Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 15 Novembre 2019
Lancées dans le manga cette année avec le mangaka Rensuke Oshikiri dont elles ont publié la série vidéoludique Bip-Bip Boy et la tragédie horrifique et sociale Le Perce-Neige, les éditions Omaké, en ce mois de novembre, continuent doucement mais sûrement de se diversifier en nous faisant parvenir la toute première publication papier d'une mangaka discrète (elle n'a a priori rien fait à l'heure actuelle), Chiaki Maeda.
Au programme d'Old West, un recueil de 5 histoires au parcours un petit peu atypique. Ayant permis à Maeda de remporter en 2014 le 75e Prix Shôgakukan du meilleur premier manga, la première histoire (celle qui offre son nom au recueil) a ensuite été publiée en mars 2015 dans le magazine Bic Comic de cet éditeur. C'est aussi dans ce magazine qu'ont été publiés les deux récits suivants, "Coyotes Must Kill" et "No Limit", respectivement en juin 2016 et décembre 2015. Pourtant, il faudra ensuite attendre juin 2018 pour revoir l'autrice, avec la parution de son recueil en version papier... chez un autre éditeur, Futabasha, et avec deux récits inédits pour le compléter: "Beautiful Dreamer", une oeuvre plus ancienne de la mangaka qui n'avait jamais été publiée, et "Wind in Wolves", une histoire totalement inédite qui a été dessinée exprès pour cette édition.
Le point commun des 5 histoires composant ce recueil d'environ 220 pages ? Hé bien, il est dans le titre: toutes se déroulent dans l'Ouest américain d'autrefois, le far west, ce far west qui depuis déjà bien longtemps nourrit notre imaginaire et nos fantasmes, quitte à régulièrement déformer la réalité qui était celle de cette époque. Les purs mangas de western sont plutôt rares chez nous, parmi les plus récents publiés en France on peut citer l'excellent Billy the Kid 21 paru aux éditions Black Box et dans lequel le mangaka Noboru Rokuda offrait sa vision du célèbre bandit. On accueille donc avec curiosité ce nouveau représentant du genre qu'est Old West.
L'histoire "Old West" nous plonge en 1900, où les plus grandes heures du far west semblent déjà passées, mais le jeune Ethan rêve bien souvent de partir à l'aventure, comme ont pu le faire bien des gens quelques décennies auparavant, notamment pour la ruée vers l'or. Mais la réalité est qu'il est surtout coincé entre l'école, où il est bon, et l'éreintant travail à la ferme familiale où on a forcément besoin de ses bras. Si bien que même si l'enfant est doué en études, ses parents ne voient pas l'intérêt qu'il poursuive l'école au-delà des premières années obligatoires. Tout en devant se confronter à ces choix d'avenir, le petit garçon continue de se nourrir de sa soif d'aventure en allant régulièrement parler avec un voisin aujourd'hui vieux mais ayant autrefois vécu cette fameuse grande époque du far west.
"Coyotes Must Kill" nous fait suivre les préparatifs d'un braquage. Alors qu'une taupe semble se trouver dans le petite groupe de bandits et que les suspicions sont fortes, le braquage a lieu, jusqu'à son implacable issue.
"No Limit" nous plonge auprès d'un joueur de poker invétéré qui devra finir par choisir entre rester plongé dans le jeu ou quitter cet endroit pour suivre sa compagne.
Dans "Beautiful Dreamer", on suit les pas d'un jeune homme recherchant l'homme qui a tué son père dix ans auparavant, et se retrouvant bientôt en lien avec un pistolero un peu plus âgé qui semble renfermer en lui des douleurs passées.
Enfin, "Wind in Wolves" nous propose l'alliance entre un homme blanc et un indien ayant pur missions de chasser ensemble une meute de loups semant le carnage parmi les troupeaux des environs. Entre le blanc considérant l'indien comme un sauvage, et l'indien peinant à renoncer aux anciennes croyances de son peuple face au monde qui change, une véritable opposition de valeurs se présente à nous, mais la quête commune des deux hommes pourrait bien les amener un peu plus loin que ça.
