Mandala de feu (le) - Actualité manga

Mandala de feu (le) : Critiques

Enshoku no Mandara

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 09 Juin 2021

Chronique 2 :

Après le lancement détonnant de l'excellent manga footballistique Ao Ashi de Yûgo Kobayashi, les jeunes éditions Mangetsu n'ont pas vraiment tardé à proposer leur second titre en librairie, qui est aussi leur premier one-shot : Le Mandala de Feu. Proposé chez nous le 2 juin de cette année (2021), l'ouvrage prétend retranscrire la vie de Tôhaku Hasegawa, l'un des artistes japonais les plus marquants des XVIe et XVIIe siècles. Mais est-ce là la seule ambition du récit ? Loin de là, et nous allons y revenir.

Au Japon, le manga fut publié dans le magazine bimestriel Comic Ran Twins des éditions Leed en 2016, sous le titre original Enshoku no Mandala. La revue nous indique déjà une optique de l'ouvrage : Constituer un récit court. L'éditeur est coutumier de cette pratique, celle de prévoir des œuvres qui ne s'étalent pas forcément dans le temps, ce qui fut notamment le cas à plusieurs reprises pour Kan Takahama avec Le dernier envol du papillon.

A la barre de l'oeuvre, Chie Shimomoto, une artiste dont la carrière fut lancée en 2010 avec le court titre en deux tomes Kabuki Hime : Tenkaichi no Onna. Suivront les récits Ryanko Kitchen, Shout Shinsengumi, et plus tardivement Le Mandala de Feu, en 2016.

Au Japon du XVIe siècle, le peintre sans ampleur, Nobuharu Hasegawa s'est vu refoulé par Eitoku Kanô, joyau de l'art reconnu par la cour impériale, en tant que disciple. Lorsque Nobunaga Oda décède et que son château prend feu, l'artiste est prix d'une fougue : Son cœur enflammé tel un brasier, il brave l'incendie pour aller observer de ses propres yeux la toile que Kanô réalisa pour le palais, une œuvre que l'on considère comme le chef d'oeuvre de sa vie, reconnue par le défunt seigneur lui-même. Cette expérience fut un déclic pour l'homme qui réchappe des flammes : Celui-ci prend le nom de Tôhaku Hasegawa et part pour Kyoto, accompagné de son fils et de son disciple, pour monter son propre atelier.
La tâche semble rude, mais le destin lui permet de dévoiler son art au grand jour quand sa route recroise celle de Sen no Rikkyû, Maître du Thé de la cour que le peintre rencontra d'abord devant le château en flamme. Reconnaissant la fougue de l'artiste, Rikkyû confie à Hasegawa ses premières œuvres, le début d'une ascension qui résonnera jusqu'à Eitoku Kanô.

Le Mandala de Feu n'est pas seulement une œuvre qui se charge de dépeindre l'existence de Tôhaku Hasegawa. On pourrait même avoir l'affront de dire que cette optique n'est pas celle qui parlera le plus à un lectorat francophone novice en culture artistique et Histoire nippone, même si l'ouvrage de Chie Shimomoto aura le mérite de piquer la curiosité quant à un personnage présenté de manière si unique. Mais la volonté du manga est-elle simplement de traiter du personnage ? On sait que les contextes historiques plaisent aux lecteurs des publications de l'éditeur japonais Leed, mais sans doute que l'artiste avait une autre optique en abordant le peinte. En effet, difficile de retracer toute la complexité d'une existence au format one-shot, aussi ce sont les idées sous-jacentes du manga qui subliment le récit et nous imprègnent tel le brasier qui enflamma Tôhaku Hasegawa, durant son existence.

