Old Boy - Double Vol.1 - Actualité manga

Old Boy - Double Vol.1 : Critiques

Old Boy

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 06 Mars 2020

Réalisé en 2003, le film sud-coréen Old Boy, 2e volet de la fameuse "trilogie de la vengeance" de Park Chan-wook après Sympathy for Mr Vengeance et avant Lady Vengeance, dépoussiéra un grand coup le petit monde du thriller/polar de son pays, et marqua les esprits partout où il passa, en empochant dans la foulée nombre de récompenses dont le fameux Grand Prix du Festival de Cannes en 2004. Mais il ne faudrait pas oublier qu'à la base de ce long-métrage devenu si culte qu'il est souvent considéré comme l'un des meilleurs films coréens de tous les temps, se trouve un manga !

Originellement prépublié entre 1996 et 1998 au sein de l'incontournable magazine Manga Action des éditions Futabasha (le magazine du Dômu de Katsuhiro Otomo ou de plusieurs oeuvres de Kazuo Kamimura, entre autres), sorti dans son pays en 8 volumes papier puis rééditée en 5 pavés en 2007, puis lauréat cette même année aux USA au prestigieux Prix Eisner, le manga Old Boy a été conçu à 4 mains. Le nom du dessinateur ne vous dira peut-être pas grand chose, puisque Nobuaki Minegishi, bien qu'il ait dessiné environ une vingtaine d'oeuvres depuis les années 80, n'a été publié qu'une seule fois dans notre langue avec la série dont il est question ici. En revanche, le scénariste est un peu plus connu dans nos contrées puisqu'il s'agit de Garon Tsuchiya: malheureusement décédé en janvier 2018 dans sa 71e année, on lui doit, en une quarantaine d'années de carrière, plus d'une trentaine d'histoires, régulièrement en collaboration avec des artistes bien connus comme Jirô Taniguchi, Ryôichi Ikegami, Kaiji Kawaguchi ou Akio Tanaka. Connu sous différents pseudonymes (Caribu Marley, Marginal...), il est également connu en France pour les récits de Blue Corner, Les Dessins de la Vie, Astral Project, Tokyo River's Edge.

En France, la série est d'abord arrivée aux éditions Kabuto dans son format original en 8 tomes en 2005, donc un an après le film, l'éditeur ayant évidemment cherché à profiter du succès du long-métrage. Kabuto ayant ensuite disparu il y a déjà un paquet d'années, cela faisait longtemps que le manga était devenu introuvable en neuf... et on peut donc dire que pour la deuxième série de leur catalogue (après l'excellent Demande à Modigliani!), les éditions naBan ont su frapper un joli coup en ayant la très bonne idée de remettre en avant cet incontournable ! Pour bien porter ce retour, les arguments sont là, entre l'idée des tomes doubles se justifiant très bien ici, une campagne de financement participatif couronnée de succès avec à la clé pas mal de contreparties intéressantes pour ses participants (entre autres, un coffret, et surtout un livret critique), la promesse d'avoir l'intégralité de l'oeuvre en 2020 (les trois autres tomes doubles sont déjà programmés pour avril, juin et septembre), et, bien sûr une édition à la hauteur. Celle-ci attire facilement l'oeil avec sa jaquette soignée et dotée de jolis vernis sélectifs. Et à l'intérieur, on voit tout de suite la différence avec la vieille édition de Kabuto: papier suffisamment épais et souple, qualité d'impression largement meilleure et retranscrivant mieux les nuances d'encrage et de tramage (vraiment, il y a une grosse différence quand on compare les deux éditions, d'autant que les techniques d'impression ont aussi évolué en 15 ans), traduction soignée de Guillaume Hesnard malgré quelques discrètes coquilles ayant échappé à la relecture (des "goyza" au lieu de "gyoza", par exemple), et lettrage convaincant.

Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas l'histoire d'Old Boy (Non ? Sérieusement ?), celle-ci nous plonge aux côtés d'un homme enfermé depuis dix ans dans une toute petite pièce sans fenêtre, un tout petit lieu clos presque étouffant, chose que montre à merveille la première double-page en vue de dessus (reprise en guise d'illustration de couverture). Dix années qu'il a été enfermé là, sans savoir pourquoi, par qui ni comment, à tel point qu'il en a oublié son nom, et en n'ayant pour seules activités pendant tout ce temps que les repas chinois qu'on vient lui livrer chaque jour par la trappe de la porte, la télé qu'on lui accorde et lui permettant de rester informé de ce qui se passe dans le monde, et la musculation. Il aurait pu craquer, devenir dépressif, perdre la raison, se laisser mourir... pourtant, il a tenu, et au bout de ces dix années, voici qu'on le libère soudainement et qu'après l'avoir endormi on le relâché dans un parc de Tôkyô avec quelques centaines de yen en poche. Le goût de la liberté se fait enfin sentir en lui, et il est évidemment désireux de retrouver peu à peu une vie normale, même si la tâche ne sera évidemment pas du tout aisée... et que, plus que tout, il veut comprendre pourquoi on lui a fait subir ça.

Si l'on ne s'aventurera pas ici dans une longue comparaison entre le manga et le film puisque, clairement, chacun a ses qualités et ses partis-pris qui lui sont propre (Park Chan-wook n'a pas fait une bête adaptation 100% fidèle, et s'est vraiment réapproprié le matériau de base pour développer un héros ayant des différences et pour offrir sa propre vision), il est tout de même bon de signaler deux grosses différences de base. Tout d'abord, dans le film on suit un peu le personnage principal avant son enfermement et on voit de manière assez linéaire ce qu'il fait pendant qu'il est prisonnier, tandis que dans le manga on est plongé directement au moment où il va être libéré, et ce n'est que par le biais de quelques flashback disséminés que l'on entrevoit ce qu'il a vécu pendant ces dix ans d'enfermement. Ensuite, là où le personnage du film a un côté assez sauvage dû à toutes ces années d'enfermement et que son désir de vengeance est plus enragé, le personnage du manga, lui, a développé pendant son long enfermement un certain stoïcisme, résistant au dépérissement grâce à ses musculations quotidiennes et à l'espoir de sortir un jour.

Et ce côté assez stoïque, il se ressent en permanence dans ce premier tome, tandis qu'on le découvre et qu'on le suit dans sa quête pour découvrir qui l'a enfermé et pourquoi, quête au bout de laquelle il pourra peut-être se retrouver lui-même. Il commence par se réadapter peu à peu au monde extérieur, buvant sa première bière depuis dix ans, se trouvant une précieuse partenaire en la jeune Eri, revoyant même certains visages de son passé tout en sachant très bien que le temps perdu ne pourra pas être rattrapé. Mais, surtout, il débute un véritable parcours du combattant pour remonter la piste de celui qui l'a fait enfermer, en n'ayant en sa possession que de maigres indices mais aussi sa force physique et sa détermination.

Ce début de quête, on le suit alors avec beaucoup d'intérêt, la manière dont il remonte ses maigres pistes étant certes parfois ponctuée de légères facilités propres à l'époque, mais étant surtout très stimulante et bien narrée, étape par étape. Et d'autant plus efficacement que le travail visuel est très bon. Minegishi sait très bien dépeindre des physiques et visages marqués, de vraies "gueules" telles que savent en faire des auteurs comme Naoki Urasawa ou Kaiji Kawaguchi, avec une petite mention spéciale pour les sourcils ou pour les yeux toujours à l'affut du héros. De même, les angles choisis et les différents effets de mise en scène (petits zooms, contreplongées, etc) se veulent eux-mêmes assez cinématographiques pour entretenir l'immersion et l'ambiance comme il se doit. Enfin, la série ne serait rien sans l'omniprésence des décors tokyoïtes, tirés de photos suffisamment retravaillés, et totalement efficaces dans les vues choisies. La ville semble presque être un personnage à part entière, tant on s'y sent immergé à travers les errances et les recherches du personnage principal.

Si le récit n'en est encore qu'à ses débuts, la qualité proposée par l'édition fait que l'on se replonge immédiatement dans ce récit, pour ce qui est une véritable redécouverte. La suite de ce polar essentiel se fera attendre avec beaucoup d'intérêt !
   

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs