Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 16 Février 2023
Kurokawa est un éditeur qui nous a peu habitués aux romances, bien que son catalogue ait quelques exceptions, telles que Blue Flag. En ce début d'année 2023, c'est un autre manga que nous n'aurions pas forcément vu dans le label manga rattaché à Fleuve Noir qui nous est proposé : My Happy Marriage.
Initialement, l'œuvre est un light novel écrit par Akumi Agitogi et illustré par Tsukiho Tsukioka. Né sous forme de web-novel intitulé Watashi no Shiawase na Kekkon, il est édité comme un light novel aux éditions Fujimi Shobō depuis 2019, 6 volumes ayant été publiés à ce jour. Avant même cette sortie physique, le récit est adapté en manga dès 2018 par Rito Kōsaka, une artiste qui ne s'était fait la main que sur quelques dōjinshis et séries courtes jusqu'à présent. My Happy Marriage est, à ce jour, son plus grand succès, une réussite commerciale qui a vite montré ses premiers symptômes, avec apparition de certains des premiers volumes dans les tops ventes Oricon, lors de leur semaine de sortie. Toujours en cours sur la plateforme Gangan Online de la maison Square Enix, la parution a mené à 4 tomes reliés, à l'heure actuelle. Le succès devrait logiquement se voir renforcé prochainement via la diffusion animée du light novel, qui aura lieu dès cet été 2023.
L'histoire est celle d'une véritable lutte entre familles de la noblesse, dans un environnement rappelant le Japon des XIXe et XXe siècles. Certaines lignées de prestige possèdent des dons héréditaires que tout clan digne de ce nom s'arrache. Miyo était promise à un héritage aussi radieux, étant elle-même issue d'une famille aux dons prononcés. Malheureusement, elle ne semble avoir récupéré aucun pouvoir notable, en plus d'avoir grandi dans un foyer où l'amour n'était que peu présent. Lors du décès de sa mère, Miyo a vu son quotidien basculer : Son père s'est remarié avec son grand amour d'autrefois, la belle-mère de Miyo ayant rapidement imposé sa tyrannie sur la jeune fille, tandis que sa demi-sœur a suivi la voie de sa propre mère. Estimée encore moins qu'une domestique, Miyo a grandi sans espoir de goûter au bonheur, un jour.
Lorsque sa demi-sœur, Kaya, est promise à l'ami d'enfance de Miyo, cette dernière est envoyée dans la demeure de l'héritier du clan Kudō pour l'épouser. Mais ce dernier ayant l'image d'un homme strict, aucune de ses prétendantes n'a tenu plus de quelques jours à ses côtés, jusqu'à présent. Est-ce que Miyo pourrait être l'exception qui confirme la règle, et pourrait-elle avoir droit au bonheur à son tour ?
My Happy Marriage pourrait être décrit comme une Cendrillon dans un Japon historique, avec un soupçon de fantastique. Une dimension surnaturelle pour le moment très faiblement dosée, et qui vient surtout accompagner un cadre politique où les intrigues amoureuses se mêlent à des luttes de pouvoir. Ainsi, l'héritière d'une noble famille dotée de fabuleux dont devient une matière convoitée par les aristocrates qui ne s'intéressent qu'à la pérennité de leur descendance. Les pouvoirs remplacent, entre autres, les richesses, sans pour autant donner lieu (pour le moment, en tout cas) à une véritable exploitation du cadre de fantasy de l'œuvre.
Cela n'empêche pas ce premier tome de se révéler particulièrement brillant, dans le genre de la romance historique. Puisant volontiers dans le mythe de Cendrillon via une Miyo si maltraitée qu'elle s'est volontairement coupée de tous rêves et toutes émotions, My Happy Marriage a pour habilité de jouer avec les grosses ficelles de ce type de récit, afin de nous surprendre un tantinet, et surtout développer un couple central touchant à souhait. Si Kiyoka Kudô, bel homme et commandant militaire, est d'abord dépeint comme un monstre de froideur, c'est avec bon sens que l'intrigue vient déjouer ce point, afin de ne finalement planter que deux personnages humains, intéressés réciproquement par l'autre, et qui vont nouer de douces alchimies on ne peut plus sensibles. Et si ce premier tome réussit aussi bien dans cette optique, c'est par les jeux de narrations qui retranscrivent tant le for intérieur de Miyo que celui de Kiyoka. Aucune intention des auteurs (ce qui provient certainement du roman d'origine) de cacher les intentions du bel éphèbe, ni même d'en faire un faux prince froid et calculateur. Loin de là, la démarche permettant de mieux appréhender le binôme, et de savourer leurs petits instants du quotidien. Le trait de Rito Kôsaka, fin, élégant et précis, apporte sa pierre à l'édifice dans toute cette ambiance, aussi le travail de la mangaka semble honorer une trame déjà marquante de base. Ne vous fiez donc pas au faux pathos instauré lors des premiers chapitres, tant ce premier volume déjoue peu à peu cet aspect, pour mieux nous prendre dans sa trame douce et pure.
À côté, les intrigues politiques semblent doucement se poser, Miyo devenant un véritable objet de rivalité pour les clans de la noblesse. C'est un aspect mineur, pour l'heure, au sein du récit, mais qui intègre quelques promesses supplémentaires, afin que My Happy Marriage développe des enjeux autres que la romance entre les deux protagonistes. C'est notamment en fin de tome qu'une véritable intensité liée à ces enjeux se dévoile, ce qui suffit alors à capter totalement notre attention, si ce n'était pas déjà le cas avec les premiers éléments forts de ce premier opus.
Côté édition, Kurokawa livre une belle copie, avec son habituel papier fin, mais qualitatif, et quelques pages couleur. Signée Gaëlle Ruel, la traduction souligne brillamment l'ambiance globale du récit et la sensibilité des deux protagonistes. Saluons aussi le lettrage solide de Véronique Pérez qui sait notamment jouer avec bulles de dialogues et cadres de narration interne, sans fausse note.