Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 28 Mars 2025
La première nouveauté des éditions Shiba pour cette année 2025 vient tut juste d'arriver en cette fin mars et est Neko Goze -Chats Errants-, une série achevée en quatre volumes, qui a été prépubliée au Japon entre 2014 et 2017 dans le magazine Young King Ours Gh des éditions Shônen Gahosha, et qui est signée Hiroki Ugawa, un nom qui dira peut-être quelque chose aux moins jeunes d'entre nous puisqu'on le connaît déjà en France pour Asagiri - Les Prêtresses de l'Aube, une oeuvre dotée d'un joli capital-sympathie mais qui fut malheureusement abandonnée par les éditions Ki-oon en 2007 après quatre tomes sur neuf.
Ce récit par sur une base très intrigante puisque le mangaka imagine un passé alternatif où le Japon, après avoir perdu la Deuxième guerre mondiale, se serait retrouvé sus la domination russe et sa propagande communiste. C'est dans ce Japon d'après-guerre, dans les années 1950, que l'on se retrouve plongés, dans un contexte où les japonais ont eu des réactions très diverses face à cette occupation, certains ayant tenté de charmer discrètement l'envahisseur tandis que d'autres ont très franchement retourné leur veste.
Tout ce contexte, pour l'instant, eh bien on s'en fiche un peu, car au fil de la lecture de ce volume c'est une première constatation un peu amère qui nous gagne: celle que l'auteur ne fait pour le moment pas grand chose de son idée de base, dans la mesure où elle n'influence pas spécialement le scénario. Quant à l'autre idée majeure, qui donne en partie son nom à l'oeuvre, elle est du même acabit: les personnages sont pour la plupart partiellement félins avec des oreilles de chats, mais ça ne sert à rien. Pourquoi et comment sont-ils devenus comme ça ? Rien de particulier n'est dit là-dessus pour l'instant, et Ugawa n'essaie pas d'intriguer sur cette particularité qui semble juste faire partie du décor. Finalement, face à tout ça, on en arrive à se dire que le début de cette histoire aurait été exactement pareil avec des personnages non-félins et un autre occupant que la Russie communiste, d'autant plus que sur le plan visuel il n'y a pas grand chose de vraiment fou pour appuyer ce contexte, les designs étant plutôt basiques et un peu inégaux (bien que très expressifs), tandis que les décors restent plutôt simples malgré les tentatives d'alliance entre l'architecture nippone de l'époque ou d'encore avant et quelques éléments propagandistes et autoritaristes (de grosses statues en tête).
Basique, c'est le sentiment que l'on a aussi face à l'histoire en elle-même, qui nous immisce dans un début de quête de vengeance auprès de deux héroïnes toutefois pas banales: Uguisu, une jeune prêtresse bouddhiste recherchant son frère a priori envoyé au Goulag, et Youme, une goze (chanteuse itinérante aveugle) qui sait se battre malgré sa cécité et qui lui sert en quelque sorte de garde du corps. Comment ces deux filles à oreilles félines se sont-elles retrouvée ensemble et coopèrent-elles ? Pour l'instant on n'en sait rien, et là aussi l'auteur ne cherche pas spécialement à intriguer sur ces interrogations pourtant légitimes. Néanmoins, quand il ne tombe pas dans quelques fautes de goûts (par exemple, la scène de bain où la gamine se fait tripoter par sa camarade était-elle nécessaire ? ), Ugawa ressort quand même de chouettes choses de ce binôme, ne serait-ce que parce que leur dynamique est assez sympa, et parce que cela permet de mettre en avant la réalité qu'était celle des goze, ce type de chanteuses itinérantes aveugles ayant vraiment existé.
Pour le reste, Ugawa oscille trop souvent entre éléments intéressants, à l'image de certains concepts se mettant en place comme celui des exécuteurs, et choses en deçà de ce que l'on espérait, à commence par les brèves phases d'action qui sont trop fouillis. Des détails qui sont alors à l'image de ce premier tome: il y a ce qu'il faut pour offrir une oeuvre originale et intrigante, mais pour l'instant l'auteur passe à côté des possibilités et propose quelque chose de pas foncièrement déplaisant mais de très basique et anecdotique. Dans ce démarrage, Neko Goze manque de profondeur dans son concept, de souffle et d'enjeux plus percutants, et c'est bien dommage car il s'agit clairement d'une courte série que l'on a envie d'aimer plus que ça. Espérons donc que le tome 2, paru en même temps que ce premier opus, nous montrera davantage de potentiel !
Côté édition, si l'on excepte des coquilles d'inattention un peu trop présentes dans les textes (dès la page 3 on a un "geule" au lieu de "gueule", par exemple), le reste est très correct: jaquette soigneusement adapté de l'originale japonaise, logo-titre bien travaillé, présence de huit premières pages en couleurs sur papier glacé, impression assez convaincante sur un papier souple et opaque, traduction assez claire de Satoko Fujimoto, lettrage suffisamment propre de Nicolas Willame... Soulignons aussi la bonne idée de l'éditeur de proposer aussi une petite édition limitée réunissant les deux tomes dans un semi-fourreau illustré, le tout sans augmentation du prix.