Ce portrait de la vie du peintre a donc le mérite d'être rythmé, dans le sens où seules les grandes étapes de sa carrière sont retracés, via des chapitres très précis. Ses débuts en tant que novices ne sont qu'évoqués afin de mettre l'accent sur l'émergence de son talent suite à sa rencontre avec Sen no Rikkyû, et les événements majeurs de son vécu qui suivront. Et à ce titre, Le Mandala de Feu a bien des choses à nous conter, énormément même. En traitant un tel artiste, l'autrice nous questionne frontalement sur l'idée de la passion, ardente quand elle est poussée à son paroxysme, sa légitimité dans une existence, et tout ce qu'elle peut entrainer. La voie du peintre, bien que crescendo dans la réussite, ne se fait pas sans sacrifices. L'audace de l’œuvre vient alors de sa manière de mettre en exergue ce dilemme de la vocation passionnelle ponctuée de drames humains. Car à l'avenir d'artiste de Hasegawa se mêle ses problématiques familiales et comment celui-ci prendra conscience de ce qu'il a dû délaisser pour s'élever dans son domaine de prédilection.

Chie Shimomoto aborde tous ces éléments avec une vision constamment imagée, pour ne pas dire onirique. Le sujet de son manga imprègne alors sa propre narration, aussi ce sont par des représentations quasiment picturales que les moments clés se jouent. Qu'ils soient euphoriques ou cruels, ces instants sont souvent rendus sublimes grâce à la patte de la mangaka. Chacun de ces grands instants de la vie du protagoniste nous pique au vif par cette imagerie, là où le personnage se voit submergé d'émotions qui le poussent à se remettre en question à bien des moments. La dimension émotionnelle du Mandala de Feu est forte. Elle n'est pas seulement due à l'histoire raconter, mais aussi à la manière dont l'artiste (du manga) nous la représente. Mangetsu réussit alors l'exercice de présentation de Chie Shimomoto au lectorat francophone. Et quand on sait que l'autrice a déjà proposé d'autres œuvres, difficile de ne pas vouloir les découvrir dans nos contrées. Il s'agit certes de titres courts mais qu'on espère pouvoir déguster, notamment parce qu'ils abordent aussi le Japon féodal. A noter qu'elle ne semble plus avoir été éditée depuis Le Mandala de Feu, aussi on espère que sa carrière se poursuivre à l'avenir.

Le Mandala de Feu ne peut donc être résumé à l'aspect de manga biographique, notamment parce que sa courte durée n'en fait pas un récit prétendant aborder toute la richesse d'un personnage historique. En revanche, nous avons là une œuvre qui aborde l'art sous l'angle passionnel mais aussi dramatique, le récit n'oubliant jamais l'humain derrière l'artiste. Chie Shimomoto propose une lecture marquante dont le dernier segment pourra difficilement laisser indifférent.

Côté édition, Mangetsu propose son tout premier ouvrage en grand format. La conception est sans couac aucun, l'ouvrage se montrant qualitatif grâce à sa couverture matte et son papier de qualité mais fin, pour un rendu souple mais agréable. Le lettrage du studio Mameshiba est aussi une réussite, de même pour l'adaptation graphique de la couverture par Spade de Black Studio, tandis qu'Aline Kukor propose une traduction qui semble pertinente, en tout cas apte à retranscrire le caractère si particulier de l'unique Tôhaku Hasegawa.


Chronique 1 :

Après son inauguration convaincante la semaine dernière avec le très prometteur récit sportif au long cours Ao Ashi, le catalogue de Mangetsu a la bonne idée de déjà accueillir, dès ces premiers jours de juin, une deuxième nouveauté inaugurant la collection seinen de l'éditeur, et qui se veut sans nul doute plus "confidentielle": Le Mandala de Feu, un one-shot de 220 pages plutôt ambitieux pour une oeuvre de début de catalogue, dans la mesure où elle s'intéresse à un sujet assez spécifique (mais non moins passionnant quand on s'y intéresse).

Ce manga fut prépublié au Japon en 2016, sous le nom Enshoku no Mandara, dans le magazine Comic Ran Twins - Sengoku Bushou Retsuden des éditions Leed, un éditeur assez discret mais souvent très qualitatif, dont on peu être heureux de voir, depuis quelques mois, des oeuvres arriver plus souvent en France (Comet Girl et Quenotte et le monde fantastique chez Casterman, Tokyo Blues chez Le Lézard Noir, La Lanterne de Nyx chez Glénat...). On doit cette oeuvre à Chie Shimomoto, une mangaka jusque-là inédite en France mais qui, au Japon, depuis ses débuts en 2010, s'est plutôt spécialisée dans des mangas à tendance historique autour du Japon, en ayant par exemple exploré les sujets du théâtre kabuki ou du Shinsengumi.

