Naoki Urasawa - L'air du temps - Actualité manga

Naoki Urasawa - L'air du temps : Critiques

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 18 Mai 2012

Célèbre auteur de seinen manga, Naoki Urasawa fêtera bientôt ses trentes années de carrière. Trois décennies marquées de succès, le plaçant en quelques temps comme l'un des plus grands mangakas en exercice, un des plus gros revenus du Japon, et lui donnant un titre, parfois contesté, de "maître du suspens". Son rayonnement s'est étendu à nos frontières très rapidement, l'auteur ayant remporté de nombreux prix dans l'hexagone, notamment à Angoulême. Diffusion de l'anime de Monster sur une grande chaine française, top des ventes à chaque nouvelle parution, et venue de l'auteur à la Japan Expo en 2012 sont autant de signes montrant le rayonnement du mangaka dans notre pays.

Pourtant, après plus de soixante volumes parus en France, aucun ouvrage ne s'était intéressé particulièrement à l'auteur prolifique. Ce mal est aujourd'hui réparé, grâce à "Naoki Urasawa, l'air du temps", ouvrage d'un jeune étudiant passionné par les récits de l'auteur : Alexis Orsini, alias Drucci, fondateur du site web "La Base Secrète" _ dont le rédacteur de cette chronique est l'un des membres les plus fidèles, d'où une certaine émotion à l'écriture des ces lignes, même s'il faudra objectivité garder. Si la documentation de son site est déjà très conséquente, Alexis s'est adonné pendant un an au recoupement de l'ensemble des informations autour de l'auteur, entre ses multiples interviews, les détails épars sur le net et, bien sur, ses œuvres en elles-mêmes, pour constituer une riche monographie, à présent disponible aux Moutons Electriques.

Passées quelques illustrations couleurs issues de l'artbook Manben, ce guide s'axe selon trois grandes catégories. Tout d'abord, l'auteur nous présente Urasawa au travers d'une très large biographie, partant d'une enfance remplie de journées de dessin chez sa grand-mère, son entrée hésitante dans la vie active le poussant de manière presque fortuite vers le métier de mangaka, jusqu'au détail de sa carrière, œuvre par œuvre. On y découvre un Urasawa très sérieux, sévère avec lui-même, et déjà très conscient des dures réalités du milieu du manga. L'auteur se révèle obstiné, résolu à trouver une entente entre les productions populaires, commerciales, et les réalisations plus exigeantes, plus poussées. Il est également fait mention de sa rencontre décisive avec Takashi Nagasaki, et il sera intéressant de noter que le mangaka a presque toujours travaillé en parallèle sur deux séries, parfois très différentes (Happy et Monster, par exemple). Si sa vie privée n'est pas évoquée et son milieu familial à peine effleuré, Alexis Orsini prend le temps de détailler les passions d'Urasawa, qui l'amèneront vers d'autres projets plus originaux. Aussi, cette entame constitue donc la partie la plus intéressante de l'ouvrage, du fait qu'elle détaille avec soin le parcours d'une vie aux multiples rebondissements, telle celle des héros créés par le maître.

La seconde partie de l'ouvrage revient sur les "figures" d'Urasawa, ses anti-héros désabusés, les enfants et les vieillards qu'il aime tant mettre en scène, sans oublier l'importante place des femmes dans ses récits. On y retrouve également ses thématiques récurrentes, comme la musique, la culture otaku, la religion, jusqu'à des notions plus abstraites comme les liens filiaux, la mémoire,... Notre biographe donne ici forme aux éléments que les amateurs d'Urasawa ont pu évoquer ici et là sans exhaustivité. Ce travail de réassemblage est d'autant plus probant qu'il donne un corps à certains éléments qui auront pu échapper aux lecteurs jusqu'ici, et nul doute que nous suivrons les prochaines aventures d'Urasawa avec plus de soin dorénavant. Les regroupements seront peut-être d'une pertinence inégale, mais cette étude se suivra avec un intérêt certain par les adeptes de l'auteur.

Enfin, la dernière phase revient dans les grandes lignes sur les nombreuses inspirations du maitre, en passant par différentes sections : sa manière de "croquer" notre monde dans sa globalité, ses influences venant du cinéma américain, pour finir par l'héritage de Tezuka qui anime sa production depuis toujours. Dans la forme, on pourra reprocher à cet ultime partie de tourner la plupart du temps dans l'étude de texte, avec une certaine redondance comparative entre support de base et inspiration. Cela se ressentira en particulier dans l'analyse des films, où chaque scène sera décortiquée en original comme en fiction de manière un peu trop exhaustive. Néanmoins, ce final a le mérite d'aller plus loin encore que la précédente partie, en mettant en lumière de nombreux éléments qui n'auront sans doute pas sauté aux yeux du lectorat, notamment tout ce qui concerne le cinéma des années 50-60, ainsi que la partie consacré à l'auto-référencement de l'auteur (son "Star System"), preuve qu'Urasawa n'a pas fini de nous surprendre !

Du côté de l'édition, Les Moutons Electriques fournissent un ouvrage de fort bonne facture, dans un format conséquent avec papier et encrage de qualité. Les écrits de l'auteur sont enrichis d'une multitude d'extraits de la bibliographie d'Urasawa afin d'appuyer le propos, et l'on ne peut que remercier les autres éditeurs d'avoir joué le jeu. On regrettera cependant quelques coquilles au niveau des références, et quelques copies de planches à la qualité plus relative (mais à qui la faute ?). Aussi, le prix de l'ouvrage risque d'être un frein à l'achat, bien que ce guide se destine avant tout aux puristes et aux adeptes du mangaka.

"Drucci" peut s'estimer fier et heureux d'avoir concrétisé un aussi vibrant hommage à Naoki Urasawa, son auteur favori. Nous pourrons peut-être regretter que certaines parties n'aient pas été plus mises en évidences, en particulier sur les méthodes de travail de l'auteur, même si le sujet est évoqué à quelques reprises. Aussi, il aurait peut-être été de bon ton que le contexte social autour du mangaka à chaque étape de sa vie soit d'avantage explicité, pour justifier d'avantage le sous-titre de l'ouvrage. Cela étant dit, Alexis Orsini nous offre une lecture qui ne souffre ni des maladresses habituelles d'un premier essai, ni d'une écriture trop complexe ni trop rhétorique. Bien que gardant un certain détachement (il ne se permet jamais aucun élan d'adoration), le jeune portraitiste nous fait partager implicitement sa passion pour le mangaka. Précisions cependant que ce recueil se veut exhaustif, et se destine donc avant tout aux lecteurs connaissant déjà l'univers d'Urasawa, les autres risquant d'être perdu dans l'avalanche de titres et de personnages cités, et de voir les plus belles surprises scénaristiques dévoilées sans précaution aucune.

Notons enfin et surtout que ce guide est mû par une véritable volonté didactique, appuyant chaque élément-clef quitte à aller parfois dans le rappel systématique. Il trouve une véritable pertinence grâce à ses multiples références aux dires du mangaka, derrière qui notre auteur se cache volontiers. Il ne reste maintenant qu'à souhaiter le meilleur pour Alexis Orsini : rencontrer enfin Urasawa, qui a sans doute suivre ce projet depuis le Japon avec une certaine curiosité. Qui sait, peut-être naîtra-t-il de cette entrevue un échange digne d'un second ouvrage ? Comme le dirait Urasawa lui-même : "A suivre au prochain épisode !"


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Tianjun
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs