Nouvelles Extraordinaires d'Edgar Allan Poe - Actualité manga

Nouvelles Extraordinaires d'Edgar Allan Poe : Critiques

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 05 Février 2019

Pour sa première nouveauté de l'année 2019, la collection des Classiques en manga des éditions nobi nobi ! vient s'attarder sur l'un des plus célèbres noms de la littérature américaine du XIXe siècle: Edgar Allan Poe, écrivain considéré comme celui ayant posé les bases de la littérature fantastique et surnaturelle, ou ayant inventé le roman policier. Mort à seulement 40 ans en 1849, il a donc tout de même eu le temps de laisser un héritage crucial, et de marquer considérablement plusieurs artistes qui ont consolidé sa renommée au fil des décennies. En France, le plus célèbre d'entre eux est sans aucun doute Charles Baudelaire, qui fut fasciné par les écrits de Poe quand il les a lus, et qui s'est appliqué pendant 15 ans à les traduire et à les faire connaître. Au Japon, Poe a marqué la carrière de celui qui est considéré comme le père du récit policier nippon, Edogawa Ranpo, dont le pseudonyme est d'ailleurs une réécriture du nom d'Edgar Allan Poe. Les oeuvres de Poe, notamment ses nouvelles, on régulièrement été adaptées au cinéma, en particulier trois d'entre elles sous divers noms: La Chute de la maison Usher, le Coeur révélateur, et surtout le Corbeau qui reste l'un de ses récits les plus emblématiques. Trois nouvelles qui font partie des 5 retenues pour cette version manga.

Sont donc au programme de ce recueil de plus de 300 pages, 5 nouvelles ayant été chacune adaptées par un dessinateur différent: le Coeur révélateur (près de 50 pages) par Virginia-Nitouhei, La barrique d'Amontillado (une quarantaine de pages) par Chagen, Le Corbeau(une trentaine de pages) par Pikomaro, Le Masque de la Mort Rouge (60 pages) par Uka Nagao, et La Chute de la maison Usher (environ 110 pages) par Linus Liu.

Un homme ayant tué un vieillard dont l'oeil l'obsédait, mais dont le sentiment de culpabilité le fait peu à peu tomber dans une forme de paranoïa. Un autre déterminé à assouvir une vieille vengeance à l'occasion d'un carnaval italien. Un autre encore qui, voyant un corbeau qui parle entrer chez lui, sombre peu à peu dans une forme de folie tant il ne peut supporter la mort prématurée de celle qu'il aimait. Un bal-masqué qui tourne à l'effroi et à la mort quand apparaît en son sein un étrange individu dont le "masque" n'est autre que la peste (dont l'une des formes est surnommée "mort rouge"). Et, enfin, un homme qui retourne rendre visite à un ancien ami dans sa grande demeure, pour se retrouver nez à nez avec des choses funestes: un hôte au visage marqué et creusé, une soeur à l'allure fantomatique qui n'en a visiblement plus pour longtemps à vivre...

Telles sont les différentes histoires qui ont été retenues, et si elles l'ont été ce n'est sans doute pas par hasard, car en plus d'être parmi les plus célèbres pour certaines, elles sont bien représentatives de toute une facette du travail de Poe. Dans ces récits, l'ambiance est lourde, pesante, sombre, presque aliénée parfois. Et si on y décèle par instants des bribes de base de récits policiers (comme dans les deux premières histoires), ou des éléments à connotation surnaturelle (comme le corbeau qui parle, le masque de mort rouge...), ces éléments agissent surtout comme des sortes d'allégories appuyant les tourments et chutes psychologiques des personnages, et plus encore les thèmes récurrents des oeuvres de Poe. Ainsi, ces différents récits sont, tour à tour, imprégnés d'états d'esprit sombre et pessimistes: le sentiment de culpabilité (très présent dans la première et la dernière histoire), l'effroi face à la mort (présent dans tous les récits, sous différents formes), la peur face à la maladie et à ses ravages (surtout dans les 2 derniers récits)... et, surtout, l'obsession. Tous les personnages centraux de Poe ont quelque d'obsessionnel et pouvant les confiner jusqu'à une certaine folie. L'oeil du vieillard et son meurtre dans le 1er récit, le désir de vengeance méthodique dans le 2e, la mort de la bien-aimée dans le 3e, la peste dans la 4e, la disparition annoncée de la soeur dans la 5e. Les récits jouent également, souvent, sur les idées d'apparence et de masque, derrière lesquels ont se cache où l'on tente de se cacher.

Le choix d'un recueil collectif pour les dessins est intéressant ici: chaque dessinateur amène sa petite patte, a son propre trait, surtout dans les designs de personnages qui peuvent être, selon les récits, assez épais, bruts, plus fins, plus efféminés... Mais il y a assurément un point commun à tous les dessinateurs: un désir de bien rendre toute l'atmosphère inquiétante, sombre ou étrange des différentes nouvelles. Très souvent chacun d'eux accorde une grande importance aux décors suffocants, aux jeux sur le noir, aux visages travaillés et pouvant être très marquants (comme celui, très creusé, terne et vide, de Roderick dans la dernière histoire)... On cerne une volonté de bien mettre en images les descriptions et visions présentes dans les récits d'origine. Un très bel effort qui rend bien honneur aux histoires et aux ambiances de l'écrivain originel.

Concernant l'édition, soulignons le choix de conserver la traduction historiques des oeuvres, celle effectuée par Charles Baudelaire. Le résultat pourrait souvent paraître ampoulé au vu du langage de l'époque, mais dans une volonté de fidélité c'est on ne peut plus logique, même si ça pourrait éventuellement demander un effort d'immersion supplémentaire à certains jeunes lecteurs. Ce qu'on regrettera le plus, ce sont les deux pages de postface, intéressantes pour la brève présentation faite de Poe et de ses oeuvres, mais contenant plusieurs coquilles évitables dans les dates qui montrent un petit problème de relecture. Très dommage pour un manga de ce type qui vise à faire découvrir de grands récits de la littérature. Hormis cela, les qualités habituelles de cette collection sont bien au rendez-vous, avec une charte graphique claire, un côté "beau livre" plaisant, et un signet marque-page.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.75 20
Note de la rédaction