que formatrice, où s'éveillent mieux la compréhension (ou non) de l'autre et l'intérêt pour l'amour et pour l'autre sexe... ou pour le même sexe dans le cas de Sora. L'adolescent aimerait pouvoir se mêler totalement aux autres, mais comment le pourrait-il quand ses camarades de classe masculins parlent tous de leur attrait pour des filles ou qu'ils balancent des blagues homophobes montrant une certaine banalisation de cette homophobie (comme si c'était quelque chose très éloigné d'eux et ne pouvant pas les concerner) ? Où notre héros peut-il trouver sa place ? Comment, dans des conditions pareilles, pourrait-il faire son coming out sereinement sans risquer dans payer le prix cher en étant vu par les autres comme "celui qui est gay" ? Et puis, en filigranes, il y a aussi la question de la famille qui finit par apparaître, la mère de Sora imaginant volontiers, un peu gaga, son fils en couple avec son amie d'enfance... Ou bien encore une déclaration d'amour d'une fille qui ne peut que le laisser mal à l'aise, tant il ne sait pas comment lui répondre sans la blesse ni se trahir.

Bref, Gengoroh Tagame sait vraiment bien aborder la difficulté toute particulière à accepter et à avouer son homosexualité quand on est adolescent. Grâce à une narration assez introspective sur le héros et à des mots souvent simples et justes, on ressent bien le mal-être que Sora cache au plus profond de lui. Et on le ressent avec d'autant plus d'attachement que l'on voit bien la sincérité de ce qu'il ressent. Kenta a beau lui paraître négligé voire un peu grossier, il y a bien des choses, notamment son sérieux, qui font qu'il l'aime toujours plus. Mais comment pourrait-il vivre heureux en vivant avec l'obligation de cacher ce qu'il est ? C'est là qu'intervient un lieu en particulier: le café, petit endroit étrange et où se sent immédiatement à l'aise, à côté d'un patron qui est comme lui et auprès de qui il peut parler plus ouvertement. Un petit cadre assez chaleureux, où Nao finira elle aussi par s'inviter bien sûr, pour un résultat assez bienfaiteur autour de ce trio de personnage, où l'on sent que Sora peut se "soulager" de certains tourments pour, peut-être, finir par s'épanouir et par vivre ouvertement. D'ailleurs, ce lieu de réconfort qu'est le café semble presque symboliser le monde qu'aimeraient le patron, Sora ou simplement, sûrement, Tagame, tan rien, pas même les sièges tous différents, n'y est uniforme.

Sur le plan des visuels et de l'ambiance, on retrouve la patte toute douce et tout public de Tagame, avec des traits un peu ronds et dégageant clarté et bienveillance. La narration sonne toujours juste, et l'on appréciera les petits élans plus artistiques et poétiques de Sora qui, en tant que membre du club d'arts, regarde souvent le monde avec toutes ses couleurs. Et puis, les pages d'ouverture de chapitres sont très stylées, encore plus quand on finit par apprendre qu'il s'agit en réalité des toiles de notre héros.

Au bout du compte, Our Colorful Days démarre de très bonne et très belle manière, en offrant un début de tranche de vie à la fois assez doux et très réaliste dans son abord de l'homosexualité à l'adolescence, par le prisme de l'acceptation et de la compréhension. Gageons que la suite de cette courte série sera tout aussi séduisante.

Concernant l'édition française, on a un très bon travail avec un livre facile à prendre en mains, au papier assez épais et souple, et dans un format seinen similaire à celui du mari de mon frère. Les choix de police sont très soignés, et la traduction de Bruno Pham sonne toujours juste en faisant bien ressortir le ressenti des personnages, et en sachant s'adapter aux différentes ambiances. Enfin, la jaquette reste très proche de l'originale japonaise, en en reprenant également les couleurs du logo-titre.


Chronique 1

Entre 2016 et 2017 en France, l'auteur Gengoroh Tagame nous a éblouit avec Le Mari de mon Frère, tranche de vie et drame social dans lequel un japonais fait la rencontre de son beau-frère, Mike, mari de son défunt frère. Un récit aussi envoutant que touchant, et particulièrement important pour les messages qu'il véhicule.

Il n'était donc pas si étonnant que l'artiste lance en 2018 une série dans ce même registre, éloignée des récits érotiques qu'il propose bien souvent. Bokura no Shikisai démarre dans le Gekkan Action des éditions Futabasha, titre dont les droits ne tardent pas à être acquis par les éditions Akata. Au printemps 2019, c'est d'abord au format numérique que le manga est proposé, sous le titre Our Colorful Days, avant qu'une édition physique soit lancée en ce mois de juin 2020. Un timing idéal puisque deux opus sont déjà parus au Japon, et que la série est confirmée sur trois tomes au total.

Lycéen ordinaire, Sora cache un secret : Il est gay et n'a jamais fait son coming-out. Il est très amoureux de Yoshioka, l'un de ses amis qui ne connait donc pas ses sentiments. Jusqu'à présent, il encaissait les remarques homophobes de son entourage... jusqu'à la plaisanterie de trop qui le pousse à sécher une après-midi de cours. Profitant d'un peu de tranquillité pour s'érer l'esprit, il s'endort près d'un rivage jusqu'à ce qu'un homme d'un certain âge apparaisse face à lui pour lui avouer ses sentiments...

Dans ce premier tome de Our Colorful Days, la rupture avec Le Mari de mon Frère est vite établie. Le protagoniste n'est plus un homme canadien qui ne cache pas son homosexualité, mais un adolescent japonais qui garde celle-ci secrète. Une orientation différente qui, on le comprend au fil de la lecture, traduit toutes les idées de la nouvelle série de Gengoroh Tagame. Ici, l'auteur parle de la manière d'affirmer sa différence avec recul, mais aussi de la difficulté à être gay particulièrement quand on est adolescent. Une démarche qui correspond très bien à l'un des aspects de la série précédente de l'auteur où il présentait déjà des portraits de garçons homosexuels différents, avec une volonté authentique.

C'est donc le jeune Sora que nous sommes amenés à suivre, un lycéen amoureux de l'un de ses meilleurs amis, mais qui choisit de garder ses attirances pour lui. Un choix juste qui nous fait vite comprendre la difficulté pour un garçon comme lui de s'épanouir pleinement, dans une société où le plus grand nombre soupçonne pas forcément la banalisation des comportements discriminants. Outre le message social derrière cette amorce, l'empathie avec le personnage principal est créé, et le lecteur se questionne sur la manière dont Sora pourra trouver une paix dans la vie de tous les jours.

A côté de ça, Gengoroh Tagame renoue avec l'ambiance si douce et prenante de son œuvre précédente. Car si les message derrière ce premier volumes sont forts et sérieux, l'auteur les développe avec une grande bonté de ton, ce en développant une alchimie entre le héros et le mystérieux homme qui lui dévoilera ses sentiments en début d'oeuvre, ainsi qu'avec Nao, son amie d'enfance. Au fil des chapitres, un triangle de générosité se forme, avec comme passionnant fil rouge l'évolution des rapports entre Sora et son amie, et la manière dont l'attachant homme deviendra une figure de mentor et d'accompagnant pour le personnage principal. Les liens présentés sont purement humains et happent à eux seuls, tandis que le café où les trois compères se retrouvent deviendra le lieu des amitiés et de la progression personnelle de chacun.

Toute cette atmosphère est habilement mise en lumière par le style si reconnaissable de Gengoroh Tagame. Ses personnages gardent cette crédibilité esthétique mais aussi des expressions pleines d'humanité qui contribuent à la générosité de ton du titre. C'est une marque qui était présente dans Le Mari de mon Frère, et qu'on prend un immense plaisir à retrouver dans ce titre.

Côté édition, Akata livre une très bonne copie. Comme à son habitude pour les formats medium, l'éditeur propose un papier épais tandis que la traduction de Bruno Pham (aussi responsable éditorial de l'éditeur) sied parfaitement à l'ambiance du titre et à ses messages.

Ainsi, ce premier tiers de Our Colorful Days se savoure pour toutes ses nuances. D'un côté, Gengoroh Tagame livre un nouveau message social important (et peut-être plus amer que dans Le Mari de mon Frère) tandis que la bonté humaine qui se dégage du titre happe sans mal, en plus de véhiculer de jolis messages optimistes sur l'acceptation mutuelle. Un très bon début, comme on pouvait s'y attendre de l'auteur, si bien qu'on regrette déjà que la série ne soit prévue que sur trois volumes.
   

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

16.25 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16 20
Note de la rédaction