Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 12 Juin 2025
Les derniers jours de ce printemps 2025 sont l'occasion, pour Le Lézard Noir, de lancer en France une nouvelle comédie romantique entre adultes qui se veut un petit peu atypique: Only Just Married, une série en dix volumes qui est la toute première publication française d'Aoharu Yuki, mangaka de shôjo/josei discrète et ayant signé quelques histoires dans son pays d'origine depuis ses débuts professionnels il y a une dizaine d'années. De son nom original "Konin Todoke ni Han wo Oshita dake desu ga" (littéralement "Je viens de tamponner le certificat de mariage", cette oeuvre a été prépubliée au Japon entre 2017 et 2022 dans l'excellent magazine Feel Young des éditions Shôdensha, et a rencontré suffisamment de succès là-bas pour voir droit à une adaptation en drama.
On y découvre Akiha Ôkado, une femme de 27 ans qui est célibataire et qui le vit très bien. Ne souhaitant pas de petit ami et ne s'imaginant aucune vivre en couple un jour, cette employée dans une boîte de design semble s'épanouir en se donnant à fond dans le boulot qu'elle aile, peut ensuite se détendre en allant boire des coups avec ses amies tantôt mariées tantôt seules elles aussi, et n'apprécie rien de plus que de rentrer chez elle pour se vautrer dans son bon vieux et confortable canapé qui n'appartient qu'à elle ! Bref, cette vie lui convient parfaitement... et elle aurait pu continuer ainsi si le destin n'avait pas placé devant elle certains événements aussi soudains qu'absurdes et s'incarnant en la personne de Shû Momose, un éditeur d'ouvrages littéraires compétent, beau, assez aisé, mais visiblement complètement nul pour communiquer. Pour une certaine raison, à savoir continuer de vivre incognito un amour impossible qu'il ne peut pas oublier, cet homme souhaite à tout prix se marier... ou, plutôt faire un mariage blanc, si bien qu'il demande ça à nombre de femmes célibataires de son entourage. Forcément, celles-ci rejettent toutes la proposition ubuesque de Shû, y compris notre chère Akiha au tempérament bien trempé. Néanmoins, certains coups du sort concernant ses finances et la santé de sa grand-mère pourraient le contraindre à accepter, et à entamer une étrange "fausse vie de couple" avec cet homme qu'elle connaît à peine...
Partant d'une idée à première vue un peu grotesque, le début de cette série a toutefois, à travers celle-ci, le mérite de déjà esquisser une vision un peu hors-normes du mariage, et donc de questionner volontiers sur ce qu'est le mariage dans le fond, sur ses différentes formes et sur ce qui peut faire un mariage heureux. Dans le cas d'Akiho et de Shû, en tout cas, une chose est sûre: ce n'est assurément pas par amour qu'ils finissent par se marier (ou, plutôt, par contracter leur mariage blanc) ! Et dans les faits, cela amène des premières dizaines de pages d'avant-mariage qui demanderont éventuellement un petit effort pour rester accrochés à l'oeuvre, car il faut avouer que dans un premier temps Shû est un brin malaisant dans ses tentatives de forcer la main à Akiho.
Et pourtant, à partir du moment où le mariage blanc est signé et que la nouvelle vie de "couple" commence pour ces deux-là, Aoharu Yuki parvient à développer un certain charme dans sa série, en premier lieu en posant justement les bases de leur toute nouvelle vie, puisqu'ils vont désormais devoir cohabiter dans la même grande maison, mais aussi tâcher de ne pas se trahir face à leur entourage. Deux choses sont fixées dès le départ entre eux, en montrant que Shû n'a heureusement pas de mauvaises intentions envers Akiho: ne pas interférer dans leurs vies privées respectives, et ne jamais enfreindre les règles qu'ils vont établir pour ça. Forcément, les débuts de cette cohabitation vont amener quelques moments houleux et assez amusants entre ces deux personnalités si différentes, et l'humour pourra parfois perdurer dans les quelques difficultés à ressembler à un vrai couple en société et face aux familles. Mais derrière cette première façade, il va de soi que cette cohabitation est inévitablement vouée, malgré les règles, à pousser Akiho et Shû à se découvrir l'un l'autre de plus en plus, à entrevoir leurs bons côtés et doutes respectifs (à l'image d'une Akiho qui se sent parfois nulle en tant qu'adulte dans certaines choses comme la cuisine)... et même à déjà percer certains de leurs secrets dans des moments de confidences. Inévitablement, la principale révélation de ce premier volume vient de l'identité de l'amour impossible de Shû, une vérité rapidement prévisible mais qui a déjà de quoi rythme le récit et apporter des enjeux relationnels supplémentaires.
A l'arrivée, une fois passées les premières dizaines de pages qui pourraient paraître un peu creepy aux yeux de certaines personnes, on a une histoire qui, petit à petit, s'emballe efficacement, en étant portée par des personnages bien campés, par un concept qui se développe correctement et pas un dessin assez fin, mature et expressif. Le départ de cette comédie romantique adulte est donc assez enthousiasmant dans l'ensemble, et il ne reste plus qu'à voir si le tome 2, sorti en même temps que ce premier opus, confirmera ou non cette tendance positive.
Côté édition française, enfin, le lézard Noir livre un "petit" format seinen dans ses standards, avec une jaquette adaptant très fidèlement l'originale nippone, un papier parfois légèrement transparent mais dans l'ensemble assez épais, une qualité d'impression très correcte (même si, une nouvelle fois, on regrettera que le nom de l'imprimeur ne soit pas précisément indiqué), et une traduction efficace de Mélanie Kochert.