Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 02 Mars 2023
Que ce soit au Japon ou chez nous, le genre isekai est devenu très présent. L'essor du genre est lié à celui des light novel, tandis que certaines œuvres ont permis ce boom. Même s'il n'est pas un isekai, Sword Art Online a contribué, d'une certaine manière, à la démocratisation des adaptations en manga et anime de romans japonais de fantasy, visant les lectorats adolescents et jeunes adultes. Depuis plusieurs années, nous sommes donc habitués à voir des récits de réincarnation dans d'autres mondes, de fantasy bien souvent, sous divers médiums. Pour ce début de mars 2023, l'éditeur Mana Books (qui s'est déjà essayé au genre avec Final Fantasy : Lost Stranger, ou Bofuri) aborde l'isekai d'une manière différente, avec l'œuvre de Kanemoto et Hikari Shibata : Mon fils semble avoir été réincarné dans un autre monde.
L'histoire est initialement celle de Kanemoto, un auteur populaire pour ses parutions en ligne, qui signa le manga « Watashi no Musuko ga Isekai Tensei Shitappoi », sous une forme imparfaite. En 2021, l'éditeur Shôgakukan propose une adaptation en série plus longue, par la main de Hikari Shibata, une mangaka active depuis la deuxième moitié des années 2010. D'abord réticente, la lecture de l'histoire l'a convaincue d'accepter le projet. Prépublié dans le magazine Big Comic Spirits, le manga a pris fin au Japon en ce tout début d'année, avec son cinquième volume. C'est donc cette version définitive que Mana Books publie sous le titre « Mon fils semble avoir été réincarné dans un autre monde », quand bien même la première mouture existe au format relié au Japon.Une version initiale à laquelle il serait intéressant d'avoir accès... Avis à l'éditeur, si cette parution est un succès dans nos librairies !
Dobara, 35 ans, est un employé de bureau assez commun. Otaku depuis son adolescence, ce n'est pourtant pas une facette qu'il montre au commun des mortels. Bien que timide et peinant à s'intégrer, il fait son travail comme il se doit, et mène une routine banale.
Ce train de vie est chamboulé lorsqu'il reçoit l'appel de Mio Hayama. Ancienne camarade de classe du lycée, cette dernière demande conseil à Dobara dans un registre particulier. Son fils est décédé d'un accident, et cette mère est persuadée que son enfant s'est réincarné dans l'un des mondes de fantasy qu'il aimait tant. Auprès de son ancien camarade, dont elle connaissait le goût pour la culture otaku, Mio cherche à rejoindre son fils, dans un autre monde. Mais ne connaissant par cette littérature, celle de l'isekai, elle ne sait comment s'y prendre...
C'est en se questionnant sur la place des parents, quand leurs enfants se réincarnent dans les mangas isekai, que Kanemoto a eu l'idée de cette histoire. Par son pitch, ce premier tome ne révèle pas tout son contenu, tant il mène à la question du deuil, avec un soupçon de comédie par cette question d'une mère qui cherche, au contact d'un ancien camarade otaku, à rejoindre elle aussi un monde de fantasy. En condensé, c'est ainsi qu'on pourrait résumer ce premier opus, une tranche de vie qui réserve son lot d'humour en traitant, sous le prisme de l'isekai, un événement grave, celui de la perte d'une mère de son enfant.
Ce n'est donc pas avec gravité que l'histoire nous est contée, mais par une collaboration haute en couleur, par laquelle deux personnages vont se révéler peu à peu. Malgré la place qu'elle occupe, Mio n'est pas exclusivement la tête d'affiche de l'histoire, l'accent étant surtout mis sur Dobara, adulte introverti qui va nouer ses premières vraies fortes interactions sociales au contact de cette ancienne camarade de lycée qui prendra goût à la lecture d'isekai. Mais comment honorer cet objectif qui relève de la fiction ? Comment faire comprendre à Mio qu'elle doit accepter la perte de son fils ? Par ces questionnements, toujours présents dans le récit, couplé au calage entre les deux personnages, et entre Mio et la culture isekai, ce tome d'ouverture se révèle assez brillant dans plusieurs registres.
On pourrait alors présenter ce début de série comme une fable sociétale, le rêve vain d'une mère, qui la poussera dans une collaboration permettant aux deux protagonistes de s'extirper de leurs mornes quotidiens respectifs. Finalement, l'isekai est un sujet permettant à cette facette du récit de briller, et pourrait être remplacé par un autre genre de fiction sans que le fond de l'œuvre soit forcément altéré. Mais parce que l'isekai est un genre de la culture populaire nippone très présent aujourd'hui, il permet au manga une forme d'authenticité, et au lecteur qui a connaissance des codes de ce type de récit de se connecter davantage à l'œuvre, aux gags, et à ses personnages. Sans dire qu'il faut une culture isekai solide pour aborder « Mon fils semble avoir été réincarné dans un autre monde », loin de là même, une simple connaissance de ce qu'est le genre suffit pour pleinement rentrer dans ce premier tome. Un volet de démarrage drôle, touchant, et qui nous capte par ses personnages comme par le trait fin et vivant de Hikari Shibata, qui donne une belle couleur à l'histoire de Kanemoto. Et il y a de quoi être enthousiaste quand on sait qu'il reste encore quatre tomes à savourer, et par conséquent de nombreuses possibilités de développement, notamment autour de Mio qui réserve son lot de secrets.
Côté édition, Mana Books nous régale d'un ouvrage au papier au papier solide, à l'adaptation graphique bien calibrée par le Studio Mameshiba, le tout brillant d'une traduction équilibrée signée Marie-Saskia Raynal. Une belle copie éditoriale, donc.