Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 15 Mars 2013
"C'est moi, la future héroïne de cette Love Story", se persuade Hatori, jeune fille dynamique éprise depuis toujours de son ami d'enfance, le séduisant Rita. Hélas, ce dernier multiplie les rendez-vous, mais l'aspect rapide et dégagé de ces amourettes successives rassure Hatori. En effet, si elle n'est jamais sorti avec lui, Hatori reste sa confidente la plus proche, et espère bien que ce lien solide évoluera un jour en un sentiment plus profond. Cependant, l'arrivée d'une nouvelle fille au bras de Rita, Adachi, une fille discrète aux antipodes des précédentes conquêtes superficielles du jeune homme, pourrait bien changer la donne... Et si Hatori était en train de devenir un second rôle dans sa propre histoire d'amour ?
Série de Momoko Koda, une auteur encore inconnue en France jusqu'ici, No longer heroine est le shôjo phare d'Akata Delcourt en ce début d'année 2013. L'éditeur, choisissant toujours ses titres en fonction de la valeur ajoutée qu'ils peuvent apporter, mettent ici l'accent sur une question essentielle dans un registre de fiction : la définition même de l'héroïsme. Jeune fille idéaliste, Hatori rêve en effet de la relation parfaite, mue par cette relation ambigüe entre amitié et amour qu'elle entretient depuis toujours avec Rita. Mais la jeune fille exprime surtout son envie d'être sur le devant de la scène, à plus ou moins long terme, avec une certaine assurance, pour ne pas dire suffisance, malgré la sincérité de ses sentiments. Rajoutons à ça une allure un brin superficielle, et nous tombons sur un archétype plus souvent remarqué sur un rôle de rivales. Aussi, nous comprenons rapidement le contrepied sur lequel devrait danser la série jusqu'à son terme.
Devant l'égocentrisme de ce postulat de départ, la narration suit logiquement le point de vue de Hatori sur l'ensemble du volume, en exposant ses pensées de manière brute. De ce fait, nous pouvons toujours apprécier le décalage existant entre les faits, décrits objectivement par le dessin, et l'interprétation que la jeune fille en fait. Enfermé dans son histoire fantasmée, Hatori anticipe les évènements à suivre et se trompe souvent, et ne comprend qu'un peu tard que la situation lui échappe. Ainsi, au fil du volume, notre héroïne se perd entre sa vie idéalisée, la dure réalité qu'elle doit accepter, et la pureté de ses sentiments auxquels elle ne pourra renoncer si aisément. Le résultat est d'autant plus intéressant à suivre qu'il est décrit avec une profonde sincérité, et qui aura vécu une situation similaire dans sa vie saura rapidement se reconnaitre dans ce tiraillement.
L'exposition détaillée des sentiments de Hatori pourrait tout de même nuire à la présentation des deux autres protagonistes, mais quelques scènes éparses, où l'on sort de la subjectivité ambiante, nous rassure quant à la complexité de Rita et d'Adachi. Si Rita nous apparait au premier abord comme le bel éphèbe de service, qui se détache de tout sérieux dans une relation sentimentale, le jeune homme est plus impliqué qu'il n'y parait. Adachi apparait quant à elle comme une fille modèle, qui ne cherche jamais d'ennuis sinon pour aider ceux à qui elle tient, mais sa sincérité est inébranlable. Leur portrait reste tout de même léger dans ce premier tome, mais l'auteur pose déjà quelques pistes rassurantes pour l'avenir.
De même, nous apprécierons également la légèreté ambiante de la série, portée par un humour incisif. Le comique tient surtout des quiproquos entretenus par l'aveuglement de Hatori, mais l'on sent également que cette dernière a forgé son image d'héroïne au travers de modèles de fictions. La série est ainsi très référencée, avec des allusions aux films de Miyazaki, à des shojos mangas comme Sawako, Jeanne et Serge, mais aussi, de manière plus inattendue, à Hokuto no Ken ! Mais outre l'effet comique, ces allusions raccrochent un peu plus la série au réel, et à la vie qui n'est ni totalement légère, ni totalement sombre.
La complexité des sentiments et des humeurs décrites au fil du tome passe également par une patte graphique propice à une très large palette d'émotions, certains faciès déformés pouvant rappeler l'explosif Switch Girl. Mais dans son allure moyenne, le trait de Momoko Koda peut se rapprocher de celui de Karuho Shiina (Sawako) ou de Ryo Ikuemi (Puzzle). La ligne est claire, les personnages identifiables en un clin d'œil, et l'abondance de tramage inhérent au genre reste subtil et pertinent, en particulier sur les phylactères. Du côté de l'édition, nous restons sur le format classique de l'éditeur, même si l'on pourra hélas noter quelques problèmes d'encrage. L'adaptation est quant à elle signée par Noémie Alazard, une présence largement souligné par l'éditeur, et qui aura su mettre en avant les références dispersées dans le récit. On regrettera simplement l'emploi de certains termes djeunz comme "boloss" qui, s'ils renforcent l'immersion, seront peut-être devenus obsolètes dans quelques années. Mais dans l'ensemble, la lecture reste agréable et efficace.
Au final, sous des aspects comiques qui n'ont pas l'air d'y toucher, No Longer Heroine aborde avec un certain réalisme des questions que nous sommes tous amenés à nous poser. Sommes-nous vraiment les héros de notre propre histoire ? Comment se définit-on en ce sens, et en quoi notre réussite (ici sentimentale) est-elle aussi capitale ? En puisant dans son vécu, Momoko Koda nous délivre une histoire sincère, semblant superficielle au départ mais à laquelle nous avons pu nous-mêmes être confrontés. Si la série doit encore confirmer certains aspects, en développant les autres protagonistes, ce premier volume reste très prometteur, et a le mérite de proposer sa propre conclusion, pour ceux qui n'accrocheraient pas à la personnalité de cette anti-héroïne qui bouleverse nos habitudes. Et vous, oserez-vous le changement ?