A travers ces cinq récits, Chiaki Maeda se réapproprie volontiers bon nombre des éléments typiques des récits de western: les cowboys (les vrais: pas les héros façon Lucky Luke, mais ceux qui gardent les troupeaux), la recherche de l'or, les bandits (allant des braquages au vol de bétail), le jeu, l'alcool, les animaux sauvages comme les loups, la place des indiens, et bien sûr les étendues sauvages... La mangaka brasse plus ou moins fortement une vaste palette d'éléments classiques du western. Mais elle le fait à sa manière, une manière assez éloignée des fantasmes et se voulant globalement plus réaliste. Alternant entre la tranche de vie crédible et la brutalité pouvant soudainement faire irruption au détour d'un coup de pistolet pour disparaître tout aussi vite, entre une certaine introspection et l'hostilité de ce monde encore sauvage, entre les fermes/villes/bars et les paysages naturels magnifiques, Maeda jongle dans un univers pouvant paraître aussi brutal et dur que beau et fascinant. Et c'est dans ce cadre qu'elle dépeint, avant tout, des personnages paraissant bien souvent humains, assez éloignés des clichés, car ils peuvent montrer autant de qualités que de défauts. Ainsi suit-on par exemple cet enfant préférant rêver d'aventure face aux choix d'avenir terre à terre qui se posent devant lui, ce bandit que la 4e histoire qui quelque part est en quête de rédemption et n'a plus grand chose à attendre de la vie, cet indien qui peine encore à se faire au monde qui change même s'il se doit de s'y acclimater par la force des choses...
Visuellement, la mangaka bluffe réellement pour une première oeuvre. Son trait assez épais et marqué permet d'offrir des visages contrastés et nuancés tout en conservant un côté assez brut, tandis que ses décors omniprésent savent souligner l'étendue des sublimes paysages sauvages ou les traces de présence humaine avec les bâtiments soignés. Les trames sont suffisamment bien dosées pour enrichir le tout sans en faire trop, le découpage souvent assez classique fait bien ressortir le soin régulier des angles de vue et permet aussi de ménager quelques effets soudains... C'est soigné, rigoureux et efficace.
En somme, si vous aimez les récits ancrés dans un far west plus crédible et humain que fantasmé (même si pas mal de moments savent bien assurer le spectacle), Old West est sans nul doute fait pour vous. Que ce soit dans son ambiance, dans ses visuels, dans sa réappropriation des classiques du genre, ou dans ses portraits de personnages, cette première oeuvre de Chiaki Maeda est une réussite.
Du côté de l'édition, on a affaire à un plutôt bel objet. La jaquette est sobre mais efficace, et il faut noter que même si elle reprend l'illustration de l'édition japonaise elle l'inverse, ainsi la première de couverture de l'édition japonaise devient ici la quatrième de couverture. A l'intérieur, le papier est agréable, à la fois souple, assez épais et sans transparence. L'impression possède un léger moirage ou une encre bavant un petit peu sur quelques pages, mais il n'y a rien de dramatique et elle reste bonne dans l'ensemble. Enfin, la traduction de Céline Crucifix montre bien 2-3 discrètes coquilles ayant échappé à la relecture, mais là non plus il n'y a rien de dramatique, et l'ensemble s'avère aussi fluide qu'immersif.
Au programme d'Old West, un recueil de 5 histoires au parcours un petit peu atypique. Ayant permis à Maeda de remporter en 2014 le 75e Prix Shôgakukan du meilleur premier manga, la première histoire (celle qui offre son nom au recueil) a ensuite été publiée en mars 2015 dans le magazine Bic Comic de cet éditeur. C'est aussi dans ce magazine qu'ont été publiés les deux récits suivants, "Coyotes Must Kill" et "No Limit", respectivement en juin 2016 et décembre 2015. Pourtant, il faudra ensuite attendre juin 2018 pour revoir l'autrice, avec la parution de son recueil en version papier... chez un autre éditeur, Futabasha, et avec deux récits inédits pour le compléter: "Beautiful Dreamer", une oeuvre plus ancienne de la mangaka qui n'avait jamais été publiée, et "Wind in Wolves", une histoire totalement inédite qui a été dessinée exprès pour cette édition.
Le point commun des 5 histoires composant ce recueil d'environ 220 pages ? Hé bien, il est dans le titre: toutes se déroulent dans l'Ouest américain d'autrefois, le far west, ce far west qui depuis déjà bien longtemps nourrit notre imaginaire et nos fantasmes, quitte à régulièrement déformer la réalité qui était celle de cette époque. Les purs mangas de western sont plutôt rares chez nous, parmi les plus récents publiés en France on peut citer l'excellent Billy the Kid 21 paru aux éditions Black Box et dans lequel le mangaka Noboru Rokuda offrait sa vision du célèbre bandit. On accueille donc avec curiosité ce nouveau représentant du genre qu'est Old West.
L'histoire "Old West" nous plonge en 1900, où les plus grandes heures du far west semblent déjà passées, mais le jeune Ethan rêve bien souvent de partir à l'aventure, comme ont pu le faire bien des gens quelques décennies auparavant, notamment pour la ruée vers l'or. Mais la réalité est qu'il est surtout coincé entre l'école, où il est bon, et l'éreintant travail à la ferme familiale où on a forcément besoin de ses bras. Si bien que même si l'enfant est doué en études, ses parents ne voient pas l'intérêt qu'il poursuive l'école au-delà des premières années obligatoires. Tout en devant se confronter à ces choix d'avenir, le petit garçon continue de se nourrir de sa soif d'aventure en allant régulièrement parler avec un voisin aujourd'hui vieux mais ayant autrefois vécu cette fameuse grande époque du far west.
