Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 17 Juillet 2025
Prévue en librairies début septembre, mais avec une avant-première de son premier volume sur le stand de Noeve Grafx à Japan Expo début juillet (d'où l'arrivée en avance de cette chronique), Living With My Brother's Wife est une tranche de vie achevée en 16 volumes, qui a été prépubliée au Japon de 2015 jusqu'au début de cette année 2025 dans le magazine Young Gangan de Square Enix sous le titre "Ani no Yome to Kurashite Imasu" (littéralement "Je vis avec la femme de mon frère", le titre anglais/international étant donc très fidèle). Cette oeuvre est, à ce jour, la plus longue série de la carrière d'une mangaka déjà bien connue en France: Kuzushiro, talentueuse autrice qui a su nous conquérir auparavant avec "The Moon on a Rainy Night", "Ici, on a toujours une raison de sourire" et "Inu & Neko" (dont on espère toujours la suite dans notre langue un jour, cette série étant laissée en plan par les éditions Ototo depuis 2017).
On commence ici par découvrir Shino Kishibe, une lycéenne de 17 ans qui est bien intégrée à l'école, entre son ami d'enfance Shôtarô et sa bonne pote Minato. Pourtant, même s'ils n'en disent rien, ces deux-là ne peuvent s'empêcher de s'inquiéter un peu pour leur amie, et pour cause: voici six mois que Shino a perdu son grand frère Taishi, mort des suites de complications d'une maladie. Et étant donné qu'elle avait déjà perdu ses parents dans un accident quelques années auparavant, la jeune fille n'a désormais plus de famille... ou presque. Car à la maison, il y a toujours Nozomi, jeune enseignante d'école primaire, et surtout épouse de son défunt frère.
C'est donc une tranche de vie scolaire et familiale assez spéciale que Kuzushiro nous propose, dans la mesure où elle réunit sous un même toit deux filles qui n'ont pas eu la vie facile suite à certains drames, qui se connaissent mal et qui n'ont aucun lien du sang, et qui doivent pourtant désormais vivre sous le même toit, au jour le jour, au gré de leurs activités respectives: jeu de drague, tournoi de balle au lycée, sales notes pour l'adolescente, arrivée d'un chat dans leur vie... Forcément, ces activités leur rappellent régulièrement Taishi, qui était le grand frère adoré de l'une et l'époux bien-aimé de l'autre, et c'est en premier lieu le souvenir du défunt jeune homme, encore très présent dans leur coeur, qui les unit.
Seulement, et c'est peut-être là le plus joli coup de Kuzushiro, Living With My Brother's Wife n'a pas pour vocation à faire dans le pathos ou dans l'émotion à outrance, car tout en entretenant le souvenir de Taishi, Shino et Nozomi s'appliquent à vivre positivement leur nouvelle vie commune, avec un lot de maladresses et même d'humour instaurant une forme de tendresse entre elles. Se connaissant peu au premier abord, restant assez mystérieuses l'une pour l'autre, elles vont, au fil des jours, avoir des occasions de se cerner et de mieux se comprendre, en étant régulièrement bien aidées par une palette de personnages secondaires assez haute en couleurs: Shôtarô et Minato bien sûr, mais aussi Moroboshi la collègue de Nozomi un peu trop portée sur la boisson, Fuji l'autre collègue très attentionné, certains des élèves de la jeune enseignante qui amènent une petite touche adorable...
C'est alors dans cette atmosphère finalement pas si plombante que ça, et sous un dessin encore hésitant dans les anatomies mais à l'expressivité nuancée et à la clarté adéquate, que l'on observe avec attention le quotidien commun de ces deux héroïnes qui, naturellement, doivent encore jauger le type de lien qu'elles peuvent construire ensemble. Ainsi, on a une Shino qui, par attention pour Nozomi, ne veut pas la considérer comme une mère ou une grande sœur de substitution, ni l'ennuyer car elle trouve qu'elle en fait déjà assez pour elle. Quant à Nozomi, jeune femme étourdie mais d'une douceur incomparable, elle aimerait justement que sa belle-soeur compte un peu plus sur elle, et souhaiterait devenir suffisamment fiable pour ça. Entre le désir de ne pas susciter d'inquiétude chez l'autre, le fait qu'elles ignorent beaucoup de choses l'une sur l'autre, et leurs interrogations sur ce qu'elles peuvent faire l'une pour l'autre, le constat est simple: il leur faudra petit à petit se dévoiler, bâtir une relation de confiance, se soutenir mutuellement, et malgré les possibles douleurs contenues elles semblent bien parties dans cette voie.
Kuzushiro pose donc des bases satisfaisantes et assez belles au fil de ce premier volume. Montrant encore son talent pour la tranche de vie malgré les quelques inégalité graphiques, la mangaka sait déjà intriguer et toucher suffisamment avec les débuts de cette cohabitation qui a tout pour se bonifier et s'enrichir au fil des tomes.
Enfin, du côté de l'édition française, la copie est suffisamment bonne, sans être excellente. La principale lacune découle d'une constatation: avec une trentaine de sorties prévues chaque mois jusque fin 2026 et la réimpression de très nombreux titres, il y avait de quoi se demander vers quel imprimeur l'éditeur s'est tourné pour pouvoir gérer tout ça sur un marché déjà saturé, et la réponse est simple: la grande majorité des titres, dont celui-ci, ont été imprimés à des milliers de kilomètres de chez nous, chez InkWize en Chine, ce qui non seulement n'est vraiment pas fou sur le plan écologique, mais en plus se révèle très inégal en terme de qualité d'impression et de papier. Dans le cas de la série de Kuzushiro, malheureusement l'impresison est moyenne (ni bonne ni mauvaise, juste moyenne), et le papier est un peu transparent malgré son épaisseur. Heureusement, Noeve Grafx se rattrape via une traduction claire de Christophe Maertens, un lettrage assez convaincant de Victoria Hallegatte, une jolie première page en couleurs sur papier glacé, et une jaquette soigneusement adaptée de l'originale japonaise par Emma Poirrier avec un logo-titre fin et agrémenté d'un vernis sélectif.