Dans le cas du Mandala de Feu, Shimoto nous invite à découvrir un artiste peintre japonais qui n'est pas forcément parmi les plus connus par chez nous, et qui est pourtant considéré comme un monument dans son pays: Tôhaku Hasegawa. Né en 1539 et décédé en 1610, il a apporté un souffle nouveau sur la peinture japonaise à une époque profondément troublée, entre la fin de l'époque Sengoku avec la chute du shôgun Ashikaga, et les prémisses du Shogunat Tokugawa.

Shimomoto choisit de démarrer son récit alors que notre héros n'est pas encore le grand peintre qu'il va devenir, loin de là: père veuf, âgé de 43 ans en 1582, mais déjà passionné de peinture, il avait décidé de quitter sa province natale pour tenter sa chance à la capitale, où son échec fut cuisant, en étant notamment rejeté par l'artiste qu'il admirait tant, Eitoku Kanô, alors considéré comme un peintre de génie au service des plus grands dont Oda Nobunaga. Mais c'est précisément lorsque Nobunaga meurt, en cette année 1582, que la vie du "peintre raté" va prendre un premier virage. Et à partir de là, on suivra les grandes étapes de son ascension, ainsi que certains aspects de sa vie personnelle.

Shimomoto couvre environ deux décennies en un one-shot, ce qui signifie donc qu'elle se doit d'aller à l'essentiel. De ce fait, il ne faut pas attendre du Mandala de Feu un portrait historique hyper détaillé sur chaque face de l'époque et de Tôhaku... et peut-être est-ce bien là une qualité pour un ouvrage de ce type, qui est alors une porte d'entrée facile d'accès pour découvrir dans les grandes lignes qui fut ce peintre, et pourquoi il a eu une telle importance. La mangaka va donc toujours assez vite, mais jamais de façon précipitée: elle sait retenir les grandes étapes qu'il faut, les décortiquer suffisamment, exposer les importantes personnalités que Tôhaku a côtoyées (Eitoku Kanô, Hideyoshi Toyotomi, le grand maître de thé Sen no Rikyû), aborder sa famille avec notamment son fils qui fut lui aussi brièvement un artiste important... et, surtout, nous faire ressentir à quel point ses événements et ces personnes ont pu avoir un impact sur notre héros, à différents moments de son existence, en le poussant parfois à douter, à remettre en question son rapport à l'Art et à ses ambitions, à faire évoluer sa vision des choses... On a ainsi droit à un portrait qui, en plus d'être rigoureux dans les grandes lignes historiques, essaie de sonder quelque peu l'homme qu'a pu être Tôhaku, d'en offrir une interprétation. Et ce que cette interprétation faite par la mangaka nous montre aussi, c'est un homme passionné, qui brûlait d'ardeur pour son Art, les références à la thématique du feu étant d'ailleurs très présentes tout au long de l'ouvrage.

Visuellement, c'est beau, voire même très beau, une chose que fait très bien ressortir le choix d'un grand format. Tandis que les designs séduisant par leur expressivité et par leur précision, les décors séduisent par leur présence assez forte quand il le faut. Shimomoto a également pour elle de très beau découpages, ainsi que des instants où elle sait véritablement mettre en valeur la beauté artistique de ses personnages. On pense en particulier aux quelques planches où elle se réapproprie des oeuvres d'art existantes et y intègre ses personnages, pur un résultat assez fascinant et symbolique dans ce qu'ils peuvent dire de l'état d'esprit de Tôhaku et de son entourage.

En résulte une lecture souvent passionnante, confirmant le lancement très intéressant de Mangetsu, et servie dans une très belle édition, à commence par sa jaquette au toucher doux et pour laquelle Spade a imaginé un logo-titre très stylé. Et à l'intérieur, le papier souple et sans transparence est satisfaisant, l'impression effectuée chez Aubine st très bonne, la traduction d'Aline Kukor est très claire en plus d'être ponctuée d'assez nombreuses notes pertinentes, et le lettrage effectué par le studio Mameshiba est soigné.
  

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs