Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 20 Janvier 2025

Le catalogue des éditions Casterman a accueilli, il y a quelques jours, Moody Rouge, une oeuvre française d'environ 200 pages qui, bien que proposée en sens de lecture français, se veut grandement inspirée du manga dans son rythme narratif est dans ses découpages. Cet ouvrage est signée Ariane Astier, jeune artiste lyonnaise signant là sa toute première bande dessinée, et se disant notamment très marquée par les aspects horrifiques des mangas de Naoki Urasawa, notamment dans sa série cultissime Monster. Ce n'est, d'ailleurs, peut-être pas pour rien que Moody Rouge, à l'instar de Monster, vogue entre l'Allemagne et la République Tchèque... A part ça, pour l'anecdote, peut-être connaissez-vous également l'autrice pour être l'un des enfants d'Alexandre Astier, pour pour avoir tenu le rôle de Mehben dans le premier film de Kaamelott.

Mais concentrons-nous ici sur Moody Rouge, où tout commence par un sinistre cauchemar dans un hôpital clandestin allemand des années 1970. Un de plus pour Ben, jeune homme français qui, dans les années 80, est venu vivre depuis quelque temps avec Ronand, un homme qui semble être son tuteur, dans le pays susnommé, comme guidé par ces fameux cauchemars bien trop réalistes, comme s'il s'agissait de visions d'un passé qu'il aurait en grande partie oublié. Ben le sait: il a été adopté, et sa relation avec ses parents adoptifs est d'ailleurs devenue difficile. Tourmenté, en quête d'identité, désireux de découvrir ses origines peut-être sinistres, il a alors entrepris de rechercher sa famille, et plus encore son père biologique dont il a le sentiment qu'il l'aimait vraiment, et une grande soeur nommé Agnetha qu'il a l'impression d'avoir perdue de vue dans des circonstances trop mystérieuses. Dans ce cas, pourquoi a-t-il été abandonné et placé dans une famille d'adoption ? D'où viennent ces cauchemars ressemblant à des souvenirs traumatiques ? Lui est-il arrivé quelque chose autrefois ? En croisant Adrian, un adolescent natif de la ville avec qui le premier contact est difficile, puis en se retrouvant sur la trace d'un étrange peintre installé dans une église et qui attire bizarrement son attention après un reportage, Ben risque de faire des découvertes insondables sur son passé... et sur sa propre nature.

Difficile de parler vraiment plus en détails de cette histoire sans trop en révéler, tant Ariane Astier s'applique ici à laisser entrevoir petit à petit la vérité sur Ben et sur son entourage à travers une narration non-linéaire, en jouant entre le présent et le passé mais aussi entre la réalité tangible et les cauchemars, les visions, et même le subconscient de ses personnages dans lequel l'autrice nous plonge plutôt en profondeur. Entre cette non-linéarité et des révélations qui restent parfois volontairement troubles avant que les choses se dévoilent pleinement à la fin, Moody Rouge pourra, par moments, paraître un peu délicat à suivre, d'autant qu'il faut avouer que certaines transitions restent rushées. Mais dans le fond, on se laisse facilement happer par un scénario où il y a un réel intérêt à découvrir petit à petit Ben et les siens, à découvrir le "monstre malgré lui" que la société en a fait (un peu comme Johann Liebert du Monster d'Urasawa, par certains aspects), le tout permettant peu à peu à Astier d'esquisser un petit paquet de thèmes autour des apparences, des emprises psychologiques sous différentes formes (par une secte, par sentimentalisme, par peur du rejet...), du désir d'être aimé, de l'acceptation, et finalement de la volonté de pouvoir être soi-même (chose qui passe aussi ici par la nature du lien entre notre héros et Ronand).

Enfin, c'est aussi sur le plan graphique qu'Ariane Astier se montre très intéressante pour une première BD, tant elle semble avoir pioché dans différentes influences. Au-delà de l'inspiration forte du format manga, l'artiste séduit pour ses influences du récit de genre, son oeuvre mêlant le fantastique et l'horrifique semble se référer autant à une horreur macabre (presque vampirique parfois) qu'à des élans proches du body horror, le tout avec de chouettes idées comme pas mal de jeux sur l'ombre et l'obscurité ainsi qu'un fort rapport au corps, via notamment des plans rapprochés sur des yeux, des lèvres, des dents... ces différents éléments n'étant parfois plus tout à fait humains. On appréciera aussi certaines pleines pages en couleurs à certains moments importants, comme pour mieux cristalliser certains tournants. Enfin, malgré certains relâchements volontaires plus ou moins réussis lors de très brefs passages plus "légers", les designs sont très réussis et assez profonds, quand bien même Ben et Adrian peuvent être vite confondus sur certaines planches.

A l'arrivée, il y a beaucoup de choses intéressantes dans cette oeuvre que l'on a envie de qualifier d'hybride. Puisant ses inspirations dans différents style et différents genres pour créer une oeuvre assez personnelle aux thématiques intéressantes, Ariane Astier livre de belles promesses pour une tout première bande dessinée. Ainsi, souhaitons-lui le meilleur pour la suite !

Côté édition, l'ouvrage a beau coûter tout de même 18€, il faut avouer que l'objet est très beau, ne serait-ce qu'avec sa couverture cartonnée affichant une illustration assez hypnotique dans son genre. A l'intérieur, le papier qualitatif est bien opaque permet une excellente impression, les différentes pages en couleurs amènent une belle plus-value, et le lettrage est très propre.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15 20
Note de la rédaction