"Coyotes Must Kill" nous fait suivre les préparatifs d'un braquage. Alors qu'une taupe semble se trouver dans le petite groupe de bandits et que les suspicions sont fortes, le braquage a lieu, jusqu'à son implacable issue.
"No Limit" nous plonge auprès d'un joueur de poker invétéré qui devra finir par choisir entre rester plongé dans le jeu ou quitter cet endroit pour suivre sa compagne.
Dans "Beautiful Dreamer", on suit les pas d'un jeune homme recherchant l'homme qui a tué son père dix ans auparavant, et se retrouvant bientôt en lien avec un pistolero un peu plus âgé qui semble renfermer en lui des douleurs passées.
Enfin, "Wind in Wolves" nous propose l'alliance entre un homme blanc et un indien ayant pur missions de chasser ensemble une meute de loups semant le carnage parmi les troupeaux des environs. Entre le blanc considérant l'indien comme un sauvage, et l'indien peinant à renoncer aux anciennes croyances de son peuple face au monde qui change, une véritable opposition de valeurs se présente à nous, mais la quête commune des deux hommes pourrait bien les amener un peu plus loin que ça.
A travers ces cinq récits, Chiaki Maeda se réapproprie volontiers bon nombre des éléments typiques des récits de western: les cowboys (les vrais: pas les héros façon Lucky Luke, mais ceux qui gardent les troupeaux), la recherche de l'or, les bandits (allant des braquages au vol de bétail), le jeu, l'alcool, les animaux sauvages comme les loups, la place des indiens, et bien sûr les étendues sauvages... La mangaka brasse plus ou moins fortement une vaste palette d'éléments classiques du western. Mais elle le fait à sa manière, une manière assez éloignée des fantasmes et se voulant globalement plus réaliste. Alternant entre la tranche de vie crédible et la brutalité pouvant soudainement faire irruption au détour d'un coup de pistolet pour disparaître tout aussi vite, entre une certaine introspection et l'hostilité de ce monde encore sauvage, entre les fermes/villes/bars et les paysages naturels magnifiques, Maeda jongle dans un univers pouvant paraître aussi brutal et dur que beau et fascinant. Et c'est dans ce cadre qu'elle dépeint, avant tout, des personnages paraissant bien souvent humains, assez éloignés des clichés, car ils peuvent montrer autant de qualités que de défauts. Ainsi suit-on par exemple cet enfant préférant rêver d'aventure face aux choix d'avenir terre à terre qui se posent devant lui, ce bandit que la 4e histoire qui quelque part est en quête de rédemption et n'a plus grand chose à attendre de la vie, cet indien qui peine encore à se faire au monde qui change même s'il se doit de s'y acclimater par la force des choses...
Visuellement, la mangaka bluffe réellement pour une première oeuvre. Son trait assez épais et marqué permet d'offrir des visages contrastés et nuancés tout en conservant un côté assez brut, tandis que ses décors omniprésent savent souligner l'étendue des sublimes paysages sauvages ou les traces de présence humaine avec les bâtiments soignés. Les trames sont suffisamment bien dosées pour enrichir le tout sans en faire trop, le découpage souvent assez classique fait bien ressortir le soin régulier des angles de vue et permet aussi de ménager quelques effets soudains... C'est soigné, rigoureux et efficace.
En somme, si vous aimez les récits ancrés dans un far west plus crédible et humain que fantasmé (même si pas mal de moments savent bien assurer le spectacle), Old West est sans nul doute fait pour vous. Que ce soit dans son ambiance, dans ses visuels, dans sa réappropriation des classiques du genre, ou dans ses portraits de personnages, cette première oeuvre de Chiaki Maeda est une réussite.
Du côté de l'édition, on a affaire à un plutôt bel objet. La jaquette est sobre mais efficace, et il faut noter que même si elle reprend l'illustration de l'édition japonaise elle l'inverse, ainsi la première de couverture de l'édition japonaise devient ici la quatrième de couverture. A l'intérieur, le papier est agréable, à la fois souple, assez épais et sans transparence. L'impression possède un léger moirage ou une encre bavant un petit peu sur quelques pages, mais il n'y a rien de dramatique et elle reste bonne dans l'ensemble. Enfin, la traduction de Céline Crucifix montre bien 2-3 discrètes coquilles ayant échappé à la relecture, mais là non plus il n'y a rien de dramatique, et l'ensemble s'avère aussi fluide qu'immersif.